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…le retour des familles de l’EI
La France, qui occupe le premier contingent de l’UE avec plus de 120 femmes et plus de 300 enfants sur place.
Il ne se passe pas une semaine sans qu’une rumeur d’évasion ou d’enlèvement d’enfants, l’annonce d’un meurtre ou les échos d’une grève de la faim ne s’échappe des camps de détenus de l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie. Pourtant, la question des familles de djihadistes européens, sous la garde des forces kurdes syriennes, demeure un lourd tabou tant au siège de l’Union européenne, à Bruxelles, que dans les capitales concernées. A commencer par la France, qui occupe le premier contingent de l’UE avec plus de 120 femmes et plus de 300 enfants sur place. Le sort des hommes n’est même pas évoqué tant il y a un consensus pour ne pas les rapatrier.
Les femmes et les enfants surtout, c’est une autre affaire. L’annonce, le 4 mars, par le premier ministre libéral belge, Alexander De Croo, que son pays allait rapatrier tous les enfants de moins de 12 ans, c’est-à-dire l’intégralité des mineurs belges actuellement dans les camps du Nord-Est syrien, a ouvert une brèche en Europe. Après la Finlande, qui a déjà rapatrié six femmes et une vingtaine d’enfants depuis 2019 et compte encore une demi douzaine de femmes et une douzaine d’enfants sur place, c’est le deuxième membre de l’UE à afficher un tel objectif. Bruxelles évoque une trentaine d’enfants alors qu’un autre comptage, réalisé en octobre 2020, en totalisait 37. « Les laisser là, c’est faire en sorte qu’ils deviennent les terroristes de demain », a justifié M. De Croo. La situation des femmes sera examinée «au cas par cas». Vingt et une Belges seraient aux mains des forces kurdes, la moitié au camp d’Al Hol, l’autre moitié à celui de Roj.
Cavalier seul
L’annonce de M. De Croo, due semblet-i-l à l’entrée des écologistes et des socialistes au gouvernement, a d’autant plus étonné que, jusqu’ici, la Belgique s’était rangée dans le camp des pays résolument hostiles aux rapatriements, tout comme la France, l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne. Dans les milieux européens, ce qui est apparu comme un cavalier seul de la Belgique n’a guère suscité d’enthousiasme. Aucun pays n’a, à ce stade, manifesté son intention d’imiter le gouvernement de M. De Croo. Certains diplomates auraient, tout au plus, approché la Belgique pour « bien comprendre » sa démarche ou « être rassurés », confie un expert.
Le camp de Roj, près de Derik (Syrie), où sont enfermées les familles de présumés membres de l’organisation Etat islamique, le 4 février. DELIL SOULEIMAN/AFP
Toutes les initiatives en vue d’une possible action conjointe des Européens dans ce domaine sont bloquées depuis plusieurs années. Les dernières discussions au sein d’un comité « ad hoc » datent de janvier et se sont limitées à un échange d’informations. Pour la diplomatie française à Bruxelles, pas question de déroger au principe selon lequel « le sujet est lié à la compétence des Etats ».
Lors du récent débat au Parlement européen sur la Syrie, à l’occasion du dixième anniversaire du soulèvement contre le régime de Bachar Al-Assad, le groupe écologiste a réussi à faire adopter un amendement demandant aux Etats membres de l’UE « de rapatrier tous les enfants européens » en prenant en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant », une formulation qui implique aussi le rapatriement des mères. « Un pas positif », s’est félicité Mounir Satouri, euro-député d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) qui a fait partie de la délégation de quatre parlementaires français – dont deux députés européens – empêchée de visiter les camps syriens début mars, selon les élus, qui pointent des pressions du Quai d’Orsay sur les autorités autonomes kurdes.
Pour la Journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme, le 11 mars, le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nunez, a répété la position française : « Ces enfants sont avec leur mère, ils ne seront pas séparés de leurs parents (…) Il n’est pas prévu de les faire revenir en France. La doctrine française n’a pas changé. Il y a déjà eu des rapatriements d’enfants orphelins ou de mineurs isolés », a-t-il ainsi déclaré sur RTL. Jusqu’à présent, 35 enfants français présentés comme orphelins ont été ramenés en France.
La doctrine française du « cas par cas », qui est en fait synonyme de non-rapatriement, n’a pas changé. Mais la pression s’est accrue ces dernières semaines avec la tentative de visite des élus français, et l’annonce de la grève de la faim d’une dizaine de détenues françaises afin d’obtenir leur rapatriement avec leurs enfants. Ces dernières acceptent le principe d’être jugées à leur retour. Ce n’est pas le cas des plus radicales, qui ont fait circuler un texte assurant leur refus de tout rapatriement et leur volonté de « rester dans les camps le temps qu’Allah décide de leur sort ». Elles fustigent « celles qui ont vendu leur religion à vil prix » afin d’être jugées par « un Etat criminel ».
« Aucune preuve »
Plus embêtant pour les pays européens, le conseil exécutif de l’Administration autonome du Nord Est syrien a publié un communiqué, jeudi 18 mars, appelant les pays concernés à rapatrier au plus vite leurs femmes et leurs enfants. « Nous n’avons aucune preuve » contre ces femmes, dit le texte, qui s’agace du fait que « des pays insistent pour ne rapatrier les enfants sans leur mère». C’est le cas de la France, mais aussi du Danemark (une vingtaine d’enfants, le nombre de femmes est inconnu), de la Suède (25 femmes et 60 enfants selon des chiffres de 2019) et de l’Espagne, qui n’a effectué aucun rapatriement à ce jour. A Madrid, le débat sur la question est inexistant, tout comme la transparence sur les chiffres.
Toutes les initiatives en vue d’une action conjointe des Européens sont bloquées depuis plusieurs années.
La presse espagnole a identifié au moins 4 femmes ayant 18 enfants, selon la chercheuse Carola Garcia Calvo, de l’Institut Real Elcano.
L’Allemagne est officiellement sur une position proche de la France. Dans les faits, elle fait preuve d’une réelle souplesse de puis qu’un tribunal a ordonné au gouvernement, fin 2019, de rapatrier une femme et ses trois enfants internés à Al-Hol. Plusieurs autres rapatriements ont eu lieu. Le dernier, en décembre 2020, a concerné trois Allemandes âgées de 21 à 38 ans, ainsi que 12 enfants de 2 à 12 ans, dont 7 orphelins. « Cette heureuse nouvelle nous conforte dans l’idée que nous pourrons également faciliter d’autres retours », s’était alors félicité le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas. Au moins l’une des trois femmes a été arrêtée à son arrivée et mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et complicité de crimes contre l’humanité.
Les raisons de ces refus de rapatrier sont diverses. Dans le cas de la Suède, l’entrée en vigueur tardive des lois criminalisant les départs (en 2016) et l’appartenance à une organisation terroriste (2020) empêche de juger les femmes. Ailleurs, on a à l’esprit la crise gouvernementale qui a coûté sa majorité à la première ministre norvégienne en janvier 2020 après le rapatriement d’une femme avec ses enfants. L’Elysée ne veut surtout pas d’un débat sur le thème à l’orée de la campagne présidentielle.
« Problèmes opérationnels »
Face à la dégradation continue des conditions sanitaires et de sécurité au camp d’Al-Hol (31meurtres depuis le début de l’année; 25 Françaises évadées en 2020-2021, dont 14 encore en fuite), l’Unicef a enjoint, le 28 février, aux Etats concernés de rapatrier leurs enfants : «Dans le nord est de la Syrie, il y a plus de 22 000 enfants étrangers d’au moins 60 nationalités qui croupissent dans les camps et les prisons », a déploré le directeur régional de l’agence, Ted Chaiban.
Mais même en cas de décision de rapatrier, « les problèmes opérationnels restent très importants », juge Thomas Renard, chercheur belge au Centre d’études Egmont. Ainsi, la Belgique a aussi été informée par les autorités kurdes de la « disparition » de certaines femmes, sans qu’il soit établi précisément si elles s’étaient échappées ou se cachaient.
Christophe Ayad, Anne Françoise Hivert (suède) Sandrine Morel (à Madrid), Jean Pierre Stroobants (à Bruxelles) et Thomas Wieder (à Berlin)
« Nous ne pouvons pas laisser les enfants dans les camps » chargé en décembre 2019 par le gouvernement de la sociale démocrate Sanna Marin de gérer les rapatriements de ressortissants finlandais, le diplomate Jussi Tanner plaide pour le retour des enfants et de leurs mères.
Quelle est la position de la Finlande ?
La Constitution finlandaise impose de garantir les droits fondamentaux des enfants, dans la mesure du possible. Fin 2019, le chancelier de justice a estimé qu’en vertu de cette obligation constitutionnelle, nous devions rapatrier les enfants. Mon gouvernement m’a désigné pour exécuter cette tâche. Quand nous n’étions pas en mesure de les faire revenir, nous avons essayé d’améliorer leurs conditions de vie sur place. Mais ma position est qu’il faut les sortir de là.
Et leurs mères ?
Jusqu’à maintenant, nous ne pouvons pas rapatrier les enfants sans elles. Dans la majorité des cas, c’est impossible: les autorités sur place refusent de séparer les enfants de leur mère. Certains objectent que la France le fait. Dans certaines conditions très exceptionnelles, c’est possible, avec l’accord de la mère. Concernant les enfants finlandais, ce n’est, pour la très grande majorité d’entre eux, pas une solution. Et, si en Finlande les services sociaux peuvent retirer la garde de leurs en fants à des parents, demander à un groupe armé non étatique de le faire nous place sur un terrain dangereux, légalement. Dans ces conditions, et parce que les droits des enfants prévalent, les mères peuvent les suivre.
Ne représententelles pas un risque sécuritaire ?
Quand le gouvernement m’a mandaté, il m’a aussi imposé de considérer chaque cas du point de vue de la sécurité nationale. Les agences compétentes doivent me fournir les informations dont elles disposent. Avec mon équipe, nous examinons les risques. Ils doivent être concrets, conséquents et bien documentés car si la mère ne revient pas, les enfants non plus. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été en mesure d’établir que ces risques étaient suffisamment importants pour outrepasser les droits des enfants.
Ces femmes sont elles jugées à leur retour ?
La législation finlandaise a été critiquée pour ne pas être suffisamment sévère avec les djihadistes : voyager avec l’intention de rejoindre une organisation terroriste n’est interdit que depuis 2016. Ces femmes sont parties avant. Et la loi ne peut être appliquée rétroactivement. Par contre, elles peuvent être condamnées pour autre chose. Nous ne pouvons pas laisser les enfants dans les camps, seulement parce que leurs mères ne pourront peutêtre pas être jugées en Finlande.
Votre gouvernement estime aussi qu’il y a un risque de sécurité
à garder les enfants sur place…
Nous savons que, tôt ou tard, la très grosse majorité d’entre eux finira par rentrer en Finlande. Ils ont un droit constitutionnel de revenir quand ils le veulent. Le choix nous revient de décider quand et comment. S’ils rentrent maintenant, nous pouvons mettre en place des mesures susceptibles de rétablir une forme de confiance. Ils sont scolarisés, ont accès aux soins, leur sécurité est garantie… Les services de renseignement peuvent suivre leur trajectoire. S’ils rentrent plus tard, ils auront grandi clandestinement au Moyen Orient, seront probablement radicalisés, sans éducation, sans compréhension de ce qu’est la société finlandaise. La première option est bien meilleure pour la sécurité nationale.
Que pensezvous de la décision d’autres pays de ne pas rapatrier les mères ?
C’est une question difficile pour tout le monde et la réalité politique et légale varie d’un pays à l’autre. En Finlande, il me semble que le débat n’est plus le même depuis fin 2019. Le bruit s’est atténué. Mais il y a toujours des gens en désaccord. Mais avec mon équipe, nous sommes déterminés à ne pas nous arrêter avant d’avoir ramené tous les enfants.
Propos recueillis par A.F. H. (Malmö, Suède, correspondante régionale)