Le Rif, à l’extrême nord du Maroc, a toujours été un pays rebelle à l’égard des autorités. Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi, couramment appelé Abd el Krim, un Rifain issu d’une grande famille vivant dans la partie espagnole du Maroc, leva en 1921 l’étendard de la révolte contre l’occupant espagnol et lui infligea des défaites. En avril 1925, les troupes d’Abd el Krim devenant menaçantes pour le Maroc français, la France y envoie un corps expéditionnaire. C’est l’occasion pour le maréchal Pétain de rencontrer pour la première fois Franco, puis d’en être nommé commandant en chef, ce qui provoque la démission de Lyautey qu’une forte inimitié opposait à Pétain. En mai 1926, Abd el Krim est vaincu. Mais son combat est la préfiguration des luttes d’indépendance du Maghreb d’après la Seconde Guerre mondiale, qu’il soutiendra jusqu’à sa mort au Caire en 1963.
1925, Maroc, Guerre du Rif
Pétain et Franco s’allient contre Abd El Krim
Le Rif, à l’extrême nord du Maroc, a toujours été un pays siba, autonome, voire rebelle à l’égard des autorités. Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi, couramment appelé Abd el Krim, un Rifain issu d’une grande famille, vivant dans la partie espagnole du Maroc, leva l’étendard de la révolte en 1921.
C’est donc tout naturellement contre l’occupant espagnol qu’il tournera d’abord ses armes, lui infligeant une cuisante défaite à Anoual (juillet 1921). En Espagne, le général Miguel Primo de Rivera [1] prend le pouvoir en septembre 1923, installant une des premières dictatures d’extrême droite d’Europe. Rageusement, Madrid va répliquer par une guerre d’une cruauté inouïe, utilisant massivement l’arme chimique (d’ailleurs fournie alternativement par les deux anciens ennemis, la France et l’Allemagne…). En avril 1925, les troupes d’Abd el Krim empiètent sur le territoire du haut Ouergha, dans le Maroc français (avril 1925). Occasion rêvée pour le colonialisme français de mater ce dissident devenu menaçant. La France est alors dirigée par un gouvernement de gauche, dit du Cartel (Paul Painlevé, président du Conseil), dirigé par le Parti radical, soutenu par la SFIO. Nationalistes à Madrid, hommes d’une certaine gauche à Paris : il n’y a pas de barrières idéologiques quand il s’agit de défendre la civilisation occidentale.
Au plus fort de la guerre, Abd el Krim disposera de 75 000 hommes, pour seulement 30 000 fusils. En face, la France et l’Espagne aligneront un corps expéditionnaire énorme (120 000 combattants, 400 000 supplétifs), disposant d’une supériorité matérielle écrasante (artillerie lourde, chars, aviation), utilisant les armes les plus terribles – dont des bombes chimiques.
Mohammed ben Abdelkrim El-Khattabi
Lyautey et Pétain
Lorsque la France entre dans le conflit, le maréchal Lyautey préside aux destinées du pays – malgré la fiction du Protectorat qui ne trompe personne – depuis 13 ans. Il mènera une guerre sans pitié contre Abd el Krim. Sans pitié, mais sans guère de résultats. Bien des postes français sont isolés, Fez paraît même un instant menacée. La personnalité et la politique de Lyautey sont de plus en plus remises en cause à Paris, d’autant qu’une vieille méfiance l’amène à s’opposer à toute manœuvre commune avec les Espagnols. Le 14 juillet 1925, le gouvernement décide d’envoyer en inspection le maréchal Pétain. Camouflet supplémentaire pour Lyautey, qu’une inimitié réciproque (et de notoriété publique) oppose à Pétain. Le sens de la mission de ce dernier est net : « Il faut renforcer les effectifs, il faut de l’aviation, il faut intensifier notre action » [2]. Mais cette mission a également une signification diplomatique : la seule parade imaginable à la menace rifaine est de sceller un pacte avec les Espagnols. Fin juillet ont lieu à Madrid, puis à Ceuta, de premiers entretiens Pétain-Primo de Rivera. C’est à cette occasion, semble-t-il que Pétain rencontrera pour la première fois Franco, colonel et patron de la Bandera, la Légion espagnole. Une complicité de vingt années commençait.
En septembre, Lyautey est rappelé à Paris, y est l’objet de remontrances des politiques et, surtout, y apprend la nomination de Pétain comme Commandant en chef, qui passe donc d’une mission temporaire à une fonction permanente. C’en est trop. De retour au Maroc le 15 septembre, il démissionne le 24. Il est remplacé par Steeg, mais c’est Pétain qui a désormais les pleins pouvoirs militaires.
L’initiative concertée peut commencer : les Espagnols envoient un corps expéditionnaire au nord (Alhucemas, 8 septembre 1925) pendant que les Français attaquent par le sud.
Début décembre, la presse annonce que Pétain va se rendre de nouveau à Madrid. Primo de Rivera déclare devant le Conseil des ministres du 8 décembre 1925, que la France, « désirant donner une preuve de ses sentiments d’amitié envers l’Espagne, avait décidé qu’une visite serait faite prochainement à Madrid par le maréchal Pétain » [3]. Les deux hommes se rencontrent effectivement le 25 du même mois, à Madrid, puis le 28, à Tétouan, afin de combiner leurs opérations [4].
Lors de l’hiver 1925-1926, le territoire d’Abd el Krim fait désormais figure de forteresse assiégée.
La supériorité écrasante des armées franco-espagoles
Comme il l’avait promis, Pétain mène une guerre de grande envergure. Le gouvernement lui a accordé les moyens demandés. Alors qu’en juillet, Lyautey n’avait obtenu que 2 bataillons de renforts, le nouveau commandant en chef en obtient 36 ! Surtout, la coopération militaire entre les deux pays – dont l’un utilisait des armes chimiques depuis 4 ans – devait déboucher sur une aggravation de la guerre chimique. On sait aujourd’hui que l’armée française a alors utilisé des obus au phosgène, à la chloropicrine (obus N° 7) et à l’ypérite [5].
Pétain rentre en France le 6 novembre. À son arrivée à Marseille, il lâche : « Abd el Krim est encerclé. Il n’est plus à craindre. L’action militaire est terminée. Je passe la main à la politique » [6]. « L’action militaire est terminée »… Ce n’est alors vrai qu’en partie. Il reste l’ultime assaut. Mais on peut penser qu’avec cette formule, il embarrassait son illustre prédécesseur : (Pétain avait réussi là où Lyautey avait piétiné)… et son successeur, le général Boichut (si Abd el Krim ne s’était pas rendu, c’eût été sa faute). Quant à la formule « Je passe la main à la politique », elle faisait allusion aux pourparlers d’Oujda, entre Abd el Krim et des émissaires français, qui échouèrent. Le militaire Pétain était également un fin politique : dans tous les cas de figure, il apparaissait comme le seul vainqueur, il dégageait sa responsabilité de tout échec éventuel…
Début 1926, la guerre prend une autre dimension. Les Français alignent 48 bataillons, 17 batteries, 2 compagnies de chars et 3 escadrilles d’avions. Les armes chimiques, que Paris avait longtemps refusées à Lyautey, font désormais partie de l’arsenal français [7].
Comme l’écrira, presque au terme des combats, le général Niessel, Inspecteur général de l’aéronautique : « Nous exécutons sur le front nord du Maroc de véritables opérations de guerre » (Revue de Paris, 1er février 1926) [8].
La capitulation d’Abd el Krim
Militaires du corps expéditionnaire exhibant le drapeau de la République rifaine le 28 mai 1926
L’offensive finale est déclenchée le 8 mai 1926. Finalement, face à la supériorité mécanique des armées française et espagnole, Abd el Krim se soumet, le 27 mai. Au terme d’une guerre éprouvante, 100 000 des siens, combattants tués au front ou civils bombardés par des armes chimiques, avaient perdu la vie.
Le 14 juillet suivant, sous l’Arc de Triomphe, le général Primo de Rivera, « pantalon rouge vif soutaché d’argent, tunique bleu sombre coupée du cordon de la grand-croix de la Légion d’honneur, shako pastel et or que couronne un plumet blanc » [9], est l’invité d’honneur. Il est entouré du président Doumergue, d’Aristide Briand, président du Conseil [10] et, pour faire bonne mesure, du sultan Moulay Youssef.
Quant à Pétain, il retrouva son complice quelques années plus tard. Le 27 février 1937, avant même la chute du gouvernement légal, la France reconnut le régime de Franco. Et, dans la foulée, nomma Philippe Pétain ambassadeur (2 mars). Nul doute que le déjà vieux maréchal dut savourer les derniers jours de la République espagnole. Comme un vieux couple ressassant ses jours heureux, Franco et Pétain se retrouveront une ultime fois le 10 février 1941, Franco passant alors par la France pour aller conférer avec une autre gloire du fascisme international, Benito Mussolini.
Quant à Abd el Krim, il finira ses jours en Égypte, communiquant avec Ho Chi Minh (alors dans les maquis Viet Minh) en 1949, rencontrant Che Guevara en 1959. Chacun avait choisi ses amis.