Fin 2019, Greta Thunberg était élue personnalité de l’année par le magazine Time. Un an plus tard, c’est Assa Traoré qui est mise à l’honneur par l’hebdomadaire new-yorkais comme l’une des « gardiennes de l’année ». À première vue, il n’y a pas grand-chose de commun entre l’ado boudeuse à nattes et la néo-Black Panther à crinière. Sauf que toutes deux ont accédé en quelques mois au statut d’icône planétaire. Nul ne se proclamant raciste ou favorable au réchauffement climatique, elles mènent des guerres déjà gagnées : risque minimal, gratification maximale. Dans le monde entier, elles sont devenues les égéries des élites boboïsées et connectées constituées par l’alliance du business, du show-biz et des minorités revanchardes. Aussi font-elles un tabac dans les lieux où se fabrique l’opinion éclairée, des médias aux universités.
On se rappelle le spectacle ridicule de sommités onusiennes ou européennes écoutant avec ravissement la Croisée du carbone leur faire la leçon du haut de ses 16 ans et la ridicule gretamania, avec unes de journaux dithyrambiques et éditos énamourés, qui s’est emparée de la France quand la demoiselle nous a fait l’honneur d’une visite. De même, la patronne du comité « Justice pour Adama », qui est, selon le Time, « l’un des visages du combat pour la justice raciale en France », est, des deux côtés de l’Atlantique, une coqueluche des journalistes, qui l’invitent à disserter doctement sur les violences policières et le racisme de la société française, et des politiques de gauche – même Yannick Jadot fait génuflexion. En réalité, Traoré ne se bat pas pour la justice raciale, mais pour la réécriture de toute l’histoire à l’aune du seul critère de la race. Et elle ne cherche pas la vérité, mais à faire entrer de force son frère mort tragiquement dans le costume de George Floyd. Rappelons qu’Adama Traoré a couru comme un dératé un jour de canicule pour échapper aux gendarmes. S’il avait obtempéré, il serait sans doute en vie (et Assa Traoré serait peut-être encore employée par une association dépendant de la Fondation Rothschild (1)).
Quelques jours avant la parution du Time, on apprenait que Mila était persona non gratadans l’internat militaire où elle avait trouvé refuge après avoir été exfiltrée de son lycée public. Après l’Éducation nationale, c’est l’armée qui déclarait forfait et se disait incapable de protéger une adolescente. De nombreux internautes et commentateurs se sont donc émus que le magazine américain n’ait pas plutôt honoré Samuel Paty ou la jeune fille privée de scolarité pour avoir tenu sur le prophète de l’islam des propos certes injurieux, mais parfaitement licites au regard de notre droit et de notre mauvais esprit.
Les auditeurs des « Grandes Gueules » de RMC ont-ils voulu réparer cette injustice ? En tout cas, deux jours après le sacre d’Assa Traoré par le Time, ils ont élu Mila « Grande Gueule de l’année » – titre dont il faut peut-être préciser qu’il est un compliment et qu’elle a ravi sur le fil au professeur Raoult.
Aussi dérisoires puissent sembler ces honneurs médiatiques, ils symbolisent la fracture culturelle qui, dans le monde entier sépare les élites saute-frontières des ploucs (c’est affectueux !) assignés à résidence ou, pour reprendre les catégories du sociologue David Goodhart, les gens de quelque part (somewhere) de ceux de nulle part (anywhere). On est tenté d’en conclure que chacun choisit ses victimes. Non, chacun choisit ses coupables : le Blanc, riche, mâle de préférence – mais pas exclusivement dans le cas de Greta Thunberg, car même les féministes les plus délirantes ne racontent pas que les femmes contribuent moins au réchauffement climatique que les hommes. (Encore que, j’ai peut-être raté quelque chose.) Il s’agit de pointer tous les beaufs à l’esprit étroit, trumpistes, lepénistes et autres brexiters, qui refusent de céder aux séductions du multiculti mondialisé. Pour les people du monde entier, encenser Greta ou Assa, c’est une façon d’acheter des indulgences, de se battre la coulpe sur la poitrine des méchants et des réacs. Donc de montrer qu’on n’a rien à voir avec ces populistes qui prétendent que l’islamisme est un danger plus réel que le racisme – qui est condamné socialement et souvent légalement dans toutes les grandes démocraties.
Dans ces conditions, on comprend mieux l’indifférence de nombre de nos grandes consciences au sort de Mila. Dans son cas, les coupables qui l’insultent et la menacent ne se recrutent pas dans les catégories que l’on adore détester, mais au contraire dans une population qui est par essence victimisée, discriminée et « racisée ». Comment des victimes pourraient-elles être coupables ? C’est pour éluder cette aporie de leur pensée que ces grands esprits ont encore noyé le poisson après le déluge d’insultes antisémites qui s’est abattu sur Miss Provence. Pour ne pas stigmatiser, on s’est employé à gloser sur les méfaits de Twitter.
Les rééducateurs autoproclamés des masses ignorantes se glorifient bruyamment de leur abnégation envers leurs descendants, à qui ils promettent de laisser un monde purifié, délivré du carbone et du racisme. Gageons – ou espérons – que ces « générations futures » leur demanderont un jour des comptes pour s’être déshonorés en applaudissant Assa et en abandonnant Mila.