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La polémique suscitée par la «carte de l’islam» en Autriche constitue…
…un nouveau point culminant dans un conflit particulièrement passionné. Car le pays réprime violemment les mouvements islamistes depuis des années. En Allemagne, les politiciens commencent tout doucement à apprendre de la stratégie autrichienne.Par LENAPublié hier à 16:56, mis à jour il y a 1 heure
Par Klaus Geiger (Die Welt)
La façade bigarrée et fantaisiste du Musée Hundertwasser ne passe pas inaperçue. Juste au coin de la rue, dans le quartier viennois de Weißgerber, se trouve une maison qui, quant à elle, est loin d’attirer l’attention. Derrière la porte grise de cet immeuble d’habitation se trouve la mosquée Tuna. Il s’agit de l’une des centaines de petites mosquées discrètes qui ont vu le jour en Autriche — tout comme en Allemagne. Souvent, seuls les initiés savent où elles sont situées et ce qui y est prêché.
Cette mosquée du quartier viennois de Weißgerber constitue l’un des plus de 600 points figurant sur une carte qui, depuis des jours, suscite l’émoi en Autriche. Le gouvernement du chancelier fédéral Sebastian Kurz a en effet présenté une « carte de l’islam », dont l’objectif est de renseigner sur les institutions musulmanes présentes dans le pays.
On peut par exemple y apprendre que la mosquée Tuna est gérée par la Fédération islamique (FI). Il s’agit de la branche autrichienne du mouvement Millî Görüş, qui est également actif en Allemagne et fait l’objet d’une surveillance de l’Office pour la protection de la Constitution depuis de nombreuses années.
Dans les notes textuelles accompagnant la carte interactive, on peut lire que la FI gère environ 70 mosquées en Autriche, que ses imams sont généralement formés en Égypte et que la plupart ne parlent pas allemand. On apprend aussi que le mouvement Millî Görüş s’efforce de promouvoir un « mode de vie islamique conforme à la charia » qui, pour ses adeptes, « prévaut sur le contexte régional, culturel et social d’une société ».
Pourquoi l’islam de France se déchire
Cette carte de l’islam est la dernière offensive d’une politique dans le cadre de laquelle, ces dernières années, l’Autriche s’est muée en une sorte de laboratoire se livrant à une lutte sans compromis contre l’islam politique. Et aujourd’hui, l’Allemagne se tourne vers son voisin pour comprendre quelles sont les conséquences de cette stratégie anti-islamisme. Pour certains acteurs de la politique allemande, l’Autriche est clairement devenue un modèle à suivre. D’ailleurs, les idées récemment avancées par le groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag ressemblent en grande partie à ce qui existe déjà là-bas.
Une carte de l’islam vivement critiquée
Les rapports entre le gouvernement de Vienne et les associations islamiques sont particulièrement tendus, et les critiques formulées à l’encontre de cette carte sont nombreuses. « Cette criminalisation de la vie musulmane doit cesser au plus vite, et la carte de l’islam doit être mise hors ligne », s’est indignée la Jeunesse musulmane d’Autriche (MJÖ). « En publiant les noms, fonctions et adresses d’institutions musulmanes ou considérées comme musulmanes, le gouvernement a clairement franchi une limite. »
Alors que la MJÖ souhaite porter plainte contre cette carte, le partenaire de coalition vert du Parti populaire autrichien (ÖVP) au pouvoir s’est également montré particulièrement « irrité » par le document. Quant aux sociaux-démocrates, ils n’ont pas hésité à formuler des critiques encore plus acerbes : « Je rejette fondamentalement toute stigmatisation des religions », a déclaré le maire SPÖ de Vienne, Michael Ludwig, au quotidien « Standard ». « Cette carte ne contribue absolument pas à l’intégration, mais favorise la division sociale. »
Telles sont les deux principales accusations formulées à l’encontre de la carte : toutes les institutions islamiques y seraient reprises — qu’elles aient ou non des tendances politiques problématiques — avec publication des noms et adresses exacts — ce qui est discutable au regard de la loi sur la protection des données et compromet la sécurité des personnes concernées. La ministre autrichienne de l’Intégration Susanne Raab, qui est à l’origine de cette carte élaborée par des scientifiques, voit les choses autrement. Les données utilisées sont toutes accessibles au public, que ce soit sur Internet ou via le registre des associations, assure Madame Raab au journal DIE WELT.
« Si vous me dites aujourd’hui que vous souhaitez fonder une association islamique, mais que vous ne voulez pas qu’on le sache, qu’on ait connaissance de ce que vous y faites ou que soit révélée votre identité, c’est que vous préférez prêcher dans des arrière-salles privées, et il est là le problème. » Pour elle, cette carte servirait également les intérêts des musulmans qui refusent de se mêler à des mouvements extrémistes. « Après tout, ils doivent pouvoir savoir dans quelle mosquée ils se rendent et quelles sont les structures et idéologies qui la sous-tendent. »
Susanne Raab est une confidente de longue date du chancelier autrichien Sebastian Kurz. Elle a déjà travaillé sous la direction de l’actuel chef du gouvernement lorsqu’il était encore secrétaire d’État à l’Intégration au début de sa carrière politique, en 2011. Les grandes lignes de la politique de lutte contre l’islam politique datent de cette époque. La loi sur l’islam, qui stipule que le droit autrichien prime toujours sur les règles de la religion islamique, est en vigueur depuis 2015. C’est notamment sur la base de cette loi qu’en 2018, Sebastian Kurz a fait fermer plusieurs mosquées et expulser des dizaines d’imams turcs, s’attirant à l’époque les foudres du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Un échange avec l’Autriche serait «expressément souhaité»
L’Allemagne n’a pas encore défini de ligne de conduite claire concernant ses rapports avec les associations islamiques. En avril, le groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag a publié une prise de position dans laquelle il appelle, avec une clarté sans précédent, à l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour l’Allemagne. Ainsi, l’Allemagne se focaliserait beaucoup trop sur les islamistes enclins à la violence, peut-on lire dans ce document.
Dans le même temps, cependant, les « représentants de l’islamisme politique » en Allemagne seraient « perçus comme des représentants religieux légitimes et non comme des adeptes d’une idéologie extrémiste ». Ce qu’il faudrait, c’est une « vue d’ensemble systématique et détaillée » et une mise en relation des connaissances disponibles dans l’ensemble de l’Europe. À cet effet, un centre de documentation portant sur l’« Islamisme politique en Allemagne et en Europe » devrait être créé. « Une mise en réseau et l’échange avec des institutions similaires, par exemple en Autriche, sont expressément souhaités. »
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En Autriche, la coalition noire-verte a créé un tel centre de documentation l’année dernière. La carte de l’islam est l’un de leurs premiers grands projets. Bien évidemment, la suite des événements en Allemagne dépend également du résultat des élections au Bundestag. Mais même si le prochain chancelier est à nouveau issu des rangs de la CDU, des points d’interrogation subsistent.
Récemment, le candidat au poste de chancelier Armin Laschet a été vivement critiqué lorsqu’il a annoncé qu’il souhaitait à nouveau coopérer avec l’association islamique du Ditib dans le cadre de l’enseignement religieux islamique en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. L’organisation est en effet directement subordonnée au Diyanet (DIB), la direction des affaires religieuses du gouvernement turc.
Si la chancellerie du Land d’Armin Laschet a assuré que des « changements substantiels » avaient été apportés aux statuts du Ditib, les experts ne parviennent pas à déterminer à l’unanimité si ces mesures lui garantissent désormais une véritable indépendance vis-à-vis de la Turquie. L’organisation sœur du Ditib en Autriche s’appelle l’ATIB. Et voici ce qu’on peut lire dans les notes accompagnant la carte de l’islam en Autriche : « Même si ses représentants tentent de le nier, la mission de l’ATIB, selon de nombreux rapports et enquêtes, est fortement influencée par le DIB d’Ankara. »
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