Jean-Charles Brisard est président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT). Thibault de Montbrial est avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI).
Il y a quelques jours, nous alertions les pouvoirs publics sur la présence et l’activisme accrus dans l’espace public de prévenus pour des faits de terrorisme ou d’anciens détenus condamnés pour des faits liés au terrorisme islamiste (TIS) ayant purgé leur peine.
Il s’agit d’une tendance émergente, observée depuis plusieurs mois et liée à de nombreuses sorties de prison. Elle témoigne, de la part des intéressés, d’une volonté manifeste d’intimidation, sinon de harcèlement à l’égard des institutions publiques et privées impliquées dans la lutte contre le terrorisme ou la défense des victimes.
Cette situation est d’autant plus marquée dans le contexte du procès des attentats de janvier 2015, qui s’est ouvert le 2 septembre . À partir du 10 septembre dernier, des menaces étaient émises et réitérées par al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa) et l’État islamique (EI), contre la France et Charlie Hebdo , notamment après la republication des caricatures dans l’hebdomadaire . Ainsi, le 10 septembre, Aqpa diffusait un communiqué officiel appelant à prendre pour cible «les employés du journal (…), son directeur et ses dessinateurs» et à soutenir «les accusés dans l’affaire Charlie Hebdo» . L’organe médiatique al-Kifah Media, proche d’al-Qaida, diffusait le même jour un communiqué appelant à tuer ceux qui insultent le Prophète, désignant nommément trois des responsables du journal Charlie Hebdo . Le 11 septembre, l’organe médiatique d’al-Qaida, as-Sahab Media, diffusait le périodique One Ummah, réitérant les mêmes menaces contre la France et Charlie Hebdo . Plusieurs appels à frapper notre pays ont également été lancés par des sympathisants de l’État islamique depuis lors.
Cet activisme se manifeste en France même par des menaces de mort explicites et ciblées ainsi que par des provocations, parfois physiques. Leurs auteurs menacent des institutions publiques ou privées ainsi que des personnes nommément désignées, notamment via les réseaux sociaux. Ces menaces sont proférées le plus souvent en toute impunité, protégées qu’elles sont par l’anonymat et surtout par le refus de ces plateformes d’agir en conséquence. Le fait que des menaces de mort enfreignent la loi française mais pas les règles d’utilisation des plateformes internet est devenu inacceptable.
Il est désormais fréquent de croiser dans le public de ces audiences d’anciens membres de l’État islamique, des « frères d’armes » des prévenus ou des individus radicalisés
L’activisme de la mouvance islamiste radicale endogène se manifeste également par une présence désormais désinhibée de ces personnes dans l’espace public. Ainsi, d’anciens détenus pour des faits liés au terrorisme islamiste sont régulièrement présents aux audiences pénales, devant le tribunal correctionnel comme devant la Cour d’assises spécialement composée. Il est désormais fréquent de croiser dans le public de ces audiences d’anciens membres de l’État islamique, des «frères d’armes» des prévenus ou des individus radicalisés. Ils sont régulièrement impliqués dans des incidents qui se produisent en marge de ces audiences et qui ne témoignent pas seulement d’un soutien aux prévenus mais également d’une défiance à l’égard des institutions et du prolongement d’un combat idéologique. Il s’agit d’insultes et de menaces verbales, y compris contre les magistrats, de manifestations d’hostilité et parfois de filatures de nos collaborateurs.
Ainsi, lors du procès des attentats de janvier 2015, plusieurs individus connus des services ont été identifiés dans le public.
Ils sont également présents à d’autres événements publics en lien avec le terrorisme tels que des conférences sur ce thème, où ils adoptent une attitude de défiance, soit en tentant de déjouer les filtres et les contrôles de sécurité, soit en perturbant ces manifestations.
Pareilles provocations se manifestent également au quotidien par des appels téléphoniques, des courriels et des courriers d’intimidation de la part de ces personnes. Le croira-t-on? On ne compte plus les démarches de signalement que les intéressés opèrent auprès des réseaux sociaux dans le but d’obtenir le retrait de contenus relatifs au terrorisme. Une plainte surréaliste a même été déposée pour avoir révélé un projet d’attentat dont le plaignant est lui-même le protagoniste.
Le procès des attentats de janvier 2015, en tout point hors normes, a entraîné un regain d’activité et d’hostilité dans la sphère islamiste endogène, sur l’ensemble du spectre des individus radicalisés, avec les encouragements des principaux groupes djihadistes. Face à cette situation, on reste confondu par la naïveté, la complaisance et parfois la lâcheté de certains observateurs.
Les menaces et incidents à l’encontre des acteurs de ce procès sont multiples, elles visent des parties civiles, des témoins, notamment des membres de Charlie Hebdo – en particulier sa DRH, qui a dû être exfiltrée en urgence de son domicile – ainsi que deux avocats.
Combinés à un calendrier symboliquement chargé en cette fin d’année 2020 tant sur le plan judiciaire (procès des attentats de janvier 2015, de l’attaque avortée de Villejuif, puis de celle du Thalys) que politique (projet de loi annoncé contre le séparatisme), ces éléments nous conduisent à craindre une résurgence d’attaques terroristes sur notre territoire.
Dans un contexte marqué par une menace terroriste endogène protéiforme, diffuse et largement imprévisible, en raison de passages à l’acte inspirés par la propagande des organisations djihadistes, l’hypothèse d’actions violentes ciblées contre des personnalités régaliennes ou engagées dans la lutte contre le terrorisme ou contre l’islamisme en général nous paraît devoir être sérieusement envisagée.