Paris et Alger ne veulent pas rater ce rendez-vous symbolique de 2022, coïncidant avec les 60 ans de l’indépendance algérienne. « Nous cherchons, vis-à-vis des Algériens, à suivre une démarche idoine et à faire des gestes forts qui sont à l’étude », nous confie un officiel français. Cette « démarche idoine » et ces « gestes forts » peuvent être esquissés dans le rapport élaboré par l’historien Benjamin Stora sur « les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie », qu’il remettra ce mercredi 20 janvier au président Emmanuel Macron. Un rapport détaillant des propositions afin de parvenir à cette « nécessaire réconciliation des mémoires », selon la formule de l’Élysée.
« Affronter ces événements douloureux »
Pour rappel, les deux présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont désigné, chacun, un expert de la question mémorielle, Benjamin Stora côté français, et Abdelmadjid Chikhi, conseiller du président de la République chargé des archives nationales et du dossier de la mémoire, côté algérien, pour travailler sur la question de la réconciliation franco-algérienne. « Nous souhaitons que les deux historiens accomplissent leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente », avait déclaré le président algérien en juillet 2020. « Il faut affronter ces événements douloureux pour repartir sur des relations profitables aux deux pays, notamment au niveau économique », a-t-il ajouté. « Il n’est pas question d’écrire une histoire commune de l’Algérie, mais d’envisager des actions culturelles sur des sujets précis, à déterminer, comme les archives ou la question des disparus », avait déclaré Stora au quotidien Le Soir d’Algérie. Même son de cloche côté algérien : pour Abdelmadjid Chikhi, également directeur des Archives nationales, « il ne s’agit pas d’écrire l’histoire », mais de « voir comment amener les deux pays à gérer leurs mémoires », avait-il affirmé à l’AFP.
Rien ne filtre sur le travail côté algérien, Abdelmadjid Chikhi se contentant dans ses sorties médiatiques de dresser des lignes rouges ou se plaignant du fait que le dossier mémoriel « n’avance pas en raison du manque de volonté chez la partie française ».
Pour Abdelmadjid Chikhi, l’opinion publique en France « n’est pas unie face au passé colonial de la France (…) Il y a des lobbys et des associations françaises influentes qui font obstruction aux négociations sous prétexte que nous nous sommes emparés – selon ce qu’ils croient – de leurs terres et de leurs biens ».
Macron face au défi mémoriel
Côté français, on évite la polémique. Le rapport Stora devra, selon un communiqué de l’Élysée, « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie (…) (et) dresser un état des lieux précis du regard porté sur ces enjeux de part et d’autre de la Méditerranée ». « Il faudrait revenir sur les pas franchis par les différents chefs d’État français sur la question mémorielle entre l’Algérie et la France », soutient un haut responsable français. « Nous devons dire : voilà le chemin parcouru, et voilà ce qui reste à faire », poursuit-il.
Une politique des petits pas, depuis Chirac, mais qui « peut s’accélérer » sous Macron, assurent nos sources, qui rappellent la phrase du candidat à la présidentielle d’alors, en février 2017 à Alger, « la colonisation est un crime contre l’humanité » ; la reconnaissance officielle par Macron que Maurice Audin, qui s’engagea dans la lutte armée aux côtés des Algériens, a bien été « torturé puis exécuté ou torturé à mort » par des militaires français en 1957 ; la restitution, en juillet 2020, à l’Algérie des restes de 24 résistants algériens à la colonisation française, qui se trouvaient au Musée de l’homme à Paris depuis 1880.
2022, année historique… et très politique
En janvier 2020, Macron confia aux journalistes qui l’accompagnaient dans son voyage retour de Jérusalem qu’il souhaitait conférer au défi mémoriel entre l’Algérie et la France « à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 ». « On a cette histoire entre nous, mais moi je n’en suis pas prisonnier », lançait le président Macron en visite à Alger en décembre 2017 à un jeune l’interpellant sur la colonisation. « Pour Macron, 2022 est une date qu’il veut marquer, au-delà de l’enjeu de la présidentielle. Il ne s’agit pas seulement de l’Algérie comme pays partenaire avec lequel nous devons aplanir toutes les tensions, y compris mémorielles, mais c’est aussi une démarche pour déminer les questions identitaires et historiques qui déchirent la société française », soutient un sherpa de l’Élysée de passage à Alger il y a quelques mois.
Du côté du palais présidentiel d’El Mouradia à Alger, le ton est à l’apaisement. « Le président Tebboune s’est engagé à aller de l’avant avec Paris. Il sent que Macron a une volonté sincère pour avancer sur les questions de la mémoire, mais aussi sur les autres dossiers, politique et économique », tient à rassurer un haut responsable algérien. Ce dernier nuance : « Il ne faut pas se fier aux apparences, aux pics de tensions conjoncturelles entre les deux pays, en haut lieu, la priorité est à l’apaisement… et à l’avenir. »