Le président Macron érigera-t-il une stèle à l’émir Abdelkader qui a combattu les troupes françaises ? Organisera-t-il une journée de repentance pour les « crimes contre l’humanité » commis par la France pendant la colonisation ? Aurons-nous droit à des noms de rues de « résistants » du FLN ?
L’avenir le dira. Une chose parait à peu près sure, une initiative « mémorielle » aura lieu. Emmanuel Macron a indiqué à de multiples reprises qu’il avait l’ambition d’attacher son nom à un évènement historique. Il a esquissé la chose avec Notre Dame (« nous la reconstruirons plus belle ») ; une tentative d’instituer le 14 juillet comme « un grand moment de libération du peuple de France » a aussi été imaginée ; l’idée d’un Mémorial aux victimes du Covid comme il existe un Mémorial de la Shoah par exemple a aussi été étudiée. Mais la piste guerre d’Algérie semble plus assurée. D’autant qu’elle est plus ancienne.
Le lien choquant fait dans l’avion de retour d’Israël
Dès 2017, au cours de sa campagne électorale, Emmanuel Macron a affirmé que la colonisation avait été un « crime contre l’humanité ». En septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de la France dans la disparition de Maurice Audin, mort « sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France ». En janvier 2020, dans l’avion qui le ramenait de Jérusalem, Emmanuel Macron a confié à trois journalistes qu’il existait un défi mémoriel entre l’Algérie et la France et qu’il souhaitait prendre une initiative qui ait « à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 ». Le parallèle Auschwitz-Algérie laisse clairement entendre qu’un peuple (français) a abusé mortellement d’un autre (le peuple algérien).
Benjamin Stora remet son rapport au président Macron, le 20 janvier 2021, Palais de l’Elysée © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01000815_000010
Cette initiative mémorielle prendra-t-elle la forme d’une loi qui s’inscrira dans la petite liste des évènements mémoriels qui ont déjà fracturé la société française ? Le 13 juillet 1990, la loi Gayssot a fait du négationnisme de la Shoah un délit. Le 29 janvier 2001 une loi a officialisé la reconnaissance du génocide arménien. Le 21 mai 2001 une loi dite Taubira a fait de l’esclavage un crime contre l’humanité. Et enfin, la loi du 23 février 2005 sur la présence française outre-mer a disposé dans son article 4 que « les programmes (scolaires) reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».
Pas d’excuses au programme
Officiellement, Emmanuel Macron ne souhaite ni présenter d’excuses qui seront immanquablement jugées insuffisantes par les Algériens, ni se livrer à un exercice de repentance qui ferait bondir à la droite.
Mais comme chaque fois avec Emmanuel Macron, le « ni-ni » n’empêche pas le « en même temps » qui va brouiller la compréhension. Ainsi, le 25 septembre 2021, une commémoration célèbrera le rôle des Harkis, qui ont combattu pour la France en Algérie, mais cette cérémonie sera suivie moins de quatre semaines plus tard par une autre cérémonie à la mémoire des Algériens qui ont trouvé la mort pour avoir manifesté à l’appel du FLN, à Paris le 17 octobre 1961. À un mois de la présidentielle, le 18 mars 2022, Emmanuel Macron commémorera aussi les soixante ans des accords d’Evian qui marquent la fin de la guerre d’Algérie.
Mais le vrai danger de l’initiative mémorielle promise par le président ne tient pas au risque de mécontenter les Algériens, ou les Pieds Noirs, ou les Harkis, ou les anciens combattants… Le danger est d’officialiser une politique de culpabilité qui sera immanquablement génératrice de violences.
L’analyse que l’auteur américain Shelby Steele, Senior Fellow de la Hoover institution – lui-même issu d’un mariage interracial – fait de la condition noire dans White Guilt, un livre paru en 2006, est entièrement transposable à la France. Pour Shelby Steele, la colère des Noirs qui a surgi dans les années 1960 ne doit pas être interprétée comme la conséquence de la ségrégation raciale. Elle est la colère d’entrepreneurs identitaires noirs qui ont entrepris d’exploiter la culpabilité d’une société blanche qui avait entrepris de démanteler sa politique de ségrégation raciale.
Ne pas se mettre en position de faiblesse
Pour Shelby Steele, la violence a envahi les rues quand les Noirs ont pris conscience que l’oppresseur blanc était soudain en position de faiblesse. En affichant sa culpabilité et son besoin de réparer le mal qu’elle avait causé, la société américaine a prêté le flanc à des demandes incessantes de réparations. Aujourd’hui, des milices comme Black Lives Matter ne prospèrent pas en raison de la violence raciste qui sévit aux États-Unis, mais parce que la culpabilité blanche leur a donné un pouvoir de stigmatisation.
Que des minorités identitaires inventent le racisme là où il n’est pas, et exploitent la culpabilité des occidentaux n’est pas une spécificité américaine. Les Palestiniens exploitent la culpabilité des anciennes puissances coloniales européennes ; en Europe, les islamistes se posent en victimes de l’islamophobie européenne, et les Algériens libres de toute colonisation depuis soixante ans font porter à l’ancienne métropole les causes de leurs échecs économiques et politiques.
Plus l’occident est tolérant, plus on l’accuse d’être intolérant…
En d’autres termes, c’est au moment où les sociétés occidentales, par leur histoire (les États Unis) ou par choix (la France), tentent de s’assumer comme des sociétés multiculturelles, égalitaires, soucieuses de réparer un passé raciste ou colonialiste qu’elles sont le plus férocement accusées de racisme et de discrimination.
C’est pourquoi il est à craindre qu’un geste de contrition nationale spectaculaire sur la guerre d’Algérie, un geste qui sera répété chaque année, loin de pacifier la situation ne conduise à plus de ressentiment, plus de haine, plus de violence encore. La seule initiative mémorielle qui mériterait d’être tentée serait celle qui dirait aux Algériens et aux franco-algériens, qu’avez-vous fait de la décolonisation ? Qui êtes-vous sans la violence de la colonisation ? Existez-vous en dehors de ce statut de victime dans lequel vous vous complaisez ?