Il y a 66 millions d’années, une météorite a provoqué l’extinction de 75% des espèces animales. Une étude précise la chronologie de la catastrophe.
Sous la mer des Caraïbes, dans la péninsule du Yucatán, se trouvent les archives d’un des cataclysmes les plus dévastateurs de l’histoire de la Terre. Il y a 66 millions d’années, une météorite s’écrasait là, précipitant l’extinction de 75% des espèces animales et formant un cratère de 180 km de diamètre. Aujourd’hui, cette cicatrice s’étend à 17 m sous le niveau des mers. En 2016, une équipe de chercheurs est venue explorer le peak ring, un cercle de montagnes enterrées qui s’est formé à l’intérieur du cratère d’impact. Après avoir creusé à plus de 1 300 m sous le plancher de la mer des Caraïbes, les savants ont remonté quelque 300 carottes de roches comprimées, situées sous l’impact, et de roches fondues, remontées des profondeurs. Les résultats de cette étude, publiés en septembre 2019 dans la revue scientifique PNAS, permettent de reconstituer, presque minute par minute, les effets de la collision.
L’instant 1 : 10 milliards de bombes atomiques
Flash-back : nous sommes à la fin du crétacé (– 45 à – 66 Ma). Le globe terrestre a déjà presque sa configuration actuelle, si ce n’est qu’il y fait particulièrement chaud et qu’il n’y a donc ni calotte polaire ni glacier. Le niveau des mers se situe 120 m plus haut qu’aujourd’hui, recouvrant encore la future Amérique centrale. Plésiosaures et mosasaures – des reptiles marins – y côtoient des requins, des raies et une incroyable diversité de poissons. Sur les continents, tyrannosaures, vélociraptors et autres diplodocus règnent sans partage. Soudain, un énorme caillou d’une dizaine de kilomètres de diamètre perce l’atmosphère et s’écrase à près de 30 km/s dans l’actuel golfe du Mexique. Au moment de l’impact, d’une violence qui équivaut à 10 milliards de bombes atomiques, une onde de choc se crée et se propage dans le sol, ouvrant une cavité profonde de plusieurs kilomètres. « Les roches situées dans les trois premiers kilomètres sont fondues, vaporisées, fracturées, indique le géologue Philippe Claeys, professeur à la Vrije Universiteit Brussel (Belgique) et coauteur de l’étude. Une énorme pression s’exerce sur les roches plus profondes. Lorsque la cavité se referme, après quelques secondes ou minutes, ces roches sont violemment éjectées et retombent autour du cratère, formant le peak ring.
La 1ère heure : séismes en série et un tsunami de 1500 m de haut
En moins d’une heure, l’océan revient inonder l’immense fossé créé. Mais sa rencontre avec la roche en fusion provoque de nouvelles explosions, projetant de nouveau des fragments de roche ! Et le cauchemar continue : dans la journée, une succession de tremblements de terre, d’une intensité de 12 à 13 sur l’échelle de Richter (contre 9 pour les plus gros séismes actuels), génère un gigantesque tsunami – dont la hauteur est estimée à 1,5 km – déferlant dans tout le golfe du Mexique. Mais ce n’est pas tout ! Les nombreux morceaux de charbon retrouvés à proximité du cratère témoignent de violents incendies sur le continent. Les chances de survie dans un tel chaos ? Totalement nulles !
Les années suivantes : une chute des températures de 25°C
L’étude des roches prélevées dans le peak ring a permis en outre aux chercheurs de faire une découverte inédite. En utilisant la spectrométrie de fluorescence des rayons X, une technique d’analyse chimique qui sert à quantifier la composition élémentaire d’un échantillon, ils ont trouvé du fer, du calcium et du silicium en grande quantité, du chrome et du nickel dans une moindre mesure, mais quasiment aucune trace de soufre ! « Un tiers des roches autour du cratère de Chicxulub sont pourtant des évaporites (minéraux riches en sulfure) », souligne Philippe Claeys. Seule explication : « Elles ont toutes été vaporisées au moment de l’impact, expulsant d’énormes quantités d’aérosols de sulfate dans l’atmosphère. » Combinées aux suies des incendies, elles ont formé un épais brouillard bloquant la lumière mais aussi la chaleur du soleil pendant des années. « C’est comme si on avait enfermé la planète dans un immense frigo », poursuit le géologue. La température de la planète chute en moyenne de 25 °C et toute photosynthèse devient impossible. Sans compter que le soufre, en se recombinant à l’eau, forme des pluies acides mortelles, notamment pour les microplanctons. « Leur squelette, en carbonate de calcium, est très sensible au changement de pH de l’océan, note Philippe Claeys. Sous l’effet des pluies acides, ils se sont tout simplement dissous. »
Sur les continents comme dans les océans, « l’extinction n’a pas été instantanée, indique toutefois Philippe Claeys. Certaines espèces ont sans doute pu tenir une à deux générations, jusqu’à ne plus trouver de nourriture ou de partenaire pour se reproduire ». Dans les années qui ont suivi le crash de la météorite, tous les tétrapodes (animaux vertébrés munis de quatre membres locomoteurs) de plus de 25 kilos ont été rayés de la carte. Mais la vie a repris ses droits en seulement quelques milliers d’années. Un bel exemple de résilience.
La Terre a déjà connu 5 extinctions de masse
Il y a… 445 millions d’années (ordovicien)
Disparition d’espèces : 60 à 70%.
Cause probable : période glaciaire intense.
… 360-375 Ma (dévonien)
Disparition d’espèces : jusqu’à 75%.
Cause probable : épuisement de l’oxygène dans les océans.
… 252 Ma (permien)
Disparition d’espèces : 95%.
Causes probables : impacts d’astéroïdes, activité volcanique.
… 200 Ma (trias)
Disparition d’espèces : 70 à 80%.
Causes probables : multiples, toujours en débat.
… 66 Ma (crétacé)
Disparition d’espèces : 75%.
Cause probable : impact d’un astéroïde.
Aujourd’hui (holocène) On parle de 6e extinction de masse en cours.
Disparition d’espèces : inconnue à ce stade.
Cause probable : l’activité d’Homo sapiens.