Du fanatisme : quand la religion est malade, Cerf, 2020
Car une opération de l’ampleur de l’État islamique n’a pas pu être menée grâce à quelques imbéciles manipulés : « Il faut aussi des croyants. Des gens qui voient le monde d’une certaine façon, qui leur paraît cohérente et rationnelle, qui leur paraît adéquate au réel, et qui n’est pas un simple délire collectif » (p. 29).
Le théologien dont s’inspire Ibn Taymiyya pose une absolue transcendance de Dieu, une impossible connaissance car Dieu ne révèle pas qui il est… Ce qu’il révèle c’est sa volonté : « On ne sait pas qui est Dieu, mais on sait ce qu’il veut » (p. 32). Cette formule est lourde de conséquences : « Puisque de Dieu on ne connaît que la volonté et non point la nature, alors être musulman, c’est agir comme un musulman : c’est faire ce qu’un musulman est tenu de faire (…). Par conséquent, faire comme les chrétiens, fût-ce dans des pratiques tout à fait secondaires (un repas de fête, des œufs colorés), c’est être chrétien » (p. 35). Pour un musulman, c’est tomber dans l’apostasie et mériter la mort.
Impossible de résumer en quelques lignes des pages où Adrien Candiard compare des positions théologiques profondément différentes des djihadistes musulmans et des chrétiens. Une conclusion importante ressortégalement des profondes réflexions de l’auteur : c’est que ce ne sont pas les religions en elles-mêmes qui sont porteuses des fanatismes musulmans ou chrétiens1.
Tous les fanatismes ont entre eux quelques points communs, et en particulier ils mettent Dieu à l’écart. Dire cela reconnaît l’auteur, c’est prendre une position contre-intuitive, car l’idée communément répandue consiste à penser que le fanatisme « naît d’un excès dans l’engagement du croyant… qui verrait Dieu partout, qui prendrait sa religion trop au sérieux. » Cette analyse a sa source au XVIIIe siècle dans la philosophie des lumières, notamment Voltaire.
Or Adrien Candiard entreprend de démontrer le contraire : « Le fanatisme n’est pas la conséquence d’un excès, d’une présence excessive de Dieu mais au contraire la marque de son absence » (p. 48). Au passage, sont critiqués ceux qui pour se protéger des excès voudraient « des musulmans modérés ».
En parlant ainsi, on donne raison aux violents qui clament qu’ils sont les seuls vrais croyants. L’auteur, Frère dominicain, note au passage : “je ne suis pas un chrétien modéré !” Et il cite un exemple : François d’Assise fut un chrétien radical mais pas du tout fanatique.
Parmi les pistes de réflexion que propose cet essai, il faudrait examiner la relation forte, significative qu’il examine entre fanatisme et idolâtrie. C’est que, note-t-il, quand le fanatisme crée le vide à la place de Dieu, il est exposé à ce que Dieu soit remplacé par l’idole. C’est un vide rempli par quelque chose qui ressemble à Dieu mais qui n’est pas Dieu. Dans la théologie de Hanbal (hanbalisme), l’idole ce sont des commandements censés être loi divine. Dieu est remplacé « par des objets qui le touchent de près d’où une possible confusion. Le regard théologique d’Adrien Candiard sur l’idole est très éclairant et nous interpelle directement nous les catholiques. L’erreur des Lumières écrit l’auteur, est d’avoir confondu la folie fanatique avec un excès de religion. Ils croyaient que le fanatisme devait être soigné par le développement de la raison, par l’éloignement de la religion. Au bout de plus de deux siècles, l’éducation et la sécularisation n’ont nullementeu raison du fanatisme.
La thèse très éclairante d’Adrien Candiard est que la critique du djihadisme et du fanatisme qui sont des maladies de la vie spirituelle doit être menée sur le terrain religieux. Il y a des dialogues à mener sur le sens même des religions. C’est le sens spirituel de l’enfermement fanatique qui est refus de la spiritualité, de la relation à Dieu, de l’amour personnel de Dieu. Le sens spirituel du fanatisme « nous oblige à envisager que parfois la solution des problèmes religieux puisse être également religieuse » (p. 84).