Après la polémique sur le financement de la nouvelle mosquée de Strasbourg ou la présence de candidats aux positions controversées sur ses listes aux élections départementales et régionales, Europe Écologie-Les Verts s’est vu reprocher ces derniers mois un positionnement trop souple face aux intégrismes religieux. Jusqu’à Anne Hidalgo accusant ses alliés verts à la mairie de Paris d’avoir « un problème de rapport à la République ».
Dernière controverse en date : Cap 21, la formation de Corinne Lepage a été exclue de la primaire écologiste prévue en septembre. Avant de s’engager à soutenir le vainqueur de l’élection, l’ancienne ministre avait réclamé que le texte d’engagement des candidats sur des valeurs soit « plus clair » sur la laïcité et la République. Sandra Regol, porte-parole d’EELV, a elle assuré à l’AFP que le soutien à de telles valeurs est déjà inscrit dans la charte. D’après Corinne Lepage, sa formation était prête malgré tout à signer mais l’exclusion avait déjà été prononcée. Pas de quoi progresser vers une position unanime sur la laïcité du côté des écolos.
Delphine Batho, à la tête de sa propre formation « Génération écologie » se présente elle comme la candidate « 100 % laïque ». Coup de com’ pour se différencier ou véritable projet politique ? À quoi ressemblerait un programme structuré autour de l’écologie et de la laïcité ? Le modèle républicain et universaliste peut-il être un atout face à la crise climatique ? Marianne s’entretient avec l’ancienne ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie.
Marianne :Une candidate 100 % laïque, qu’est-ce que ça veut dire ?
Delphine Batho : J’ai une conception dynamique de la République avec toujours à l’esprit la fameuse phrase de Mendès France selon laquelle elle est toujours inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir. Le nouvel horizon pour redonner de la force à l’idéal républicain est une projection vers l’avenir dans le sens d’une transformation écologique. J’inscris la transformation écologique comme une nouvelle étape, après celle de la révolution, de l’école obligatoire ou du Conseil national de la Résistance. C’est une nouvelle étape historique à franchir qui revendique l’héritage des Lumières et de la construction républicaine mais qui en est une nouvelle étape. Chaque fois que le pays a été dans une situation d’absence de projection vers l’avenir, d’absence de projet collectif pas seulement pour la France elle-même mais pour l’humanité tout entière, il a été traversé par des divisions terribles. C’est un peu ce qui se passe en ce moment. Le projet qui concerne l’humanité tout entière est de garder une planète habitable. Voilà le lien entre l’idéal républicain et l’écologie.
« La laïcité, c’est un principe d’émancipation, c’est le droit de penser par soi-même. »
S’il y a un sujet qui par définition concerne l’espèce humaine tout entière c’est évidemment celui du caractère habitable de la terre, de la biodiversité. On voit bien que chez les destructeurs que sont Bolsonaroou Trump il y a une cohérence entre leur climatoscepticisme et leur obscurantisme. Tous les destructeurs de cette nature qui prétendent apporter des réponses par un projet nationaliste ou autoritaire ont nécessairement besoin de nier la réalité du changement climatique. Leurs thèses ont besoin de nier qu’il y a des problèmes pour l’humanité tout entière.
Vous considérez-vous donc comme « universaliste » ? Et si oui quelle définition donnez-vous à ce terme ?
Bien sûr que je suis universaliste. C’est l’idée que la conquête de droits, de libertés nouvelles n’est pas pour soi seul et concerne l’espèce humaine dans sa totalité. C’est un combat qui n’est pas achevé car il reste énormément de discriminations et d’injustices.
Certains écologistes ont-ils un problème avec la laïcité, voire carrément avec la République comme l’a soutenue Anne Hidalgo ?
Je ne suis pas d’accord avec Anne Hidalgo. Cela me paraît une formulation extrêmement politicienne surtout au regard du contexte dans lequel elle a été prononcée puisqu’en réalité les écologistes avaient voté le vœu pour qu’un lieu de la capitale porte le nom de Samuel Paty. Cela me paraît réducteur dans la mesure où il y a autour de la définition de la laïcité un flottement qui traverse l’ensemble de la société française et qui doit donc trouver une réaffirmation.
Si réaffirmation de la laïcité il doit y avoir, comment entendez-vous ce terme ?
De mon point de vue, la laïcité c’est la liberté des libertés, ce n’est pas juste la séparation du politique et du religieux., ce n’est pas juste la séparation du politique et du religieux. C’est un principe d’émancipation, c’est le droit de penser par soi-même. En regardant les enquêtes sur le rapport des jeunes à la laïcité par exemple, on voit bien qu’il y a aujourd’hui une situation de confusion. Il est donc extrêmement réducteur de dire qu’il y a un flottement ici ou là. Cela nécessite d’y répondre en tant que responsable politique avec une grande clarté sur ce que permet la laïcité, sur ce qu’elle garantit.
« Que dans notre pays des enfants de 13 ou 15 ans puissent avoir trouvé naturel de porter de l’aide à quelqu’un qui voulait venger le prophète, cela devrait être au centre du débat. »
La laïcité est une liberté qui permet de garantir l’égalité de tout le monde et considère la diversité comme une richesse. Il y a cette revendication du métissage, du fait de faire de la différence des cultures, des pensées, des points de vue une richesse. Les écologistes plaident pour la diversité dans la nature et dans la culture à partir du moment où ce principe de laïcité protège le droit de chacun et chacune de penser par soi-même.
Si vous prenez la peine de vous définir comme « 100 % laïque » difficile d’imaginer que ce n’est pas aussi pour vous distinguer d’autres candidates qui ne le seraient pas à votre goût…
Je me définis en positif et pas par rapport à d’autres. Mais j’assume la dimension régalienne du projet écologiste.
Concrètement, dans un programme, par quelles mesures se traduit un engagement à la fois écologique et laïque ?
Je suis contre la ridiculisation du débat politique en transformant les responsables politiques en vendeurs de catalogues de mesures. Il y a une erreur de diagnostic dans les problèmes auxquels est confrontée la société française, celle de croire que le combat contre l’idéologie islamiste passe par des mesures de nature technique. Cela passe d’abord par un combat idéologique. J’ai été ébranlé par le fait que des collégiens soient mis en examen pour complicité d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Que dans notre pays des enfants de 13 ou 15 ans puissent avoir trouvé naturel de porter de l’aide à quelqu’un qui voulait venger le prophète, cela devrait être au centre du débat sur comment on peut en arriver là et ce qu’on peut faire.
« Il y a un lien entre l’état patriarcal, centralisé et le productivisme, par exemple dans l’héritage du gaullisme ou du bonapartisme »
Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » repose lui-même sur une erreur de diagnostic, celle de considérer que l’islamisme défend un séparatisme. Il défend un projet totalitaire qui veut s’imposer aux autres et déstabiliser la République. À mes yeux la solution passe essentiellement par le combat féministe, l’émancipation des femmes, la révolte des filles qui fera reculer la pénétration de ce type d’idées.
Là aussi, vous réclamez-vous d’un « féminisme universaliste » qui considère les individus au-delà de leur appartenance communautaire supposée ?
Je refuse absolument les préjugés, le racisme, le sexisme, l’homophobie. Je refuse de façon plus générale qu’une personne ou la représentation qu’on se fait d’une personne soit liée à son identité réelle ou supposée. J’en reviens à l’essentiel, c’est-à-dire le fait de penser par soi-même. L’écoféminisme dont je me réclame, pour prendre une image extrêmement simple, considère qu’il y a des hommes écoféministes. Il contient en lui la volonté d’abolir toute forme de domination, le patriarcat mais également la domination de la nature par l’homme. Il vise un nouvel âge de l’humanité dans lequel on a éliminé toute forme de domination.
Le modèle républicain et l’État-nation sont-ils, comme l’affirment certains, le bras armé d’un capitalisme destructeur ou au contraire comme le soutiennent d’autres un moyen de lui résister et de construire une économie locale, sociale et moins concurrentielle face à la mondialisation ?
Il n’y a pas un lien en soi entre le modèle républicain et le productivisme. En revanche il y a un lien entre l’état patriarcal, centralisé et le productivisme, par exemple dans l’héritage du gaullisme ou du bonapartisme. La transformation écologique passe par une transformation des institutions. La mondialisation et le contexte très particulier de la pandémie constituent un moment très propice au retour de la puissance publique. Il faut le retour de la République mais dans un État qui doit profondément se transformer. Il n’y a aucune contradiction à vouloir plus de décentralisation et une écologie considérée comme une question régalienne et de sécurité nationale. Une transformation des institutions est indispensable pour rompre avec le présidentialisme. Il y a besoin de formes de gouvernance beaucoup plus collégiales et collectives.
Cap 21, la formation de Corinne Lepage a été exclue de la primaire écologiste précisément à la suite d’un désaccord sur le soutien au vainqueur et le respect des valeurs de la laïcité et de République. Qu’en pensez-vous ?
La charte des valeurs des écologistes réaffirme le principe de la laïcité évidemment. C’est la règle de base dans une primaire de s’engager à soutenir la ou le vainqueur.
Vous vous engagez donc à le faire quel que soit le vainqueur de la primaire ? Corinne Lepage a par exemple affirmé à l’AFP : « Moi je suis quelqu’un d’honnête, il y a des gens que je sais d’avance ne pas pouvoir soutenir, Éric Piolle par exemple. »
C’est la règle de base. Je compte l’emporter donc je ne me situe pas dans cette hypothèse mais c’est la règle de base d’une primaire que de s’engager dans le processus démocratique.
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