Au-delà du procès de Pontoise, l’affaire de l’imam de Villiers-le-Bel a une autre dimension peut-être plus embarrassante encore. Luqman H. n’aurait en effet jamais dû diffuser ses messages pour la bonne et simple raison qu’il aurait dû avoir quitté la France depuis de longues années. De l’avis d’un spécialiste, son cas est même emblématique «du parcours d’un homme qui fait tout pour rester sur le sol français et des difficultés d’expulser les étrangers en situation irrégulière».
Tout commence en Hongrie en 2015 quand le Pakistanais, né en 1987 à Gujranwala (province du Pendjab), demande l’asile. Quand son dossier est rejeté, l’intéressé a déjà gagné la France, où il arrive en octobre. En vertu du règlement de Dublin, il devait toutefois reprendre le chemin de Budapest. Mais la Cour européenne des droits de l’homme a annulé tout transfert de «Dublinés» vers la Hongrie en arguant des mauvaises manières des autorités locales. En 2016, Luqman H. dépose une demande d’asile en France. Nouveau refus et première obligation de quitter le territoire français (OQTF). Dans la théorie, cette OQTF prévoit que l’étranger en situation irrégulière doit quitter le sol français dans un délai de trente jours. Pure théorie. De toute façon, le Pakistanais n’a pas laissé d’adresse ou de coordonnées d’une personne ou d’une institution le représentant. Il est donc introuvable et l’OQTF 1 est inopérante. Clandestin lambda inconnu des services de police et de renseignement, Luqman H. a de la suite dans les idées. En 2018-2019, il demande un titre de séjour, la préfecture du Val-d’Oise rejette sa demande et une seconde OQTF est délivrée.
Quatre ans d’entêtement et de procédures
Visiblement bien conseillé, l’imam travaillant dans la restauration, qui ne parle pas français, fait appel devant le tribunal administratif. Appel suspensif. Nouvelle décision négative et il saisit la Cour administrative d’appel. Avec un nouveau refus. Les portes d’un centre de rétention administrative (CRA) semblent s’ouvrir pour lui. C’est sans compter sur un élément décisif: la procédure devant la justice administrative a duré plus d’un an. Et, sauf circonstances exceptionnelles, les CRA n’accueillent que les personnes visées par les OQTF de moins d’un an. Ce qui ne concerne donc plus Luqman H. Il faudrait compter sur sa volonté, après quatre ans d’entêtement et de procédures, de s’expulser tout seul… L’OQTF 2 est donc a priori toujours applicable, mais le Pakistanais reste bien sûr sur le sol français. Et il faudra ses messages de haine sur les réseaux sociaux, qui n’ont heureusement incité aucun extrémiste à passer à l’action, pour que la situation change. Alerté, le préfet du Val-d’Oise saisit la justice pour apologie du terrorisme en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale. Et une troisième OQTF est prise à son encontre. On peut imaginer que celle-là sera appliquée. Et ce, d’autant plus que, ayant toute vocation à être inscrit au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, Luqman H. peut aussi être considéré comme «une menace pour l’ordre public», ce qui le ferait également rentrer dans le champ des OQTF à «départ volontaire sans délai» (mais pas sans procédure).
Les tribulations de l’imam de Villiers-le-Bel permettent en tout cas de mieux comprendre pourquoi le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français est extrêmement faible (moins de 15 %). Il souligne aussi que le système est probablement perfectible. Notamment en ce qui concerne la règle des CRA fermés aux OQTF de plus d’un an. Encore peut-on se demander si une place, très rare, de CRA aurait été mobilisée pour un cas aussi «banal» que celui de Luqman H. avant qu’il ne tresse des lauriers à un terroriste sur les réseaux sociaux.
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