La pandémie n’empêche pas les retours des djihadistes «revenants». Lundi, le djihadiste français Anthony M., parti de son île de la Réunion pour la Syrie un jour de 2014, a été placé en garde à vue dans les locaux franciliens de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Dans l’attente d’un défèrement et d’une mise en examen.
L’islamiste a été renvoyé de Turquie dans le cadre du protocole franco-turc dit «protocole Cazeneuve» du nom de l’ancien ministre de l’Intérieur de 2014 à 2016. Cette procédure de coordination et de sécurisation des retours de Français ou de résidents français membres des filières islamistes syro-irakiennes et interpellés en Turquie est en vigueur depuis septembre 2014 après un malentendu entre les deux pays, heureusement sans conséquence (la Turquie avait expulsé vers Marseille trois djihadistes attendus par les policiers français à… Paris, retardant d’une journée leur placement en garde à vue). Depuis, le protocole fonctionne et, entre 2014 et la fin de l’année 2019, quelque 250 individus, bloqués en Turquie sur la route du djihad ou ayant quitté la zone des combats, ont été ainsi renvoyés en France.
Outre une possible meilleure connaissance de son parcours dans la zone syro-irakienne, le retour d’Anthony M. pourra aussi éclairer le développement dans les années 2013-2015 d’une mini-filière d’envoi de djihadistes depuis La Réunion. Et de compléter la connaissance de l’islam radical dans ce département d’Outre-Mer qui, depuis vingt ans, défraie régulièrement la chronique comme foyer ou comme cible potentielle du terrorisme islamiste.
Un jeune poli et réservé radicalisé sur internet
Anthony M. a quitté son domicile, situé au nord de l’île, à l’automne 2014. Il était accompagné de son épouse. À l’époque, plusieurs jeunes Réunionnais suivent le même parcours et les enquêteurs s’intéressent à leur recruteur présumé et démantèlent le réseau en juin 2015. Le «prédicateur» autoproclamé a un profil étonnant et classique tout à la fois : ancien élève d’un lycée catholique, bachelier, vivant chez ses parents, poli et réservé. Et se «lâchant» sur internet.
Condamné depuis à huit ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, cet homme âgé de 21 ans lors de son arrestation, aurait «enseigné» à une quinzaine de jeunes élèves de 2013 à 2015. On le surnommait «l’Égyptien» en raison de ses séjours au pays des Pharaons, fort apprécié dans les années 2000-2010 des salafistes allant y parfaire leurs connaissances. À La Réunion, les «cours» se tenaient dans des appartements et auraient vanté la geste du Front Al Nosra, lié à l’époque à al-Qaida, mais aussi celle de Daech. Comme à l’habitude, ses fidèles ne verront de toute façon aucun problème à rallier l’une ou l’autre des organisations sur le terrain.
En juin 2015, plusieurs jeunes sont interpellés avant de quitter leur île mais une demi-douzaine a déjà pris la route du djihad. Parmi eux, un jeune homme de 23 ans qui serait mort en avril 2015 à Tikrit (Irak). Et Anthony M. Ce dernier, plus âgé que ses camarades et au profil plus inquiétant, était décrit comme une sorte de lieutenant de « l’Égyptien » et aurait gardé le contact avec lui en 2014-2015. Il aurait aussi demandé à sa mère, entendue sans suite par les enquêteurs, de lui envoyer de l’argent. Reste maintenant à la DGSI à cerner son rôle exact avant et après son départ.
La Réunion, foyer terroriste ?
Ce n’est pas en tout cas la première fois que La Réunion défraie la chronique antiterroriste. En mars 2020, Jérôme Lebeau, 25 ans, a été condamné à 28 ans de réclusion criminelle pour avoir tiré sur des policiers venus l’interpeller. Radicalisé, l’homme consultait force de vidéos de propagande djihadiste et s’entraînait au tir. Dans un autre registre, en 2018, un islamiste multirécidiviste, assigné à résidence dans l’île, était condamné pour apologie de terrorisme. Enfin, en 2003, un islamiste particulièrement dangereux, recherché par les juges antiterroristes Bruguière et Ricard, avait été interpellé par la DST dans un aéroport parisien. Il s’apprêtait à se rendre à La Réunion où les enquêteurs le soupçonnaient de vouloir se livrer à des repérages dans le cadre d’un projet d’attentat contre un complexe touristique