On connaissait la fable du colibri qui, face à un incendie, s’active pour éteindre le feu, petite goutte par petite goutte. Nous découvrons désormais l’histoire du colibri qui immobilise (momentanément) un gigantesque chantier d’oléoduc.
Au Canada, le ministère fédéral de l’Environnement a ordonné fin avril la suspension d’une partie des travaux d’expansion du pipeline Trans Mountain. La raison : des nids de colibris d’Anna — oiseau emblématique de la ville de Vancouver (Colombie-Britannique) — ont été découverts, endommagés, sur le secteur du chantier dans une forêt de Burnaby, en Colombie-Britannique.
« C’est une famille de petits oiseaux, décrit à Reporterre Steven Price, président de l’organisme Oiseaux Canada. On les trouvait normalement dans le sud-ouest des États-Unis mais avec le changement climatique, ils sont de plus en plus nombreux dans l’ouest du Canada. »
Des travaux suspendus pendant quatre mois
Les colibris d’Anna ne sont pas en voie d’extinction, mais sont protégés par le Canada’s Migratory Bird Act de 1994, qui précise que tout projet affectant les populations d’oiseaux doit être mis sur pause jusqu’à ce que la saison de nidification soit terminée. « Cette espèce est un symbole, qui a été la première citée dans les médias, mais beaucoup d’autres oiseaux sont aussi dans leur saison de reproduction, comme le tarin des pins, la mésange à tête noire ou le bruant chanteur », précise Steven Price.
Ainsi, les travaux d’élargissement du Trans Mountain vont être suspendus sur un secteur de 900 mètres, pendant quatre mois (jusqu’au 20 août), dans la région d’une forêt de Burnaby. Des oiseaux qui bloquent une construction, cela arrive régulièrement, « trois ou quatre fois par an », estime Steven Price.
Mais pour lui, cette pause de chantier n’est pas suffisante : « L’année prochaine, à la même période, il n’y aura plus d’habitat naturel pour ces oiseaux puisque les arbres auront été coupés, poursuit-il. Il est possible qu’ils aillent nicher dans d’autres forêts, mais on ne peut en être certain. C’est une situation de mortalité indirecte. » S’il se réjouit de la législation canadienne actuelle — qu’il qualifie de « plancher » — qui protège les oiseaux, il milite pour des lois plus fortes, qui garantiraient la préservation de leur habitat naturel.
Un oléoduc de plus de 1 000 kilomètres
Ce projet d’élargissement d’oléoduc Trans Mountain crée la polémique depuis plusieurs années. « C’est un projet d’expansion d’un pipeline actuel, qui part de l’Alberta (là où est produit le pétrole issu des sables bitumineux), traverse les Rocheuses canadiennes sur plus de 1 150 kilomètres et arrive dans la région de Vancouver, rappelle à ReporterrePatrick Bonin, porte-parole et responsable de la campagne énergie-climat de Greenpeace Canada. Le projet vise à rajouter un autre pipeline qui longerait l’actuel, pour permettre l’augmentation de la production de pétrole bitumineux, et son exportation. »
Le nouvel oléoduc doit être achevé à la fin de l’année 2022. Les deux pipelines pourraient alors transporter 890 000 barils de pétrole par jour, contre 300 000 actuellement. Cela triplerait le débit de pétrole, et multiplierait par sept le nombre de bateaux pétroliers dans les eaux côtières de la région de Vancouver.
Le propriétaire de l’ancien pipeline et promoteur du projet d’expansion est… le gouvernement canadien. En 2018, le gouvernement de Justin Trudeau a racheté à la pétrolière texane Kinder Morgan l’oléoduc existant et le projet, pour la somme de 4,5 milliards de dollars. Plusieurs recours ont depuis été déposés, notamment par des communautés autochtones qui craignent les risques de déversement de pétrole toxique sur leurs territoires ou dans la mer, menaçant à la fois leurs activités économiques liées à l’océan et les écosystèmes.
« On ne peut pas respecter l’Accord de Paris tout en investissant dans ce pipeline »
Une étude publiée au début du mois d’avril, produite par une équipe de l’université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, a montré que les Canadiens pourraient perdre près de 12 milliards de dollars avec ce projet d’agrandissement. En cause : les risques environnementaux en cas de déversement, les prévisions de futures réductions de la demande de pétrole issu de sables bitumineux, et les coûts des travaux qui ne cessent d’augmenter.
« Juste pour la production supplémentaire de pétrole issu des sables bitumineux, ce projet va générer des émissions annuelles de gaz à effet de serre équivalentes à l’ajout de plus de quatre millions de véhicules sur les routes, ajoute Patrick Bonin. C’est un véritable désastre du point de vue climatique. »
Pourtant, le gouvernement de Justin Trudeau persiste. Et va même jusqu’à dire qu’il s’engage à « investir chaque dollar généré par ce projet dans la transition écologique du Canada » ! « C’est un non-sens total,soupire Patrick Bonin. On ne peut pas respecter l’Accord de Paris tout en investissant dans ce pipeline. Il faut réduire nos émissions dès maintenant, trouver pour les travailleurs et les communautés des emplois dont ils pourront être fiers et qui seront respectueux de l’environnement. On demande au gouvernement d’arrêter immédiatement ce projet dont on n’a pas besoin. » Le colibri a fait sa part, aux politiques de prendre la leur.
C’est maintenant que tout se joue…
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