Comme ce quinquagénaire, ils sont une trentaine en ce mois de décembre à se serrer dans une salle exiguë de l’Institut Al Ghazali, entre les murs de la grande mosquée de Paris (GMP). En deux ans pour les aumôniers (prisons, hôpitaux, armées), en quatre ans pour les imams, les étudiants suivent des cours d’arabe et de français, de sciences religieuses, de “matières profanes”, etc. Neutralité de l’Etat à l’égard des cultes, égalité hommes-femmes… Questions et réponses fusent.
“Le terrorisme n’a pas de religion. L’islam c’est vous, ses futurs cadres”, lance à ses élèves le professeur, Missoum Chaoui, quelques semaines après les attentats jihadistes qui ont fait 130 morts dans la capitale. “Il y a peu de formations, pour 2.500 mosquées”, relève toutefois un élève. De fait, en France, seuls quelques cursus préparent les imams et aumôniers de demain, gérés par de grandes fédérations, notamment la GMP (liée à l’Algérie) à Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, proche des Frères musulmans) dans la Nièvre et à Saint-Denis… Le Rassemblement des musulmans de France (RMF, de sensibilité marocaine) espère ouvrir un centre à Rennes en septembre 2016.
Face à ces besoins, le gouvernement continue de parier sur les pays d’origine, mais a commencé à signer des engagements bilatéraux pour consolider la formation qui y est prodiguée. Un accord avec Alger va rendre obligatoire l’inscription des cadres arrivant dans l’Hexagone à un diplôme universitaire laïque, et une cinquantaine d’imams français pourraient suivre chaque année à l’Institut Mohammed VI de Rabat un enseignement religieux complété par un module profane en France ou au Maroc.
A peine la moitié des 1.600 à 1.800 imams officiant en France sont affiliés à une fédération, dont 300 directement “détachés” par l’Algérie, le Maroc ou la Turquie. “Le reste, ce sont des imams ponctuels, occasionnels, parfois autoproclamés”, regrette le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech.
“Il faut assurer aux imams une formation minimale qui leur permette de porter un discours conforme à la fois aux préceptes de l’islam et aux valeurs de la République”, explique-t-il à l’AFP. Il a annoncé une “certification” des imams, mais les contours de ce projet restent flous, et dans tous les cas la propagande jihadiste se diffuse largement loin des mosquées, sur internet et en prison.
Même dans un paysage sunnite – donc sans clergé -, les communautés musulmanes françaises demandent beaucoup à leur imam, littéralement “celui qui est devant, qui guide” la prière: connaissance du Coran, talent pour délivrer en chaire le prêche du vendredi, aptitude à conseiller les fidèles, en particulier les jeunes… Les imams étrangers “nous ont rendu service, et on ne mettra jamais en doute leur formation théologique. Mais leur discours et leur niveau en français ne sont pas toujours adaptés à nos réalités sociétales”, souligne Missoum Chaoui, également aumônier pénitentiaire pour l’Île-de-France.
A la faveur des initiatives déjà prises, “le niveau va augmenter”, prédit Solenne Jouanneau, auteur de travaux de recherche sur l’imamat. Mais “le niveau de formation n’est qu’une partie du capital de légitimité d’un imam. La plupart des tentatives de l’Etat ne prennent pas en compte la façon dont les communautés le choisissent”, observe la politologue, citant le “charisme”, “tout un jeu d’affinités électives”, la “manière de réciter le Coran”, etc.
Président d’une mosquée à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), Miloud Cheulafi étudie à l’Institut Al-Ghazali justement pour vérifier les aptitudes des intervenants religieux de son association. “Celui qui fait le discours, il faut que je connaisse son niveau, que j’apprenne à le gérer”. “Si je peux aller jusqu’à l’imamat, j’irai”, confie Abdel Maldji, soucieux d’afficher une aussi bonne maîtrise de l’arabe que du français: “Quand on jongle avec les deux langues, on peut faire passer le bon message”.