« Je suis heureuse d’être la toute première Algérienne vaccinée. Tout le monde devrait être vacciné. Il ne faut pas écouter les polémiques négatives qui font peur. C’est important pour sauvegarder notre santé, celle de nos proches, de notre pays. » Ainsi a parlé, samedi 30 janvier, la jeune Imane Slatnia, chirurgienne-dentiste, la première femme en Algérie vaccinée contre le Covid-19. Cela s’est passé dans la clinique des Bananiers à Blida, région au sud d’Alger qui a été le premier foyer, il y a presque un an, de la pandémie. Entourée de journalistes et de ses collègues, la jeune médecin, précédée par le directeur de la santé de la wilaya (préfecture) de Blida, Ahmed Djemî, dans l’ordre des vaccinations, a été vivement applaudie, avant qu’elle ne cède sa place au troisième vacciné du jour, Sabri Aïssa, sexagénaire, malade chronique, qui s’est estimé, après le petit coup de piqûre, « heureux et en forme », rapporte le correspondant local d’El Watan. Trente personnes en tout ont été vaccinées cette matinée du samedi dans cette clinque blidéenne alors que soixante autres se sont inscrites en liste d’attente.
Vacciner 80 % des Algériens
Les premières doses du vaccin russe Spoutnik V sont arrivées par vol militaire, alors qu’une autre cargaison du vaccin AstraZeneca est arrivée à Alger. « D’autres cargaisons du vaccin anti-Covid-19 arriveront de Chine, d’Inde et d’autres pays », a expliqué le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid. Les vaccinations, qui toucheront en priorité le corps médical, les seniors et les personnes souffrant de maladies chroniques, seront tracées par une plateforme numérique pour « le suivi quotidien de l’état de santé des personnes vaccinées » à travers le pays.
Un lancement in extremis question agenda : le président Abdelmadjid Tebboune avait pressé, le 20 décembre, le gouvernement de « lancer la campagne de vaccination à partir de janvier prochain ». « Cette opération se poursuivra au fur et à mesure dans les différentes wilayas du pays pour englober pas moins de 80 % de la population », a déclaré aux médias le porte-parole du comité scientifique de suivi de l’évolution de la pandémie, le Dr Djamel Fourar. Il a également précisé que le gouvernement algérien avait consacré 20 milliards de dinars (environ 123 millions d’euros) à l’ensemble de l’opération, alors que le coût du premier quota (50 000 doses) est de 1,5 milliard de dinars (environs 9 millions d’euros). Le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, s’est fait vacciner dimanche 31 janvier dans une clinique algéroise en présence de médias.
Soucis de communication
Mais, déjà, l’entame de cette opération a été critiquée par certains praticiens. Le DrMohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie, a déploré que « les professionnels de la santé soient au même niveau d’information que le commun des citoyens ». « On note un gros problème au niveau de la communication. En tant que spécialistes, on était déjà perturbés par des contradictions émanant des différents responsables du secteur de la santé et, là encore, les professionnels de la santé prennent connaissance du début de la campagne vaccinale comme le reste des citoyens », a-t-il déclaré au Soir d’Algérie.
Pour la suite des opérations, les Algériens concernés par la vaccination devront s’inscrire auprès des structures locales publiques de la santé chargées de la vaccination (8 000 centres sont mobilisés, selon les autorités) pour suivre un examen médical afin de déterminer si, oui ou non, le candidat est apte à être vacciné.
Le plus gros défi pour les autorités reste de convaincre les Algériens de se faire vacciner. Outre les assurances émises par les autorités sanitaires, le ministère des Affaires religieuses a même affirmé, jeudi 28 janvier, via une fatwa (avis religieux), que la vaccination contre le Covid-19 était « indispensable », que le vaccin ne constituait « pas un danger sur la santé du citoyen »… et que les vaccins disponibles ne contenaient pas des composants « prohibés par la Charia [loi islamique] ».
Le vaccin anti-Covid halal
Des informations, souvent reliées par les réseaux sociaux et des militants anti-vaccins, et pas seulement en Algérie, évoquaient la présence de gélatine de porc dans les composants des vaccins. Certains laboratoires, comme Pfizer ou AstraZeneca ont déjà communiqué sur l’absence de produits porcins dans leur formule. Le site TSA rappelle que « l’Algérie est le deuxième pays musulman, après l’Indonésie dont les autorités religieuses ont déclaré le vaccin anti-Covid halal ».
Cette démarche a été critiquée par certains médias à Alger, comme le quotidien Liberté, qui s’interroge : « Il est à se demander si cette immixtion des religieux ne constitue pas un ”pied de nez” aux scientifiques. En d’autres termes, la raison n’est-elle pas en train de céder le pas et de s’incliner devant la foi ? » Pour le président du Syndicat des praticiens de la santé publique, le Dr Lyes Merabet, « si l’intention était de sensibiliser sur l’importance de l’opération et de rassurer les citoyens, il aurait suffi que le ministre [de la Santé] et les cadres du ministère se fassent vacciner devant les caméras de télévision au lieu d’émettre une fatwa que d’autres pourraient demander demain pour des médicaments, sérums et autres préparations pharmaceutiques ». Un chroniqueur de presse ironise : « Les chercheurs ont passé plus d’un an pour trouver un vaccin et les imams, quelques minutes pour nous dire qu’il est… bon. »
Les gestes barrières relâchés ?
Mais un autre sujet suscite l’inquiétude, comme le relève le quotidien Echorouk, dont les journalistes ont réalisé ce week-end des reportages dans Alger et sa banlieue. Le port du masque et les gestes barrières semblent être abandonnés par de plus en plus de citoyens, confiants dans le démarrage des opérations de vaccination et la baisse des chiffres de contaminations depuis plusieurs semaines. « L’Algérie ne connaîtra pas une troisième vague comme en Europe », disent certains. Probablement, mais la vigilance reste, selon les experts, l’arme la plus efficace pour le moment.