Exister ! Ne pas être juste la contre-attaque face au gouvernement, mais être une force de proposition, tel est le leitmotiv de Damien Abad qui préside le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Aussi, alors que vient de commencer l’examen en première lecture dans l’hémicycle du projet de loi séparatismes, les députés LR ont présenté mardi 2 février leur contre-projet pour « lutter contre l’islamisme radical ». Soit 41 propositions élaborées par un groupe de travail qui s’est réuni tous les mercredis midis depuis septembre 2020 et a auditionné des experts, des chercheurs, des représentants d’institution, des autorités religieuses, dont des membres éminents de l’Islam de France.
En effet, pour les députés LR, le projet de loi du gouvernement « confortant le respect des principes de la République » est loin de régler la question de l’islamisme radical. « Nous regrettons que ce projet de loi soit très loin de l’esprit des Mureaux [discours prononcé par Emmanuel Macron en octobre, NDLR]. Pour nous, la lutte contre l’islamisme radical est un défi de tous les jours et un combat de tous les instants », a lancé d’emblée Damien Abad. Avant d’ajouter : « Contrairement au gouvernement, nous pensons que l’on ne peut pas faire l’impasse sur la question de l’immigration quand on parle de ce sujet. Il ne s’agit pas comme le Rassemblement national d’être dans une logique discriminante ou de boucs émissaires. Mais il ne s’agit pas non plus d’être dans l’omerta face aux flux migratoires qui sont une question centrale.»
Partant du constat qu’« une partie minoritaire de la population fait désormais acte de séparatisme », les députés LR veulent aller plus loin que le gouvernement et ainsi étendre la lutte contre la radicalisation à des secteurs oubliés par le projet de loi, tels que les universités, les prisons, les hôpitaux et les services publics… Damien Abad a ainsi rappelé une récente enquête Ifop, qui pointe que « 27 % des musulmans résidant en France souhaitent que la charia s’impose aux lois de la République et que 37 % des musulmans résidant en France veulent que la laïcité s’adapte à l’islam. Un chiffre qui monte à 49 % chez les musulmans de moins de 25 ans ».
Ce n’est pas un livret de slogans.
« Nos propositions sont le fruit d’un travail de fond important, entamé depuis plusieurs années par nos députés, spécialistes de ces sujets », a précisé Damien Abad. Si la synthèse n’a pas toujours été simple dans un groupe où deux grandes lignes s’affrontent sur ces questions, le texte se veut pour autant opérationnel et fait l’objet d’un consensus au sein du groupe. En effet, l’objectif n’était pas seulement de présenter un contre-projet destiné à montrer les différences entre le gouvernement et la droite dans ce domaine, c’était aussi d’apporter une base de travail solide et commune dans le cadre d’un programme présidentiel pour 2022. « Ce n’est pas un livret de slogans, a martelé le député de l’Ain. Le but est de proposer des mesures réalistes, concrètes et crédibles. Afin que si nous retrouvions le pouvoir, nous puissions rapidement les mettre en œuvre. »
Une révision de la Constitution pour y ancrer la laïcité
Parmi leurs propositions, les députés préconisent notamment une modification de la Constitution pour « mieux armer l’État de droit ». La députée Annie Genevard a ainsi suggéré d’inscrire dans l’article 1er de la Constitution que « nul individu ou groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer de la règle commune ». Mais aussi d’en modifier l’article 4 pour stipuler que « les partis et groupements politiques doivent respecter les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie et de la laïcité ». Elle a enfin proposé d’y inscrire une vieille antienne de la droite : « Un plafond d’immigration qui serait annuellement voté par le Parlement. »
Dans leur volonté d’exhaustivité, les députés Républicains n’ont pas oublié la question du voile. Ils reprennent notamment la proposition d’amendement des députés LREM Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau d’interdire le port du voile pour les mineurs dans l’espace public. Mais ils prônent aussi l’interdiction des signes religieux ostentatoires pour les accompagnants de sorties scolaires. Une mesure qui est doublée par la possibilité d’embaucher des contractuels pour que les sorties scolaires soient possibles pour tout le monde. « Il faut donner un signe fort. Il y a des lieux et des temps où la neutralité religieuse doit être respectée », a insisté Annie Genevard.
C’est aussi la députée du Doubs qui a décliné les propositions du groupe pour lutter contre la radicalisation à l’école et à l’université. Déplorant l’autocensure des professeurs, qui veulent éviter des incidents dans leur classe, Annie Genevard a insisté sur la nécessité d’éviter l’omerta. « Tout enseignant menacé dans l’exercice de ses fonctions doit savoir que son administration est derrière lui et qu’elle le protégera », a-t-elle souligné, en proposant de qualifier de « faute grave » le fait de passer sous silence tout fait réprésentant une menace grave à l’ordre public. Sur la question de la liberté d’instruction des familles, qui serait menacée par le projet actuel selon certains députés de l’opposition, elle a défendu une position médiane qui consiste à renforcer les contrôles pour sanctionner les tuteurs ne respectant pas les règles. Pour les universités, les députés proposent de créer des dispositifs de prévention reposant sur un référent « radicalisation » et une cellule d’écoute dans chaque établissement de l’éducation supérieure.
Catalogue
Sur la question de l’immigration, c’est Éric Ciotti qui a exposé les propositions du groupe visant à réformer la politique migratoire de la France. Une réforme que la droite juge depuis longtemps comme « centrale pour lutter contre l’insécurité et le terrorisme ». Le député des Alpes-Maritimes a commencé par dénoncer un projet gouvernemental sans courage, avant de souligner qu’il ne voulait pas d’un scénario à la Houellebecq, faisant ainsi référence au roman Soumission, dans lequel l’écrivain français raconte l’élection d’un président de la République issu d’un parti musulman.
« Comment concevoir un projet confortant le respect des principes de la République sans se soucier de l’immigration, alors même qu’en 2019, 500 000 étrangers en situation régulière sont arrivés en France ? » s’est-il interrogé. Cela avant de décliner les mesures du contre-projet, qui vont de l’expulsion des étrangers fichés au Fichier judiciaire national des auteurs d’infractions terroristes et de ceux qui constituent une menace grave pour l’ordre public au rétablissement des contrôles aux frontières nationales, en passant par un grand plan de développement pour l’Afrique. Éric Ciotti est aussi revenu sur l’encadrement du droit du sol. L’idée est de conditionner l’obtention de la nationalité à une manifestation de la volonté de devenir français et au respect de notre culture et de nos valeurs. « Obtenir la nationalité française à sa majorité ne doit plus être automatique pour un mineur né en France de parents étrangers dotés d’une carte de séjour, mais soumis à une déclaration préalable, une manifestation de volonté qui serait faite entre 16 et 21 ans », détaille le projet.
Reste que la majorité de ces 41 propositions est consacrée aux problèmes de la radicalisation. Ainsi Éric Diard, en s’appuyant sur une batterie de chiffres, a décliné les mesures pour lutter contre la radicalisation en prison, dans le sport et dans les services publics. « Trop de détenus de droit commun sortent des prisons radicalisés », a expliqué le député des Bouches-du-Rhône, qui a estimé qu’il serait 400 entre 2020 et 2021. Il propose donc entre autres de créer des prisons à sécurité différenciée, d’isoler systématiquement les détenus radicalisés et de créer 20 000 places de prison pour encourager l’encellulement individuel et pour assurer l’exécution des peines.
Ce projet est la loi 3D à l’envers : déséquilibre, dérobade et dissimulation.
Dans le sport, les députés LR souhaitent redonner au préfet le pouvoir d’agréer une association sportive, condition pour être reconnue et percevoir des financements publics. Mais aussi d’écarter les fichés au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste des postes d’éducateurs sportifs sur le modèle de ce qui se fait pour les délinquants sexuels. Dans les services publics, ils proposent que l’administration réalise une enquête préalable avant de recruter du personnel soignant, des éducateurs sportifs et des sapeurs-pompiers. En parallèle, ils appellent à repenser le Service national universel pour qu’il se fasse auprès d’acteurs régaliens.
Et si toutes ces mesures ne seront pas débattues dans l’hémicycle – certaines ayant été écartées pour irrecevabilité par la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’examiner le texte du gouvernement –, les députés LR sont bien décidés à faire entendre leurs voix. « Ce projet est la loi 3D à l’envers : déséquilibre, dérobade et dissimulation, mais nous allons nous battre pour que nos amendements soient discutés », a conclu Damien Abad. Sur ses sujets de prédilection, la droite n’entend certainement pas se fondre dans le macronisme.