Les Français n’ont plus confiance dans leur justice, le garde des Sceaux lui-même en fait le constat : « La défiance est réelle, toutes les études le confirment », observe Éric Dupond-Moretti. Le divorce est tel que le ministre a décidé de présenter une loi visant à « restaurer la confiance » envers l’institution qu’il administre depuis juillet 2020, et qu’il ne se privait pas d’étriller dans son ancienne vie de pénaliste. Un texte dont il dévoile, en exclusivité, la teneur dans ce long entretien accordé au Point. Suppression des crédits de remise de peine automatique accordés aux détenus, réforme de la cour d’assises, déontologie des professionnels du droit, enregistrement audiovisuel des audiences « à des fins pédagogiques »… Les sujets sont nombreux. On retrouve aussi dans le texte, qu’Éric Dupond-Moretti espère présenter à la mi-avril en conseil des ministres, certaines de ses marottes : la limitation dans le temps de l’enquête préliminaire, qu’il veut rendre plus « contradictoire » ; la protection du secret professionnel des avocats, qu’il préfère qualifier de « secret de la défense ». Rien, en revanche, sur le statut du parquet ou pour un accès plus démocratique à certaines professions juridiques réglementées, comme les notaires.
Visé par une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts » devant la Cour de justice de la République, après la mise en cause de trois syndicats de magistrats qui lui reprochent un conflit d’intérêts pour avoir ouvert une enquête administrative contre trois procureurs du Parquet national financier (PNF) dans l’affaire des fadettes – lui-même fut surveillé –, l’ancien avocat se garde bien de commenter les méthodes et dissensions qui agitent cette institution, soupçonnée de choisir ses cibles parmi les politiques. « Ce que je pense, c’est que plus on affirme son indépendance, plus on doit respecter la règle. Certains ont su le faire, d’autres non », considère-t-il.
Sans surprise, le ministre de la Justice refuse de commenter le jugement de condamnation de Nicolas Sarkozy (trois ans de prison, dont un an ferme), de son ami et ancien confrère Thierry Herzog et de l’ex-magistrat Gilbert Azibert (même peine), rendu lundi 1er mars dans l’affaire Bismuth.
Le Point : En préparant cet entretien nous est venue l’idée de nous replonger dans la pièce de théâtre de Marcel Aymé La Tête des autres, féroce satire de la justice.
Éric Dupond-Moretti : Formidable pièce, oui…
Réquisitoire contre la peine de mort, elle brosse un portrait peu amène de la magistrature, accusée de choisir ses têtes. L’enquête du « Point » révélant un certain nombre d’agissements au Parquet national financier n’est-elle pas de nature à accréditer cette vision peu flatteuse de la magistrature ?
J’ai toujours pensé que la justice était la signature de ceux qui la rendaient, les juges. Je n’ai jamais eu peur de l’institution en tant que telle. Vous connaissez la formule de Casamayor [nom de plume du magistrat Serge Fuster, NDLR] : « La justice est une erreur millénaire qui veut qu’on ait attribué à une administration le nom d’une vertu. » J’ai lu Le Point. Il ne vous échappera pas que les faits que vous évoquez se rattachent à une enquête administrative [ouverte par lui-même contre trois magistrats du PNF, NDLR] et que je ne peux, dès lors, faire de commentaire. Disons que je regarde tout ça avec beaucoup d’attention.
L’indépendance n’est pas le viatique qui permet tout.
Tout de même, pensez-vous que la justice choisisse aujourd’hui ses cibles ?
Non, je ne peux pas dire ça, je ne le crois pas. Vous m’entraînez sur un terrain où je ne veux pas aller, en tout cas pas aujourd’hui. Je vous dirai juste ceci : il y a eu une période de notre histoire, que je situe aux alentours de l’affaire Urba, au début des années 1990, où les magistrats ont acquis de haute lutte leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Ce que je pense, c’est que plus on est indépendant, plus on doit respecter la règle. Certains ont su le faire, d’autres non. L’indépendance n’est pas le viatique qui permet tout. L’indépendance sans responsabilité n’est pas concevable, à mes yeux en tout cas.
Le parquet est indépendant. Pas un seul ordre, dans aucun dossier, ne peut être donné à un procureur dans ce pays.
Vous parlez d’indépendance. Le parquet ne l’est pas. Or le PNF est un parquet.
Pourquoi dites-vous ça ? Bien sûr que le parquet est indépendant. Pas un seul ordre, dans aucun dossier, ne peut être donné à un procureur dans ce pays.
Le ministre gère la carrière des procureurs. Il y a aussi les remontées d’information.
Oui, et à quoi servent-elles ? À sentir le pouls de la société et à pouvoir rendre compte devant le Parlement de la politique pénale conduite par le gouvernement. C’est important, non, pour un gouvernement de savoir ce qui se passe dans le pays ? Le livre de Camille Kouchner, c’est un événement pour notre société ; il est intéressant de constater qu’il a une traduction judiciaire par l’accroissement de la libération de la parole. Il y a une différence abyssale entre la remontée d’information et ce que l’on vous suspecte d’en faire, de manière fantasmagorique.
Il n’y a pas une équipe de juges de gauche qui se concerte pour s’en prendre à des gens de droite, et inversement. Ça ne fonctionne pas comme ça.
La justice serait-elle devenue politique ?
Je ne le crois pas. Il n’y a pas une équipe de juges de gauche qui se concerte pour s’en prendre à des gens de droite, et inversement. Ça ne fonctionne pas comme ça. Mais les citoyens pensent que la justice a un rapport particulier avec les politiques, le monde politique dans son ensemble, oui…
Nicolas Sarkozy, son avocat et un ancien magistrat condamnés à trois ans d’emprisonnement, dont un ferme, dans l’affaire Bismuth. Que pensez-vous de ce jugement ?
Le ministre de la Justice ne peut commenter aucune décision de justice et vous le savez bien. Mais j’aimerais vous exposer ce qu’il y a dans mon projet de loi.
Nous y arrivons. Une remarque, avant cela : chaque ministre, et vous n’êtes pas le premier, souhaite imprimer sa marque ; pour y parvenir, il fait des lois. N’avez-vous pas cédé à cette tentation ?
Porter une loi n’a aucun intérêt si le but n’est pas d’améliorer la vie de nos concitoyens. Ce projet n’est pas un exercice narcissique ou égotique. Il est le fruit d’une longue réflexion, celle de l’avocat que je fus et qui légitime sans doute ma présence ici, au ministère de la Justice. Le but de cette loi est de restaurer la confiance de nos concitoyens dans la justice. Ce sera d’ailleurs probablement son nom : « Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. »
La justice, c’est notre pacte social ; il n’y a pas de société civilisée sans droit.
Cette confiance vous semble-t-elle rompue ?
Il y a, en tout cas, une défiance des Français, c’est incontestable. Les études montrent que moins d’un Français sur deux a confiance dans la justice. Or la justice, c’est notre pacte social ; il n’y a pas de société civilisée sans droit. Le pacte est rompu si les Français considèrent que le droit, leurs droits ne sont plus respectés. Dès mon entrée en fonctions, j’ai annoncé des mesures importantes visant à restaurer cette confiance. Nous y sommes. Ce projet, que j’espère pouvoir présenter à la mi-avril en conseil des ministres, contient un certain nombre de mesures phares.
Vous souhaitez notamment y inscrire la possibilité de filmer certaines audiences, pour les diffuser ensuite au grand public…
Si les Français n’ont pas suffisamment confiance dans leur justice, c’est d’abord parce qu’ils la connaissent mal. Or la justice n’est pas faite pour tourner à vide, sur elle-même, mais pour rendre aux justiciables un service public de qualité. Faites un sondage dans la rue, demandez aux passants comment on nomme celui qui dirige les débats d’une cour d’assises ; la plupart vous répondront « Votre Honneur », inspirés par ce qu’ils auront vu dans les séries américaines. C’est pourquoi il est très important d’ouvrir les audiences aux caméras, à des fins pédagogiques, en s’entourant bien sûr de certaines précautions pour les victimes et les accusés – je songe en particulier au droit à l’oubli et au respect de la présomption d’innocence. Il ne s’agit pas de verser dans le trash, le sensationnalisme. L’idée est de prendre les citoyens qui le souhaitent par la main pour les conduire dans la salle où se déroulent les procès et leur montrer comment ça marche. Pas seulement au pénal : je pense que les Français seront très intéressés de savoir comment se déroule une procédure de divorce. La publicité des débats est une garantie du bon fonctionnement de la justice.
Qui choisira les audiences et sur quels supports les enregistrements seront-ils diffusés ?
À la télévision, essentiellement. Et c’est la Chancellerie qui donnera les autorisations. Il ne s’agit plus seulement de filmer les procès pour l’Histoire mais de faire œuvre de pédagogie. On ne peut avoir confiance qu’en ce que l’on connaît !
J’ai décidé de mettre un terme aux crédits de remise de peine automatique
Allez-vous modifier certaines règles pénitentiaires ?
Absolument. La prison vise à punir, à protéger la société, mais aussi à permettre à celui qui a enfreint la loi de se réinsérer, une fois sa peine purgée. J’entends changer les règles applicables aux remises de peine. Autant les Français peuvent comprendre que des remises soient accordées pour récompenser un effort de réinsertion, autant ils ne peuvent accepter que ces réductions soient automatiques, comme aujourd’hui. Pour ne rien vous cacher, moi non plus. C’est pourquoi j’ai décidé de mettre un terme aux crédits de remise de peine automatique [trois mois la première année, deux mois les années suivantes, NDLR]. Le nouveau système de remise de peine sera fondé sur les efforts que le détenu fournira pour sa réinsertion : le travail, la formation, les soins… Je n’oublie pas non plus la bonne conduite envers les surveillants. Ces agents font un travail difficile, et on ne leur rend pas suffisamment hommage. Il faut rappeler que les crédits automatiques de remise de peine ont été mis en place en au début des années 2000 dans le seul but de réguler la population pénale, sans le dire. Ce que je veux, c’est en finir avec l’hypocrisie et remettre de la vertu dans le système : des remises de peine, oui, si elles profitent à la société, au personnel et au détenu lui-même, qui devra faire, pour en bénéficier, les efforts de réinsertion nécessaires. Le juge de l’application des peines restera le pivot du dispositif, mais je veux donner aussi un rôle plus important aux surveillants, qui ne sont pas seulement des porte-clés.
Avec une telle annonce, ne craignez-vous pas des émeutes dans les prisons ?
La règle n’aura pas vocation à s’appliquer rétroactivement. Elle ne vaudra que pour l’avenir.
En supprimant les remises de peine automatiques, ne redoutez-vous pas un allongement de la durée des peines, et donc une aggravation de la surpopulation carcérale ?
Aucunement. Le but n’est pas d’allonger les peines ou de durcir la répression, simplement de conditionner les remises de peine aux efforts qui auront été faits. Imaginez que nous ayons commis un braquage, vous et moi. Nous sommes condamnés et envoyés en prison. Vous passez votre temps à attendre allongé sur votre lit, je travaille, je me soigne, je me forme. Pensez-vous que nos mérites soient égaux ? Je dis non. C’est une mesure de bon sens.
Je réfute l’image d’un ministre renégat qui ne songerait qu’à la répression.
Cette mesure risque de heurter de nombreux avocats ; beaucoup vous reprochent de vous renier. Que leur répondez-vous ?
Je mets tout en œuvre pour réformer ce que j’ai si longtemps dénoncé quand j’étais avocat. Il y aura sans doute des critiques ; sans doute y aura-t-il aussi un certain nombre de Français qui entendront la philosophie que ces dispositions véhiculent. Je réfute l’image d’un ministre renégat qui ne songerait qu’à la répression. Mon projet contient d’autres mesures pour la prison, certaines s’inspirent des bonnes pratiques en vigueur dans d’autres pays, mon texte est équilibré. Quand vous dites à votre gamin : « Bouge-toi, bosse », êtes-vous un salaud de parent ? Je ne le crois pas…
J’affirme qu’une enquête menée dans le secret, sur une durée indéterminée et sans qu’il soit donné au suspect la possibilité de se défendre, est une violation des droits de l’homme.
Le projet que vous allez présenter vise aussi à mieux encadrer l’enquête préliminaire.
De quoi parlons-nous ? Des enquêtes que le procureur ordonne pour s’assurer qu’une infraction a bien été commise et, le cas échéant, pour en identifier les auteurs. Contrairement à d’autres, cette enquête n’est pas réglementée. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’avant 1958 (et l’instauration du Code de procédure pénale) on parlait d’enquête officieuse. L’enquête préliminaire, dans sa forme actuelle, a deux défauts majeurs : elle n’est pas limitée dans le temps et n’est pas ouverte au contradictoire. Or j’affirme qu’une enquête menée dans le secret, sur une durée indéterminée et sans qu’il soit donné au suspect la possibilité de se défendre, est une violation des droits de l’homme. Les Français doivent se mettre à la place de celui qui, durant des années parfois, est mis en cause, ignore tout de ce qu’il y a dans le dossier, les P-V, et qui ne sait pas à quelle sauce il va être mangé.
Je veux encadrer l’enquête préliminaire dans le temps.
Quelle garantie allez-vous lui apporter ?
Je veux encadrer l’enquête préliminaire dans le temps : deux ans maximum, avec une prolongation possible d’un an après accord motivé du procureur. S’agissant du contradictoire, si le mis en cause fait l’objet d’une audition (libre ou en garde à vue) ou d’une perquisition, un accès aux procès-verbaux lui sera assuré dans un délai maximal d’un an. Du reste, si les médias font état du déroulement de l’enquête le concernant et portent gravement atteinte à sa présomption d’innocence, il pourra aussi accéder aux éléments du dossier, sans délai, cette fois.
L’enquête qui a conduit le PNF à éplucher durant plusieurs années les fadettes de nombreux juges et avocats – dont les vôtres – aurait été écourtée, si ces dispositions étaient en vigueur…
Oui, et alors ?
Alors, rien… C’est une observation.
Six ans, c’est long, non ? Mais soyez-en assurés : ce n’est pas cette histoire de fadettes qui m’a inspiré. Il y a bien longtemps que je réfléchis à ces questions, bien avant de me sentir victime de ces investigations.
Cette justice rendue par le peuple au nom du peuple français, j’y suis profondément attaché. Les Français aussi.
Vous souhaitez aussi réformer la cour d’assises…
C’est un élément important du projet. Quand j’étais avocat, j’ai publiquement exprimé ma crainte que la dernière réforme instaurant des cours criminelles (pour juger certains crimes sans la présence de jurés citoyens) soit la chronique annoncée de la mort de la cour d’assises traditionnelle, avec son jury populaire. Or, cette justice rendue par le peuple au nom du peuple français, j’y suis profondément attaché. Les Français aussi.
On ne peut pas prétendre juger au nom du peuple français et exclure le peuple des cours et des tribunaux.
Est-ce à dire que vous allez mettre un terme à l’expérimentation des cours criminelles engagée par votre prédécesseur ?
Pas exactement. J’ai examiné avec objectivité comment fonctionnent ces juridictions (composée uniquement de magistrats professionnels pour juger les auteurs de crimes passibles de vingt ans de réclusion au maximum) ; je dois dire que les retours sont plutôt satisfaisants. Nous en tirerons les leçons, et la question de leur maintien n’est pas tranchée. Pour autant, ma crainte était que ces cours finissent un jour par remplacer la cour d’assises, composée de jurés tirés au sort. D’où l’idée de graver son existence dans le marbre et de lui redonner ses lettres de noblesse. On ne peut pas prétendre juger au nom du peuple français et exclure le peuple des cours et des tribunaux. J’ai rencontré beaucoup de jurés dans ma carrière. La plupart me disaient la même chose : cette expérience les avait transformés et avait changé leur regard sur la justice ; ils avaient appréhendé la difficulté de juger.
Concrètement, qu’allez-vous proposer ?
Je souhaite revenir à un système où une majorité de jurés sera à nouveau nécessaire pour entrer en voie de condamnation. Ils doivent être aidés par des magistrats professionnels mais en aucun cas se retrouver sous influence.
« En matière de violences sexuelles, la justice n’a pas de rôle thérapeutique »
De quelle manière ?
En augmentant leur nombre [la cour, dans sa formation actuelle, est composée en première instance de trois magistrats professionnels et de six jurés, NDLR]. Je veux aussi créer une audience criminelle préparatoire, une sorte d’audience de mise en état pour permettre aux parties de s’entendre sur le déroulement du procès, les témoins cités, les experts, etc. De même, je souhaite que le rapport que le président fera à l’ouverture des débats ne soit plus calqué sur l’acte d’accusation mais repose sur des éléments plus objectifs.
Je ne veux plus parler du secret professionnel des avocats mais du secret de la défense.
Qu’en est-il du secret professionnel des avocats ? Il a été pour le moins malmené ces derniers mois…
Il s’agit d’une liberté fondamentale pour le justiciable. Je ne veux plus, d’ailleurs, parler du secret professionnel des avocats mais du secret de la défense. Évoque-t-on le secret des médecins quand on parle de secret médical ? Celui-ci vise-t-il à faire une fleur aux soignants ? Évidemment non. Eh bien, c’est pareil pour la défense. Quand une personne va voir un avocat, pas seulement parce qu’elle est accusée d’un crime ou d’un délit mais pour un divorce ou un litige commercial, elle souhaite avoir la garantie que ce qu’elle aura dit à son conseil ne sorte pas de son cabinet. J’affirme que le secret professionnel que l’on attribue aux avocats profite d’abord au justiciable, qu’il soit auteur, innocent ou victime. Ce secret doit être mieux protégé, et je veux l’inscrire dans la procédure pénale.
Si vous appelez votre avocat, vous devez avoir la garantie que cette conversation restera entre vous et lui.
Selon quelles modalités ?
Les perquisitions de cabinet ne devraient être possibles que si l’avocat concerné est suspecté d’avoir commis une infraction. Si c’est le cas, il sera logé à la même enseigne que n’importe qui. Les avocats ne sont pas au-dessus des lois. Mais il ne devrait pas être possible de considérer un cabinet d’avocat comme une boîte d’accès à des informations sur son client. Quant aux écoutes et à l’accès aux factures téléphoniques détaillées (fadettes), elles ne devraient être permises, là encore, que si l’avocat est susceptible d’être mis en cause. Si vous appelez votre avocat, vous devez avoir la garantie que cette conversation restera entre vous et lui. S’agissant des écoutes, il me reste un problème technique à examiner : je souhaiterais mettre en place une plate-forme qui permettrait d’empêcher que des conversations entre une personne et son avocat soient écoutées, avant même que le policier ne songe à les retranscrire. Nous étudions sa faisabilité.
Là encore, avec cette mesure, vos fadettes n’auraient pas pu être épluchées par le PNF…
Et alors ?
Encore une fois, rien, il s’agit d’une observation…
Et vous avez ma réponse. Je n’ai pas attendu d’être surveillé, à tort, pour réfléchir à ces questions. Comme tous les avocats, j’ai toujours été attentif au secret de la défense. Je n’ai pas découvert la Lune avec cette affaire. Sans elle, et avant elle, j’aurais eu exactement le même raisonnement.
Souhaitez-vous également revoir la déontologie des professionnels du droit : avocats, notaires, huissiers, greffiers des tribunaux de commerce… ?
Oui, et toujours dans cette volonté de regagner la confiance des Français. Or les professionnels du droit sont souvent la porte d’entrée que les justiciables empruntent pour accéder à l’institution. Pour se prémunir des suspicions de corporatisme, ces professionnels ont eux-mêmes sollicité une modification de leurs règles déontologiques. Il est important que les justiciables sachent qu’il y a des recours possible et que ceux-ci soient simplifiés, étant précisé que ces règles ont également vocation à régler les litiges que les professionnels peuvent rencontrer entre eux.
Est-ce à dire que ces corporations ont elles-mêmes édicté leurs règles ? Auquel cas ce n’est peut-être pas la meilleure façon de lutter contre… le corporatisme.
Pas du tout ! Nous avons travaillé en bonne intelligence pour parvenir à des mesures équilibrées, qui doivent permettre au bout du compte au justiciable de s’y retrouver.
Qui va juger ces professionnels en cas de manquement à leurs devoirs ou obligations ?
Les modalités pratiques, vous les verrez dans le projet.
Allez-vous faciliter l’accès à ces professions ?
C’est un autre problème, ce n’est pas l’objet du texte.
Tout de même, c’est un point essentiel quand on parle de lutter contre le corporatisme.
Je ne dis pas le contraire, c’est un vrai problème que nous sommes en train de régler avec d’autres dispositions.
Et les magistrats ?
Nous verrons ce volet ultérieurement, car il faudra un projet de loi organique. Il ne vous a pas échappé que le président de la République vient de saisir, par écrit, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour lui demander d’engager une réflexion sur leur responsabilité.
Rien, non plus, sur le statut du parquet.
Un texte est entre les mains du président de la République, lui seul peut le soumettre à un vote du Congrès, car cela nécessite une modification de la Constitution.
Dernier chapitre de votre texte : la médiation.
Nous voulons encourager ce mode alternatif de règlement des litiges, utilisé en 2019 dans plus de 186 000 procédures. Nous allons permettre que les accords trouvés aient force exécutoire en les faisant viser par le greffe de la juridiction compétente.
S’agissant de la prescription, je suis favorable à ce que des enquêtes soient menées y compris pour des affaires a priori prescrites.
Vous avez évoqué tout à l’heure le livre de Camille Kouchner. Un certain nombre d’affaires de violences sexuelles, prescrites, s’instruisent aujourd’hui devant l’opinion publique, comme si la justice échappait à la justice… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D’abord, je me félicite que la parole des victimes puisse se libérer. En ce sens, le livre de Camille Kouchner a été utile – je le lui ai d’ailleurs dit. En même temps, cette libération de la parole ne doit pas entamer la présomption d’innocence. Une fois que ce projet de loi sera promulgué, c’est un sujet auquel je souhaite m’atteler. S’agissant de la prescription, je suis favorable à ce que des enquêtes soient menées y compris pour des affaires a priori prescrites. D’abord parce que la prescription n’est pas toujours évidente. Ensuite parce que ces enquêtes sont utiles aux victimes : elles peuvent aboutir à découvrir d’autres faits et les aider à se sentir entendues et prises en considération. Enfin parce que l’enquête peut aussi établir l’innocence d’une personne accusée à tort.
Je souhaite que l’on réfléchisse aux moyens de restaurer la présomption d’innocence pour que des personnes ne soient pas condamnées à mort socialement sans avoir été jugées de manière équitable.
Reste que le bruit de l’accusation publique, dans les médias et sur les réseaux sociaux, recouvre aujourd’hui celui de la justice.
Vous avez raison, la société galope souvent plus vite que les institutions. C’est pourquoi je souhaite que l’on réfléchisse aux moyens de restaurer la présomption d’innocence pour que des personnes ne soient pas condamnées à mort socialement sans avoir été jugées de manière équitable, tout en permettant par ailleurs à la victime de s’exprimer ; ce sont deux choses différentes.
Où en est votre projet visant à assimiler à un viol tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de (moins de) 15 ans ?
Cette mesure est partie d’une proposition de loi votée au Sénat, que nous avons examinée sous l’éclairage de l’actualité et que nous avons reprise. Le texte sera rediscuté à l’Assemblée, les débats vont s’ouvrir dans les jours qui viennent.