Alors que l’été s’annonçait calme sur le plan épidémique, l’arrivée du variant Delta a bousculé les prévisions. L’incidence est désormais repartie à la hausse, et la saturation du système hospitalier n’est plus à exclure pour la fin du mois d’août. «En mai dernier, nous avons travaillé sur des modèles mathématiques qui exploraient des scénarios de reprise avec des taux de transmission du virus (R effectif) inférieurs à 1,3, explique Simon Cauchemez responsable du laboratoire de modélisation mathématique des maladies infectieuses à l’Institut Pasteur et membre du conseil scientifique. Or, on observe que le R effectif du variant Delta est aujourd’hui plus proche de 2. Ce qui signifie qu’il faut entre quatre et dix jours pour voir doubler le nombre de cas lié à ce variant.»
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«Nous avons été très surpris de voir que le niveau de transmission du variant Delta en France correspond aux marges hautes de ce qui a été constaté dans les autres pays , ajoute Vittoria Colizza, directrice de recherche à l’Inserm. On a heureusement constaté qu’avec les précédents variants l’avantage de transmissibilité estimé au début diminue légèrement au cours du temps. On peut légitimement espérer la même chose pour le Delta.»
« Les efforts à fournir pour aplanir la courbe ne sont pas insurmontables. »
Simon Cauchemez (Institut Pasteur)
Dans un article mis en ligne le 13 juillet, les scientifiques de l’Institut Pasteur envisagent, dans le pire des scénarios, une hausse du nombre de contaminations quotidiennes qui pourrait atteindre les 40. 000 au 1er août. Cette hausse serait mécaniquement suivie par celle des cas graves. Début septembre, nous atteindrions ensuite un pic d’hospitalisation supérieur à celui de la première vague. Des résultats corroborés par les travaux de la scientifique de l’Inserm mis en ligne le même jour. «Ce scénario est assez sombre, mais nous avons de réelles raisons de garder un certain optimisme, tempère Simon Cauchemez.Contrairement à ce que nous avons pu connaître ces dix-huit derniers mois, les efforts à fournir pour aplanir la courbe ne sont pas insurmontables. On peut espérer que les annonces sur la vaccination vont limiter le risque de devoir mettre en œuvre de nouvelles mesures de restriction.»
Vigilance pour le Sud
Pour éviter un nouvel engorgement, il faudra parvenir à faire passer le R du variant Delta de 2 à 1,5, soit une réduction de 25 %. Une hausse de la vaccination cet été pourrait ainsi être suffisante pour y arriver. «On ne peut cependant pas espérer atteindre l’immunité collective si la vaccination n’est pas homogène, prévient Simon Cauchemez. Si des régions ou des classes d’âge entières sont sous vaccinées, on s’expose à des reprises localisées de l’épidémie qui peuvent ensuite gagner l’ensemble de la population. Si on relâche trop tôt et que les plus jeunes ne sont pas vaccinés, il y aura des épidémies dans les écoles, et donc un réservoir de virus pour le reste de la population.» Car, même avec un taux de vaccination très élevé chez les publics les plus fragiles, il reste des poches de non-vaccinés suffisamment importantes pour voir exploser le nombre de cas graves.
La vaccination de 90 % de la population adulte, objectif qu’est en passe d’atteindre le Royaume-Uni, a longtemps été considérée comme nécessaire pour stopper le virus et atteindre l’immunité de groupe. Depuis l’apparition du variant Delta, ce seuil paraît insuffisant. «On ne sait pas encore quel serait le taux de transmission du nouveau variant si on levait toutes les restrictions, analyse Simon Cauchemez. Il est donc difficile de savoir quel niveau de couverture vaccinale il faudrait atteindre pour abandonner toutes les mesures de freinage. Mais on reste sur des niveaux très élevés. Nous avons publié il y a une dizaine de jours un article montrant que, en vaccinant 90 % des plus de 60 ans, 70 % des 18-59 ans et 30 % des 12-17 ans, nous resterions exposés à une vague épidémique comparable à celle de novembre 2020.»
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Mais, en vaccinant la moitié des non-vaccinés (ce qui revient à vacciner encore 2 millions d’adolescents, 8 millions de personnes âgées de 18 à 60 ans, et 1,5 million de plus de 60 ans), ce pic serait réduit de 90 %.«Dans nos scénarios, il y a une réelle différence selon que l’on se projette avec une vaccination constante ou avec une hausse du rythme, ajoute Vittoria Colizza. Il y a donc beaucoup de raison d’être optimiste, mais il faudra également renforcer les mesures de suivi des cas contacts dans plusieurs régions. Le rythme de progression du variant est exponentiel, alors que l’administration de vaccins ne peut pas suivre la même dynamique. Les autres mesures (gestes barrières, traçage et isolement des cas) restent fondamentales.»
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La scientifique appelle à une vigilance renforcée pour le sud du pays. Relativement épargné lors des premières vagues, le niveau d’immunité naturelle y est un peu plus faible qu’ailleurs. «C’est aussi une région qui risque de se retrouver très prise par le tourisme, qui va donc voir sa population estivale augmenter, comme on l’a vu l’été dernier, ajoute Vittoria Colizza. Il y a en plus quelques départements particulièrement concernés par le variant Delta.»