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Dans son livre-enquête « Nos élus et l’islam », le journaliste Erwan Seznec dresse un inventaire des pratiques électorales clientélistes.Propos recueillis par Clément Pétreault
Le journaliste Erwan Seznec, auteur du livre-enquête « Nos élus et l’islam. » © DR
C’est un livre qui aurait pu s’intituler « Anti-manuel de laïcité républicaine »… Dans Nos élus et l’islam, le journaliste Erwan Seznec décortique de manière clinique des pactes toxiques qui se nouent entre des élus de la République prêts à tout pour garder leur siège et des activistes religieux porteurs d’un projet politique. Ces choix se font en général au détriment de l’intérêt général et de populations assignées à des identités étriquées. Est-ce vraiment le rôle d’un élu que d’encourager la transformation de citoyens fragilisés en clientèle de croyants nécessairement conservateurs ? Pas sûr… Difficile pour autant de désigner un responsable unique dans ces processus, on ne sait plus vraiment « qui instrumentalise qui », explique Erwan Seznec, pour qui le communautarisme est « autant une question d’offre que de demande ». Son inventaire des mauvaises pratiques et des choix peu judicieux constitue, avec Le Maire et les barbaresd’Eve Szeftel, une enquête d’utilité publique.
Le Point : Vous publiez un livre intitulé « Nos élus et l’islam ». Nos élus ont-ils un rapport particulier à l’islam ?
Erwan Seznec :Les élus que j’ai croisés qui avaient le rapport le plus clair à l’islam sont les élus de culture et d’origine musulmane. Les autres tâtonnent beaucoup, par peur d’être taxés de racistes – parfois à raison. Il y a aussi le sentiment de culpabilité, qui a fait des dégâts énormes à gauche. C’est bien souvent sous le couvert de générosité que l’on commet les pires amalgames et que l’on réduit l’autre à une équation simpliste : islam = arabes = colonisés = dette morale. Il est sain d’admettre ses erreurs, mais un élu local n’est pas là pour réparer les injustices du passé… Beaucoup n’ont pas conscience que leurs choix politiques « assignent à résidence culturelle » des individus en les réduisant au statut de croyant. Cela fait courir des risques énormes à l’ensemble de la société.
Le gouvernement prépare une loi sur le séparatisme, pendant que des élus de la majorité se laissent approcher par des systèmes clientélistes communautaires…
J’ai pu constater, dans le Nord-Pas-de-Calais notamment, que les élus de LREMavaient été approchés et séduits par un petit groupe d’activistes politico-religieux, qui avait déjà tenté la même chose avec le PSil y a quelques années. Ces activistes étaient organisés autour de la famille Iquioussen. Ils se retrouvent aujourd’hui conseillers municipaux, ou à des postes administratifs, parfois importants, dans les villes du Valenciennois. Ils n’ont pas forcé la porte. On la leur a ouverte en grand, parce qu’ils représentent ce qui manque aux partis politiques : des jeunes issus de l’immigration. Lorsque sonne l’heure d’ouvrir les listes municipales à la société civile, ils sont là. Ils se présentent comme républicains, de gauche. Certains sont porte-parole de mosquées. Est-ce incompatible ? Pour les politiques qui raisonnent par analogies avec le mouvement des prêtres ouvriers qui a accompagné le PCFpendant de nombreuses années, non. Alors ils les prennent sur leurs listes. La suite a démontré que c’était une erreur. Dans le cas du Nord-Pas-de-Calais, à peine intégrés au personnel politique local, certains de ces jeunes se sont pris en photos en train de faire une quenelle au Sénat, lors d’une réception. Cet épisode n’a rien d’anecdotique, car l’élément central, Soufiane Iquioussen, est le fils d’un imam populaire sur les réseaux sociaux, Hassan Iquioussen, qui s’est illustré en donnant au moins une conférence avec Alain Soral, dont on connaît l’antisémitisme obsessionnel. Cette quenelle en plein Sénataurait dû être interprétée comme un signal inquiétant, mais elle a délibérément été ignorée par les élus. Il était trop tard pour admettre l’ambiguïté de la petite équipe. La proximité de certains avec La manif pour tous aurait aussi dû les alerter sur l’opération d’entrisme dont ils faisaient l’objet. Les élus ne se sont tout simplement pas livrés à un exercice simple, qui consistait à s’interroger sur la catégorie de musulmans à laquelle ils avaient à faire. Une des leçons de mon enquête, c’est qu’un imam sincèrement républicain ne se mêle pas de politique.
Ces gens, dans leur mégalomanie délirante, veulent recréer des enclaves islamiques
On a le sentiment que le clientélisme électoral est plutôt bien partagé sur l’échiquier politique… Comment expliquer que tous les partis finissent par céder à cette facilité ?
Il n’est pas possible de tracer de frontière nette entre le souci légitime de l’électeur et ce qui relève du clientélisme. On peut se retrouver à faire du clientélisme sans avoir compris qu’on avait franchi les limites de l’acceptable. Cela se vérifie, hélas, assez souvent auprès d’anciens du PCF, qui avaient une conception très systémique de la politique : ils brouillaient sans penser à mal les frontières entre la municipalité, le parti, le syndicat, les associations et les clubs de sport, tous du même bord. Aujourd’hui, ils se retrouvent à composer avec des mouvements qui ont repris la recette, la mosquée, le club de futsal, le centre culturel, le foyer, l’association de soutien scolaire, etc., mais qui disposent de leur propre calendrier politique !
Le clientélisme à la papa, limité dans le fond à un simple renvoi d’ascenseur, n’est pas glorieux, mais ce n’est pas si grave. En revanche, quand on passe un pacte avec un imam qui entretient un projet d’islam politique, c’est un problème. Ces gens, dans leur mégalomanie délirante, veulent – Bernard Rougier le décrit très bien – recréer des enclaves islamiques, des « zones de décence et de pudeur » comme ils les nomment, c’est-à-dire des enclaves où les musulmans seraient soumis au contrôle social permanent d’autres musulmans hyper-conservateurs. Voilà précisément pourquoi je considère comme problématique le fait qu’on en arrive à considérer comme normal qu’une collectivité locale se retrouve bailleur d’une « salle de sport pudique » sous prétexte que cela répond à la demande populaire dans le quartier en question… Les décisions les plus dangereuses se prennent toujours au nom de la générosité, qui organise et encadre l’enclavement.
Vous pointez du doigt le travail d’associations de « community organising » comme Alliance Citoyenne… Qui finance ces associations ? Dans quelles dynamiques militantes s’inscrivent-elles ?
Le financement de Georges Soros n’est pas une légende, tout comme l’activisme de l’ambassade américaine qui, après les émeutes de 2005, a tenté de faire émerger des leaders issus de minorités visibles. Les WikiLeaks sont particulièrement instructifs sur ce sujet. Là non plus, il ne faut pas négliger le poids de l’altruisme dévastateur. En calquant sur les banlieues françaises leurs grilles d’analyse américaine, issues d’un passé ségrégationniste, les États-Unis ont déduit logiquement que l’État français était raciste et que les minorités visibles avaient besoin d’aide. Du coup, ils ont mis le paquet en faisant venir Samuel Jackson dans les cités, en soutenant le Bondy blog, en faisant émerger des « jeunes leaders de la diversité »… Seulement, les Américains ont sous-estimé la dynamique de l’islam politique qui agitait le monde. Aujourd’hui, le community organizing français garde Barack Obama comme référence absolue mais défend les islamistes au jour le jour ! Ils ont l’oreille des élus, qui croient avoir affaire à des gens parlant au nom des quartiers. Pour ce que j’en sais, ce n’est pas le cas. Pas encore. Le risque, c’est l’effet de levier. Donner des postes en mairie à des gens qui ne représentent personne, c’est leur donner l’outil pour se constituer une vraie base électorale. C’est comme cela qu’Éric Coquerel a vendu à Jean-Luc Mélenchon l’idée que les 600 000 voix qui lui avaient manqué pour se qualifier au second tour de la présidentielle étaient dans les cités. Et c’est comme cela qu’on a failli se retrouver avec Assa Traoré sur la liste LFI aux européennes de 2017… Les élus ne comprennent pas que ce sont eux qui légitiment les community organisers par le simple fait de les prendre au sérieux.
Extraits de Nos élus et l’islam
De nombreux indices suggèrent que l’intégration fonctionne désormais à rebours, à la Villeneuve [quartier de Grenoble, NDLR]. Les frères Rachid et Hamid Djellal, qui exploitent une salle de gym à la Villeneuve depuis plus de quinze ans, ont décidé en 2019 de s’agrandir. Ils entendaient ouvrir un espace fitness réservé aux femmes… dans des locaux loués par Grenoble Alpes Métropole. Les élus ne s’y opposant pas, la collectivité était bien partie, mi-2020, pour devenir le bailleur d’un espace de sport « pudique », selon la terminologie en vigueur. De l’avis unanime, les frères Djellal ne sont absolument pas fondamentalistes. Ils ont simplement fait une étude de marché. Or, il se trouve qu’à la Villeneuve, la non-mixité devient un choix porteur, pour les coiffeurs ou les gérants de salle de sport. Précision, Hamid Djellal était en charge des quartiers populaires, dans l’équipe de campagne de la candidate LREM aux municipales, Émilie Chalas. Il n’a jamais avancé masqué. Sur les documents de campagne, il est présenté comme porteur d’un « projet innovant de salle de sport dédiée aux femmes ».
Il n’est pas resté très longtemps dans l’équipe d’Émilie Chalas. Dès décembre 2019, il n’en faisait plus partie. Et c’est finalement avec une autre représentante de la Villeneuve inscrite sur sa liste que la candidate LREM a eu des soucis : Louisa Ben Fakir. En février 2020, à cinq semaines du premier tour, celle-ci a été rattrapée par des messages Facebook antisémites datant des précédentes municipales. Louisa Ben Fakir appelait ses proches à ne pas voter pour le candidat socialiste Jérôme Safar. « Le mot est déjà passé dans la mosquée de Kawthar : c’est haram de voter Safar qui envoie 20 % de son argent en Israël. » Ce message ne constituait pas un dérapage isolé. Louisa Ben Fakir avait également mis en ligne sur son compte Dailymotion des vidéos apocalyptiques délirantes du prédicateur turc Harun Yahya, où l’on apprend que « l’acceptation de l’homosexualité comme un mode de vie normal » est une « indication de l’approche du jour dernier ». Pourquoi avoir pris un profil aussi risqué sur la liste ? À cette question, un proche d’Émilie Chalas a une réponse désarmante : « Le problème, c’est de trouver quelqu’un qui ne tienne pas de propos antisémites quand on cherche un représentant dans les quartiers. Ils ne se rendent même plus compte. Pour eux, c’est normal. »
Nos élus et l’islam, par Erwan Seznec, aux éditions Robert Laffont, parution le 24 septembre.