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Quels sont le champ et la mission d’intervention de l’aumônier ?
Mes premières expériences, dans l’aumônerie hospitalière, se sont déroulées dans trois hôpitaux : à Chambéry, Aix les Bains et Bassens. Rédiger ce texte sur ce sujet est passionnant. Il permet, ainsi, d’approfondir ce en quoi se résume l’essentielde l’aumônerie. Pour tenter de répondre à cette problématique et aux interrogations, nous avons établi un ordre sous forme de chapitres :
–Comment expliquer cette implication dans les prisons et ensuite dans les hôpitaux ? – Quels sont les prédispositions ou les qualités de l’aumônier ? – Comment sont organisées les aumôneries dans les établissements publics de santé ? – Quels sont le champ et la mission d’intervention de l’aumônier ? – Comment s’introduit la laïcité dans la fonction publique hospitalière ? – Comment l’aumônier assume, au quotidien, les difficultés à l’hôpital ? – Quelles sont les conventions qui régissent les cadres de santé, les patients et les aumôniers ? – Comment aborder les questions de religion avec les aumôniers ? – Conclusion.
Je recherche ce qu’il est possible de développer pour améliorer la fonction de l’aumônerie au sein des établissements et obtenir une meilleure connaissance de cette fonction. Je m’intéresse aussi à l’articulation, avec les services de soins, à la mission de l’aumônier au sein des hôpitaux dans le contexte de la loi de séparation de 1905 et l’introduction du concept de la laïcité.
Comment expliquer cette implication dans les prisons et ensuite dans les hôpitaux ?
Pour les Musulmans de la Savoie, c’était une première !
Une bienveillance, venue de mes parents, a sûrement une signification. Albert Memmi précisait : « La condition , c’est l’ensemble des situations vécues qui font l’individu ! ». Cette conditiona quelque chose de généreux : « si vous aimez ce que vous faites, vous réussirez ». On disait, alors tout jeune : « Il n’est pas en retard ce gamin et il sait ce qu’il veut! ». Et quand plus tard, avec de telles dispositions, on se trouve dans un milieu de désespérés et d’écorchés,…on trouve, de façon magique… les mots qui conviennent, les mots chaleureux qui confortent.. Il faut aimer les gens !
A la suite de mon émigration, en 1954, j’ai découvert la situation difficile des musulmans dans la société française, avec un réel ostracisme de l’islam. Cela aura un effet drastique…Ce contexte m’affecte assez profondément ! Une vocation sociale prendra, alors, corps en moi. L’attirance pour l’aumônerie musulmane va se confirmer : « Je dois m’investir dans ce domaine » …Et c’est dans ce contexte que des projets dans le social et le bénévolat ont pris forme.
Après avoir été admis, en 1959, à la Protection Judiciaire de la Justice. (PJJ), fonction qui se prolongera dans les Sauvegardes de l’Enfance et de l’Adolescence jusqu’à ma retraite, en 1989, je me suis tout naturellement, en 1991,investi dans l’aumônerie pénitentiaire. Affecté à la Maison d’Arrêt Belledonne de Chambéry et au Centre de Détention d’Aïton , je découvre, confondu, que les musulmans sont majoritaires dans ces établissements ; le taux de remplissage est supérieur à 55%. Il y a de quoi en être affecté. Cette situation, à l’égard des musulmans, choque de grands intellectuels français : Sartre, Foucault, Deleuze … ils parlent d’indignité.
La fatalité et l’humiliation ne sont pas acceptées dans la tête bouillonnante d’un homme frisant la soixantaine. Pour répondre aux besoins des musulmans, lacréation de lieux de culte m’envahit ! « Là, on pourra les rassembler et les aider plus facilement »… Le premier voit le jour en 1982 à Chambéry. Le second, à Aix les Bains, fut construit avec un carré musulman attenant au cimetière de la ville.
La création de deux associations va suivre: l’Union des Enfants d’Abraham – l’UDEA, (en lien avec la Fraternité d’Abraham à Paris), et pour effectuer des échanges internationaux avec les pays du Maghreb : l’Institut inter-Culturel Maghreb France – ICMF . Il s’agissait d’apporter une meilleure information sur la civilisation musulmane, ce qui rendra service aux autres sensibilités religieuses.
Entre temps, avec d’autres participants, nous nous impliquons dans les activités de la Conférence Mondiale des Religieux pour la Paix (CMRP) et de la Fraternité d’Abraham, toutes deux siégeant à Paris. Nous travaillons sur des sujets liés aux rencontres inter religieuses, le concept de la laïcité et le développement de la paix dans le monde. La création d’un site: https://education-citoyenneteetderives.fr , pour poursuivre, avec l’écriture, divers domaines qui me paraissent importants, rendre, entre-autre, l’histoire de la laïcité un peu plus familière
Quels sont les prédispositions ou les qualités de l’aumônier ?
-L’écoute, dans cette fonction, est une grande école. Elle permet aux patients de bien exprimer l’essentiel, de soulager un peu sa souffrance. Quand on sait écouter, on sait ensuite quoi dire et quoi faire. La parole peut être une occasion du dévoilement et d’élévation de la pensée. Celle de l’aumônier apporte le sens de l’existence et elle peut réconfortée. Il faut apaiser les patients et les aider dans leurs ressources intérieures. Il faut les convaincre que, dans ce monde difficile, ils ont de grandes capacités latentes en eux. Etre aumônier hospitalier consiste à être toujours disponible pour le personnel de l’hôpital et les patients.
Il est important d’être désoccupé , cela de jour comme de nuit, les week-ends comme pendant la semaine, 24 h. sur 24 h. Les cas, où on est tiré de son sommeil, ont eu lieu plusieurs fois ! Face à la souffrance, à la maladie mentale, il arrive de se trouver décontenancé. Lors d’un décès, on ressent toujours, un profond embarras. Personne n’est préparé à cette blessure humaine.
Il n’est pas toujours évident, pour l’aumônier lambda, de trouver les mots justes face à l’anéantissement psychologique des patients en de telles circonstances ! Après 23 années de bénévolat dans les prisons, l’âge « canonique » m’a contraint et obligé d’abandonner l’aumônerie pénitentiaire. J’en fus vraiment désolé.
Cette aumônerie et les associations, encore en activités à ce jour, sont à l’origine de ma consécration, le 31 octobre 2015 à l’ordre de « Chevalier de la Légion d’Honneur etaux Palmes d’Or du Bénévolat. Ces décorations effacent toutes les épreuves liées à ces activités.
Comment sont organisées les aumôneries dans les établissements publics de santé ?
– Mon rôle dans la fonction d’aumônier consiste dans la gestion d’une équipe d’aumôniers hospitaliers musulmans. Cette équipe, mixte est constituée des trois nationalités maghrébines, (algériennes, marocaines, tunisiennes, mais aussi des pays d’Afrique Noire). ce qui me confère la position de référent . C’est ainsi que ce groupe fonctionne auprès des Centres Hospitaliers Métropole de Chambéry et d’Aix les Bains et du Centre Hospitalier Spécialisé de Bassens.
L’aumônerie musulmane se compose d’une douzaine de personnes et d’un imam. Les aumôniers sont généralement des religieux fidèles à leur mosquée d’origine. Elles sont prises en charge par l’aumônerie d’obédience algérienne. Lors de demandes de patients, autres qu’algériennes, il est fait appel à l’imam originaire du pays du malade. Tout cela se passe dans une ambiance conviviale.
Les dames représentent un corps d’aumôniers important. (Le féminin n’existe pas dans cette fonction. On ne dit pas aumônières ). Elles sont là, pour des raisons diverses. Certaines, par opportunité personnelle. Cloîtrées à la maison, elles sortent pour rencontrer du monde ou pour se former. Pour la plupart, elles sont encouragées par une foi inébranlable, un besoin « d’aider autrui ». Cela correspond à des devoirs religieux en islam. Gratifiées et reconnues, elles réalisent un travail difficile et ingrat auprès de la population qui souffre. Beaucoup se vouent ainsi, corps et âme à leur mission. Il faut simplement leur reconnaître de la confiance et du respect.
La direction des hôpitaux, très attentive à nos activités, a, en charge, l’ensemble des aumôneries de l’établissement. Nous disposons d’un bureau avec le matériel informatique au complet et pouvons communiquer avec l’ensemble des services de l’hôpital par mails et par téléphone. Une cafetière et du thé sont mis à la disposition des bénévoles et des familles des patients lorsqu’elles viennent nous rencontrer. A l’occasion, des petites bouteilles d’eau et parfois des fruits sont offerts. Nous avons rarement les mains vides ! Avec l’ensemble des aumôneries de l’établissement, nous avons créé un lieu de culte multi confessionnel permettant, ainsi, à ceux et celles qui le veulent, de se recueillir.
Quand nous allons visiter, nous portons le badge de l’aumônerie musulmane qui permet de bien nous identifier. Les visites aux patients sont le cœur de notre action. Nous essayons d’être discret pour ne pas nuire au bon fonctionnement du service. Nous n’imposons pas notre présence aux patients. Une attention particulière est donnée à chacun et chacune lors de la rencontre. Elle est un soutien dans la démarche globale de soins.
Aller, en aumônerie, au devant des musulmans en difficultédans les prisons et les hôpitaux, mais pas que !…La solidarité est des deux côtés…. Nous allons vers les chrétiens et aussi, les juifs ! C’est le sacerdoce de tous les aumôniers ! La participation aux travaux sur l’éthique nous l’intime ; elle facilite grandement nos rapports avec l’ensemble des cadres de santé.
Une plaquette d’accueil présentant l’aumônerie musulmane et ses fonctions, est mise à la disposition du public. Rédigée ainsi : Qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous là ? Comment nous rencontrer ? L’association : Union des Familles de Culture Musulmane – UFCM – est la structure de base de l’aumônerie. (Il s’agit de la première association musulmane laïque en France , créée en 1989 par Pierre Patrick Kaltenback, d’obédience ‘Protestant de France’. Elle est en fonction jusqu’à ce jour).
Quels sont, le champ et la mission d’intervention de l’aumônier ?
Que fait l’aumônier en milieu hospitalier ?
La régularité desvisites est très importante dans la relation avec les soignants et les cadres de santé. Il est essentiel, comme le souligne la charte hospitalière, que « la démarche de l’aumônier doit rester cohérente avec la démarche de soins. Le soutien est cultuel et spirituel !». En parallèle, afin de développer la collaboration avec l’ensemble du personnel de l’établissement, notre équipe effectue des visites régulières des patients, des réunions avec les cadres de santé, le maintien des rencontres avec la direction des cultes de l’établissement. A observer, que pendant cette période de pandémie avec la Covit-19, les visites ont dues être interrompues, seules les urgences sur appels des cadres de santé sont respectées.
Certains aumôniers s’impliquent avec abnégation auprès des malades, au même titre que sainte Teresa, ou Soeur Emmanuelle, missionnaires catholiques. De la même façon que d’autres religions, ils sont des messagers de l’amour de Dieu. Ces personnes, dans le bénévolat, entourent les malades comme Saint Camille de Lellis, précurseur de la bienfaisance , protecteur des hôpitaux et des malades. Leurs agissements correspondent totalement aux préceptes religieux en islam.
Dans la théologie catholique, l’écoute de l’autre est liée au sacrement … celle du Protestant à une parole de grâce. L’écoute dans la dimension musulmane ouvre vers Allah ! Elle nous met en communion avec Dieu,… qui Lui, est attentif à la vie des hommes.
Pour le ‘lavage des corps’ , les aumôniers ne sont pas tous opérationnels. Cette fonction exige un personnel bien formé. Pour pourvoir aux remplacements, des formations sont organisées afin d’assurer le ‘toilettage des défunts’. A noter qu’un homme peut faire le lavage de corps d’un homme mais seule une femme peut remplir cette fonction auprès de la femme défunte. Cette activité nécessite une approche« œcuménique » avec des rites distincts et une technique très élaborée. Des journées d’encadrement ont été également organisées avec les Pompes Funèbres.
Nos réunions, rendues possibles hors covid, sont placées sous le signe du respect de chacun, de la reconnaissance avec les autres aumôneries de l’établissement : catholique, protestante, juive, etc. Saisissant toutes les opportunités, nous nous retrouvons avec le plaisir de partager un thé à la menthe ou la galette des rois… dans un style oriental… lors des anniversaires, fêtes religieuses des uns et des autres. Les enfants des aumôniers n’ayant pas classe, ce jour là, participent à ces petites agapes. Nous tissons ainsi, mutuellement, des liens d’amitié et de fraternité !
La mort à l’hôpital est le lieu de décès d’une grande partie de la population. L’accompagnement du deuil et la fin de vie sont des sujets importants. Il concerne tous les aumôniers de toutes les religions. La formation sur l’approche de la maladie et de la mort, est utile. Elle est réalisée par une personne spécialisée, dépendante d’une structure privée. Par solidarité, nous proposons aux autres aumôneries de l’hôpital de se joindre à nous. Dans cette formation « deuil et fin de vie », nous avons discerné différentes étapes : – Comment réconforter, traverser une période douloureuse – Comment parler et surmonter la déprime et l’abattement ? – Comment parler de la fin de vie ? Tel a pu être le contenu des messages de l’animatrice.
La mort est accompagnée des rites funéraires propres à l’anthropologie de chaque religion. La croyance et la foi se présentent, dans ce cas, comme des bouées de sauvetage, des fontaines de morale et de paix. Dans les moments difficiles, il est commun, pour la majorité des personnes, de se rattacher à la foi en Allah (en Dieu). La foi surgit parfois dans la souffrance. On espère être épargné de toutes les calamités. Dans toutes les religions, elle peut avoir une place importante dans le processus de guérison. Dans le catholicisme , celle-ci est souvent attribuée à la thaumaturgie , soit l’intercession des saints pour les miracles. Dans le protestantisme , la guérison, par la foi, est un processus qui survient à la suite de prières. Dans l’Islam , elle est parfois associée à des lieux de pèlerinage , comme l’eau de Zamzam à La Mecque , en Arabie saoudite .
Avec ce Covit-19, nous avons connu des déboires. Tout au début de la pandémie, emporté par ce virus, un défunt musulman a échappé à l’incinération « clandestine ». L’infortuné fut alors mis dans un cercueil, sous une enveloppe plastique, entouré de « fossoyeurs », eux-mêmes surprotégés du virus pour accomplir la mise en terre. Lors de ces lugubres enterrements, nous avons multiplié les soutiens aux familles désespérées. Comment accepter, émotionnellement, le départ définitif d’un parent, d’un ami, sans pouvoir l’assister et l’entourer avant le grand départ ? Les quelques situations vécues ont été épouvantables ! Ces enterrements, sous Covid-19, ont cassé le mental des plus forts d’entre-nous. L’inquiétude de la crémation évitée, la coutume musulmane a bien été respectée. A noter, toutefois, que ce fut après bien des démarches.
Comment s’introduit la laïcité dans la fonction publique hospitalière ?
Rappel des principes fondateurs de la loi de 1905 en milieu hospitalier.
Comment mobiliser les aumôniers musulmans sur le concept de la laïcité et comment peuvent-ils cohabiter avec l’impératif de la laïcité des établissements de soins ? Comment résoudre les éventuels conflits entre convictions religieuses et législation laïque ? La formation des aumôniers à la laïcité reste importante. Que dit cette loi ?
Le « Fait Religieux » est une approche de l’ensemble des religions comme faits de civilisation. Il n’est rien d’autre, que le respect de toutes les croyances.
Les articles 1 et 2 de la loi du 9/12/1905 sur la s é paration des Eglises et de l’Etat fondent le mod è le fran ç ais de la la ï cit é .
Ainsi l’Etat assure la libert é de conscience du citoyen.
Il n’ignore pas le fait religieux mais consid è re de mani è re identique tous les cultes. L’Etat affiche pour cela une neutralit é .
La la ï cit é est donc un principe politique et juridique : elle é tablit la s é paration des Eglises et de l’Etat par la puissance de la loi. Nous vivons aujourd’hui sous cette loi.
La Constitution du 4 octobre 1958 dans son Article 1er affirme ce principe :
« La France est une R é publique indivisible, la ï que , d é mocratique et sociale. » La la ï cit é est ainsi clairement é nonc é e comme l’une des valeurs fondatrices de la R é publique.
Le texte se poursuit ainsi :
« Elle assure l’ é galit é devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.»
La la ï cit é ne s’oppose pas aux religions.
Elle garantit, au contraire, la libert é de culte pour chacun.
Issue de la «guerre des deux France», la la ï cit é a constitu é une rupture pacificatrice.
Sur cette problématique, de formation à la laïcité, “on part de très bas” car il est nécessaire de faire un “effort sur une longue durée” pour rattraper les mesures non prises lors de ces quinze dernières années. Tous les sondages montrent qu’une grande majorité de musulmans accordent une importance à la foi et manifestent de grandes réticences à l’idée de se rattacher à la laïcité, apparentée à l’athéisme. Le concept laïc reste difficile à admettre car il n’est pas en concordance, avec un monde dont la croyance est dominante. Il fallait créer des outils pour faciliter cette formation. Nous sommes, néanmoins, sollicités par la Préfecture de la Savoie pour contribuer au rapport annuel de l’Observatoire National de la Laïcité.En ces temps de crise, nous continuons à échanger même sur le séparatisme. Nous affrontons là, de longs moments d’incompréhension.
Le plus difficile, reste « la liberté de changer de religion, considérée comme apostasie en islam ». Notre aumônerie a encouragé la formation civique et civile à l’Université de la Savoie Mont Blanc.
Il est important et même crucial pour des raisons culturelles et civiques, que les étudiants en aumônerie bénéficient de cet enseignement prévu par la loi mais largement ignoré dans les faits. Ces programmes doivent se banaliser.
Panneaux en exposition sur le “Fait Religieux”.
Comment l’aumônier assume, au quotidien, les difficultés à l’hôpital ?
Comment les aumôniers abordent les questions ultra-sensibles à l’hôpital ?
Il y a parfois des manquements, des inconduites et de la violence dans les services. Dans certains cas, il nous est demandé d’intervenir sur des conflits divers, dus, aussi, à la méconnaissance de la laïcité. Notre action, en plus du soutien moral et spirituel auprès des patients qui souffrent à l’hôpital, doit aussi permettre aux médecins de réaliser leur travail. De ce fait, notre action, dans l’aumônerie est « conditionnelle », à la demande. Nous devons souvent agir sur le champ.
Les valeurs républicaines restent encore menacées dans l’hôpital. Les problèmes s’estompent généralement devant l’aumônier, lui aussi musulman. Dans d’autres cas, face à des comportements figés, c’est un peu plus difficile, mais nous aboutissons toujours. On peut manquer de respect, et se voir accuser d’irréligieux,de mécréant. Cela est possible, mais, il faut le reconnaître, assez rare. La paix reste, toutefois, fragile à l’hôpital ! Sur quelle légitimité peut s’appuyer un aumônier, à la fois, représentant de son culte et invité à la neutralité comme tout agent de service public?
Il se présente de nombreux cas : celles des patientes refusant qu’un personnel masculin entre dans leur chambre, pas seulement pour des questions de pudeur. Celles aussi qui ne veulent pas serrer la main. Des patientes qui refusent d’être examinées par un médecin homme.
Pour exemple, cette jeune femme « coachée » par un imam saoudien trouvé sur les réseaux sociaux, brandissant un verset comme une barrière impossible à transgresser ! Tenant tête aux médecins à l’hôpital qui proposait une fin de vie raisonnable pour son frère : « Madame, depuis 3 jours, nos médecins se relayent pour votre frère trisomique, il ne s’alimente plus, son cerveau ne répond plus, cela ne sert plus à rien de vouloir le maintenir en vie ! ». Violente et hargneuse, la jeune dame ne démord pas. « Vous voulez vous substituer à Dieu, c’est un sacrilège !….Mon frère est musulman ! Sachez que c’est Dieu qui donne la vie et c’est Dieu qui la reprend ». Cette intransigeance cachait un grand désarroi ! Devant les cadres de l’hôpital qui m’avaient appelé à l’aide : « Ici, ce sont les médecins qui commandent », ai-je affirmé d’une façon la plus ferme possible. « Ce sont les médecins qui décident et non pas l’imam, fut-ce un des grands imams de l’Arabie Saoudite ! » Une semaine après le décès de son frère, la jeune dame s’est présentée à l’aumônerie, confuse, pour s’excuser.
Nous constatons aussi des impatiencesde la part des soignants (parfois athées), qui n’aiment pas voir des aumôniers musulmans entourer les malades et importer une façon de croire, noyée dans le fondamentalisme. Il existe, aussi, des patients, de culture musulmane, qui gardent une certaine distance avec la religion et qui ne pratiquent pas.
D’autres parts, certains cadres donnent libre cours à leurs convictions personnelles : « Vous croyez que vos prières sont efficaces ? » . Les toquades sont souvent dirigées à l’intention des femmes enturbannées, le foulard masquant une partie du visage. Ces égarements ont actuellement disparus. Ils avaient cours les premières années, il y a 20 ou 30 ans de cela. Il faut, toutefois, respecter les hommes de l’Art…l’aumônier se fait alors pudique, discret. C’est aussi dans sa fonction.
La question du foulard est une occasion de réfléchir sur son opportunité. On ne convaincra jamais celles qui le pratiquent par conviction. Mais notre rôle est de rappeler cet échange entretenu à la Grande Mosquée de Paris, devant les éminents imams d’Al-Azhar, dont Ahmed El Tayeb, invités par le Recteur Dalil Boubakeur.
La question est posée aux dames de l’aumônerie dans un esprit de concorde : « Le foulard est-il une prescription coranique ? » Les réponses sont libres et diverses dans des échanges constructifs : « Le Prophète l’avait prescrit à ses femmes pour les distinguer des autres » . Cet entretien est relaté dans l’ouvrage « Le soleil de Demain : Islam et laïcité au seuil des temps modernes » , lors d’une conversation avec le chargé de la formation des imams à l’Institut Al-Ghazali, le Dr Djelloul Seddiki.
Ces interpellations font prendre conscience que, pour pouvoir exercer la fonction d’aumônier en France, il faut comprendre sur quelle base et avec quelle perspective se déploie le cadre de la laïcité dans les hôpitaux.
Quelles sont les conventions qui régissent les cadres de santé, les patients et les aumôniers ?
Le rappel de la charte de l’aumônerie, dans les hôpitaux, précise que, dans les établissements de soins, c’est la loi qui décide et non pas la religion. LaCirculaire ministérielle du 6 mai 1995, consolidée ensuite par la Loi du 4 mars 2002 sur les droits du malade sont complétées par les dispositions de la circulaire du 2 février 2005.
Le patient, ainsi hospitalisé, n’est pas seulement un malade. Il est, avant tout, une personne avec des droits et des devoirs. L’établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies. Un patient doit pouvoir suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, etc.).
C’est donc cette loi 1905 et en particulier cet article 2 qui régit, aujourd’hui en grande partie, la présence des aumôneries dans les institutions hospitalières. Une charte des aumôneries du CHM de la Savoie de 2014 est issue de la charte nationale des aumôneries de la fonction publique hospitalière de 2011. Au regard de cette charte, une circulaire du 5.11.2011 précise que l’aumônier est un agent public quelque soit son mode d’exercice et sa quotité de travail dans l’établissement.
Une circulaire du 5.11.2011 précise que l’aumônier est un agent public quelque soit son mode d’exercice et sa quotité de travail dans l’établissement.
Cette charte Bernard , une circulaire du 5.11.2011 précise que l’aumônier est un agent public quelque soit son mode d’exercice et sa quotité de travail dans l’établissement. Les aumôneries étant alors « comme une servitude parmi d’autres à la charge des services publics (…) et en laquelle le Conseil d’Etat trouve la mesure du droit et de l’obligation pour les services publics d’organiser des services d’aumônerie. Et avec l’extinction des congrégations religieuses hospitalières, les hôpitaux vont devenir des institutions publiques.
Les aumôniers peuvent être recrutés en qualité d’agents contractuels. Dans la mission de l’aumônerie au regard de la charte des aumôneries relève de la fonction publique hospitalière. La circulaire du 15/03/2017 du Ministère de la Fonction Publique met en avant un renforcement de la culture de la laïcité dans la fonction publique, notamment en encourageant des actions de formation et d’information sur la laïcité.
Comment aborder les questions de religion avec les aumôniers ?
Pour être aumônier, il faut une bonne connaissance des textes religieux, mais aussi des institutions françaises. On peut leur indiquer… l’autre manière de lire le Coran. Il y a un contexte à rappeler : ce sont les circonstancesde la Révélation. Nombreux sont ceux qui se renferment dans une sorte de caricature, encore figés au VIIIe siècle, à la naissance de l’islam. Nous rappelons, alors, la pertinence des versets « abrogés » et ceux « abrogeants » …pour permettre de saisir le sens de ces versets. La parole de Dieu se présente comme une transcendance dans le moment où elle est dite…en rapport avec la vie pratique, celle qui prévaut à cette époque.
Au cours des rencontres, nous participons à la culture générale. Nous commençons par lire, ensemble, quelques sourates du Coran. Nous parlons du Prophète Mohamed, des versets coraniques sans oublier Moïse et Jésus. Ils sont vénérés dans le Coran. On peut dire : « Moïse et la Thora, ça fait un Juif », « Jésus et la Bible, ça fait un Chrétien », « Mohamed et le Coran, ça fait un Musulman ». Moïse, Jésus, et Mohamed sont au même niveau prophétique ? Ils sont mentionnés dans le Coran, comme étant des messagers de Dieu, des « Rasoul ». Donc, qui sommes-nous pour dire qu’untel est meilleur que tous les autres ? On peut rappeler l’humanisme de l’écriture coranique « Je n’adore pas ce que vous adorez et vous n’adorez pas ce que j’adore ! » . On peut être différent ‘coraniquement’ ! Ce sont-là les paroles d’Allah. Jésus est considéré comme le Prophète qui a apporté un des textes saints, dans lequel les musulmans croient également. En Islam on l’appelle « Injil » … le Nouveau Testament. Nous appartenons tous à la même famille, nous avons le même Dieu.
CONCLUSION :
A chacune de ces étapes en tant qu’aumônier, on se sent engagé et responsable. On s’implique beaucoup dans cette fonction. On peut, aussi, être une cible par un adversaire torturé par un islam moyenâgeux et rétrograde. Nombreux, heureusement, parlent d’apostolat, de sacerdoce ; cela aide à penser que notre rôle est utile… « Je peux continuer à aider autrui !» . C’est la quête première qu’il faut cultiver dans notre société alors que l’effondrement civilisationnel nous guette.
Comme nous l’avons souligné, il faut banaliser l’approche de la laïcité dans les écoles, les Lycées, les Collèges et en particulier les aumôneries musulmanes. Dans cette aumônerie savoyarde, notre horizon est de construire un monde d’amour auprès des gens qui ont besoin d’une aide, parce qu’ils sont fragiles et qu’ils ont besoin d’être soutenus. Notre action est liée à une certaine conception de la vie, une façon de concevoir ce monde. Finalement, on ne serait, peut-être, que l’instrument de la Providence. Peut-on échapper à son destin ? On se trouve dans cette trajectoire, comment l’expliquer autrement ? Dieu en se retirant ne nous a pas laissé les mains vides. Quelque chose de lui est passée en chacun de nous, qui ne demandant qu’à être cultivé. Aujourd’hui, nous accompagnons ceux qui ont besoin, nous transmettons un message d’espérance. Comme l’a écrit Simone Veil :« Venus de tous les continents, croyants et non croyants, nous appartenons tous à la même planète, à la communauté des hommes…»
Une circulaire du 5.11.2011 précise que l’aumônier est un agent public quelque soit son mode d’exercice et sa quotité de travail dans l’établissement.Les aumôneries étant alors « comme une servitude parmi d’autres à la