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…la conquête de nouveaux territoires
RÉCIT – Dans les quartiers du Mirail et des Izards, les trafiquants ordonnent aux résidents de ne pas parler à la police sous peine de représailles.
Par Laurent Marcaillou
Un policier arrête un homme, le 11 mars, après une fusillade dans le quartier de la Reynerie, à Toulouse, connu pour le trafic de drogue. NATHALIE SAINT-AFFRE/PHOTOPQR/LA DEPECHE DU MIDI/MAXPPP
Toulouse: Une série de règlements de comptes a endeuillé au mois d’août le quartier sensible des Izards, au nord de Toulouse, gangrené par le trafic de drogue. Dans ce quartier de HLM en reconstruction, trois fusillades et une attaque à l’arme de poing ont éclaté en deux semaines, une fréquence jamais vue jusque-là même si la Ville rose connaît deux à trois règlements de compte par an. Ces quatre actions de vendetta commises du 10 au 24 août ont fait deux morts et quatre blessés. La plupart des victimes étaient connues pour trafic de stupéfiant.
L’Office anti-stupéfiants, fer de lance d’un combat contre le narcotrafic
La première fusillade éclate le 10 août vers 22 h 50 sur la place Micoulaud, où des guetteurs prennent position autour de la bouche de métro. Un homme de 30 ans est tué avec une arme de gros calibre et deux autres de 22 et 23 ans sont blessés. La multiplication des tirs – une dizaine de douilles retrouvées – provoque la panique des habitants. «Une nouvelle fois, les armes ont parlé, c’est du gros calibre et ça se passe sur la voie publique!», a déploré le secrétaire régional du syndicat Unité SGP Police, Didier Martinez. Trois jours plus tard, dans la nuit du 13 août, deux hommes encagoulés sur un scooter T-Max tirent plusieurs coups de feu dans la rue des Chamois, qui dessert les HLM où se déroule le trafic, sans faire de blessés. Puis, samedi 22 août, un homme de 29 ans est blessé à la jambe, dans la rue Ernest-Renan.
Plus grave, le 24 août à 22 h 45, deux hommes provenant des quartiers HLM du Mirail, au sud-est de la ville, tirent à l’arme automatique depuis leur voiture sur les guetteurs du point de deal des Izards, devant la poste. Ils blessent un adolescent de 17 ans décédé deux heures après à l’hôpital. Cette fois, la police a pu suivre la voiture et arrêter les deux occupants qui s’étaient cachés dans une concession BMW au Mirail. Les deux hommes de 19 et 28 ans, connus de la justice, ont été mis en examen pour meurtre en bande organisée. L’un portait un gilet pare-balles et avait des traces de poudre sur les mains. Dans la Golf noire abandonnée, la police a retrouvé six armes dont un pistolet-mitrailleur, des fusils et des armes de poing.
«L’approvisionnement en armes lourdes monte en puissance depuis cinq ans,indique Didier Martinez. Il y a eu une dizaine de règlements de comptes à Toulouse depuis trois ans dont les derniers aux Izards. Les dealers des quartiers se querellent pour la conquête de nouveaux territoires ou pour revenir sur un territoire à leur sortie de prison.»Cette série de fusillades pourrait être due au démantèlement d’un important réseau de drogue aux Izards. Le 22 juin, la brigade des stupéfiants de la Sûreté départementale de la Haute-Garonne a arrêté seize personnes de 20 à 40 ans, dont le chef du réseau, et saisi 45 kg de résine, 4,5 kg d’herbe de cannabis et 1 kg de cocaïne d’une valeur de 350.000 euros à la revente.
La chute de ce réseau aurait entraîné une bataille pour reprendre le secteur, sur fond de rivalités entre les trafiquants du Mirail et des Izards
Les policiers ont aussi retrouvé 45.000 euros en espèces, des armes lourdes et de poing, des vêtements et des voitures de luxe. Certains délinquants ont été arrêtés dans l’agglomération mais d’autres étaient «en train de prendre du bon temps à Saint-Tropez, dans une villa de luxe à plus de 1000 euros par jour», a précisé Nelson Bouard, directeur départemental de la sécurité publique. Les points de deal des Izards rapporteraient entre 15.000 et 20.000 euros par jour.
La chute de ce réseau aurait entraîné une bataille pour reprendre le secteur, sur fond de rivalités entre les trafiquants du Mirail et des Izards. Dans ces quartiers, les dealers ordonnent aux résidents de ne pas parler à la police sous peine de représailles. Aux Izards, les trafiquants ont même placardé une affiche menaçant les habitants d’un immeuble HLM! «J’aimerais bien partir mais l’office HLM nous propose d’habiter ici ou au Mirail, déplore un père de quatre enfants.Quand je téléphone à ma femme et qu’elle ne répond pas, j’ai peur qu’elle ait pris une balle! Depuis les fusillades de cet été, les gens rentrent chez eux à 19 ou 20 heures, alors qu’avant ils restaient dehors tard le soir. C’est devenu plus grave qu’à Marseille!»
Didier Martinez fait le même constat. «Toulouse est dans la même dynamique que Marseille,dit-il. Plusieurs centaines de personnes ne vivent que du trafic de stupéfiants avec une hiérarchie déterminée et du marketing (des emballages de cannabis mentionnant «made in Reynerie» – Toulouse, ont été retrouvés, NDLR). Ils font de la provocation en affichant les promotions sur les drogues sur les murs des cités!»
À Grenoble, le quartier Mistral vit au rythme du deal et des patrouilles de police
Face à la montée de la criminalité, les syndicats de police et le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (LR), qui rencontrera le premier ministre à la fin septembre, demandent à l’État d’ajouter 150 policiers aux 1400 actuels. «À Nice, pour un règlement de compte en août, le ministre de l’Intérieur est allé sur place et a doté la ville d’une quinzaine de policiers, alors qu’à Toulouse, on n’a pas eu de visite ni d’annonce après les quatre fusillades de cet été!», peste Didier Martinez.