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Le refus des statistiques ethniques est une autre forme de cécité, dans une France déjà multiculturelle et communautarisée depuis un quart de siècle.
Casser le thermomètre est le meilleur moyen de nier la fièvre
Faire la politique de l’autruche est le meilleur moyen de nier la réalité. En refusant les statistiques ethniques, on permet aux préjugés de se fonder sur des sentiments. Les Juifs maitrisent les médias, noirs et Arabes remplissent les prisons, les immigrés sont la source de toute la délinquance, les étrangers pillent les systèmes sociaux, etc. etc.
Pendant ce temps, la cocotte-minute est sous-pression et cela fait l’affaire du RN et du centre droit, qui est certain de bénéficier à tous les coups du duel avec les Le Pen.
La gauche quant à elle, n’a plus rien à proposer que des phrases creuses qui appartiennent au passé. L’écran de fumée, entretenu par le refus de statistiques claires, permet à chacun de deviner ce qu’il veut voir derrière le nuage, de crier au complotisme, et de donner libre cours à tous les phantasmes.
Le refus des statistiques ethniques, uniquement basé sur une vision surannée de la République une et indivisible, est une autre forme de cécité, dans une France déjà multiculturelle et communautarisée depuis un quart de siècle. Les choses vont-elles s’améliorer ? Certainement pas quand on voit les statistiques de l’INSEE.
Statistiques ethniques: regarder la réalité en face.
Cette société qui « se racialise progressivement », Emmanuel Macron ne l’accepte pas. Dans Elle, il regrette que « l’on réessentialise les gens par la race », le meilleur moyen, dit-il, de les assigner à résidence. Comme sur la laïcité, il faudra au Président beaucoup de pédagogie pour résister à la vague woke et expliquer cet universalisme consubstantiel à l’idéal républicain. Au reste du monde, mais pas seulement…
Au même moment, le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU appelle la France à utiliser davantage les statistiques ethniques afin de lutter contre le « racisme systémique ». En 2020, un rapport parlementaire l’a écarté : pas question de fragiliser la société par une incitation au communautarisme. Et le chef de l’Etat a fermé la porte à toute réforme. Il pourra plaider le choc des cultures pour balayer la recommandation onusienne, élaborée en plein séisme George Floyd.
Notre égalité par invisibilité des origines est-elle pour autant exempte de critiques ?
Pas certain. Il y a d’abord une vraie hypocrisie à camper sur un principe d’interdiction stricte des études ethno-raciales pour ensuite contourner la loi parce que ces recherches sont tout simplement… utiles ! Et puis comment se targuer de lutter contre les discriminations dans l’éducation, le recrutement ou le logement sans jamais pouvoir mesurer l’efficacité des politiques publiques sur les populations concernées ?
Au nom de la préservation – nécessaire – de la citoyenneté française, nos dirigeants en viennent à défendre une République virtuelle, discréditée par son incapacité à stopper l’archipélisation du pays. Quant aux risques de dérives, rappelant soi-disant les heures sombres de notre histoire, ils sont bien moindres que les délires des wokistes, à base de fantasmes et de fake news. On gagne toujours à regarder la réalité en face.
Qu’est-ce qu’il propose pour lutter contre la montée de ce phénomène ?
Un grand principe, l’universalisme républicain. C’est-à-dire l’idée selon laquelle il n’y a pas, dans notre République, de différence entre les individus. Nous sommes tous égaux, « sans distinction d’origine, de race ou de religion » (c’est la Constitution qui l’affirme), ce qui fait dire à Emmanuel Macron qu’il ne se reconnaît pas « dans un combat qui renvoie chacun à son identité ou à son particularisme ». Tant mieux. Mais prendre cette posture ne suffit pas, ou ne suffit plus. En appeler aux dogmes républicains est désormais un peu court.
Qu’est-ce que les statistiques ethniques ont à voir avec ça ?
Est-ce qu’on peut lutter efficacement contre un phénomène sans le connaître vraiment, sans le mesurer précisément ? Evidemment non. Pour combattre le racisme et avoir une chance de vider de sa substance tout ce qui nourrit la victimisation de ceux qui se pensent stigmatisés en fonction de leur race, alors on doit absolument connaître la réalité de ces communautés, leur nombre, leur histoire, leur mode de vie. On doit pouvoir mesurer l’écart qui les sépare du citoyen lambda, on doit renoncer à cette fiction selon laquelle ces écarts n’existent pas puisque la République est là. On pourra alors réfléchir en connaissance de cause à des mesures ciblées, pourquoi pas à des quotas, des politiques d’affirmative action, et, puisque les gens ressentent de plus en plus leur différence, la traiter au lieu de la nier.
Le haut-commissariat aux droits de l’homme appelle plusieurs pays, dont la France, à développer les statistiques ethno-raciales, une pratique globalement rejetée par la tradition française.
La France devrait-elle recourir davantage aux statistiques ethniques ?
C’est ce que suggère le haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU afin de lutter contre «le racisme systémique». Un rapport publié le 28 juin indique que les États «devraient recueillir et publier des données complètes ventilées selon la race ou l’origine» et analyser «les effets cumulés des lois, des politiques et des pratiques sur certains groupes raciaux et ethniques en particulier». Le rapport va encore plus loin, considérant que «le fait de reconnaître expressément les personnes d’ascendance africaine dans les statistiques est également un pas vers la reconnaissance de leur identité et de leur héritage, qui va de pair avec leur droit à la dignité».
En France, ces statistiques marquent globalement une ligne rouge qui transcende le clivage gauche droite. Si certaines personnalités politiques comme Nicolas Sarkozy ont pu s’y déclarer favorables, la plupart des politiques sont contre. Emmanuel Macron avait balayé la question en 2020, assurant préférer la mise en place concrète de dispositifs anti-discrimination plutôt que de recourir à des statistiques. Un rapport parlementaire du mois de mars 2020 enterrait la question. «L’instauration de statistiques ethniques plus poussées pourrait sembler utile pour mieux mesurer certaines discriminations, mais cela pourrait aussi bien fragiliser la cohésion sociale en donnant une reconnaissance à l’existence de certaines ‘communautés’ et en figeant certains groupes en fonction de critères ethniques parfois artificiels», indique le député LR Robin Reda, président de la mission.
Des études déjà existantes
Par ailleurs, des formes de recensement ethniques existent déjà, au-delà de la loi Informatiques et libertés du 6 janvier 1978. Ce texte interdit «de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.» Mais en 2007, le Conseil constitutionnel a autorisé les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines à partir de données objectives et subjectives. Ainsi, l’enquête Inseed-Ined Trajectoires et origines (TeO) de 2008 interrogeait sur la nationalité et le lieu de naissance des parents. Le deuxième volet, prévu pour 2022, interrogera 26.500 personnes sur leurs grands-parents afin d’étudier comment les origines ethniques peuvent impacter les trajectoires des troisièmes générations. D’autres études de cas permettent d’évaluer le contrôle au faciès ou la discrimination à l’embauche à un lieu ou un moment ciblé.
Des études bien maigres, selon le démographe Patrick Simon, comparées aux statistiques ethno-raciales mis en place par certains pays. «On observe les origines nationales, mais pas l’appartenance ethno-raciale», affirme le démographe. L’enquête TéO nous apprend des choses sur les parcours des descendants d’immigrés mais ne permet pas d’avoir un levier d’action pour évaluer et agir contre les discriminations dans les entreprises, dans l’accès au logement, dans l’éducation ou dans l’accès à la santé», assure-t-il. Au Royaume-Uni par exemple, le recensement ethnique permet des statistiques standardisées qui sont utilisés dans les entreprises ou dans les hôpitaux, par exemple pour évaluer par exemple la mortalité liées au Covid selon les origines. «Le principe politique qui prévaut en France est que l’égalité s’obtient par l’invisibilité des origines ethniques. On considère en France qu’il y a plus de coûts à poser des questions sur les origines que d’avantages à en retirer.»
Risque de communautarisme
Un calcul bénéfice-risque qui prévaut dans le débat, à en croire le démographe à l’Ined Hervé Le Bras. « L’argument le plus développé est le risque de communautarisme. À partir du moment où vous êtes obligés d’appartenir à une catégorie ethnique, vous vous y identifiez de plus en plus, ce qui va à l’encontre de toute idée de citoyenneté française», analyse-t-il. Deuxième problème, selon le démographe, l’ethnicité n’est pas structurante de la société française, sans nier les discriminations existantes. «Dans des pays comme les États-Unis ou l’Afrique du Sud, le recensement ethnique permet d’identifier les descendants de l’esclavagisme. La racine de ces pays est l’esclavage ou l’apartheid», avance-t-il. «Ce qui n’est pas du tout le cas de la France, où les arrivées sont relativement récentes et bien plus mélangées.» Les statistiques ethniques ne s’inscriraient donc pas dans la tradition française, basée sur une citoyenneté indivisible.
Par Coline Renault