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Le Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris
Colloque “La Laïcité demain, en France et en Europe”
La France connaissait l’Islam bien avant 1905, au moins en Afrique du Nord…L’Algérie, conquise depuis 1830, voyait le culte musulman régi par un certain nombre de décrets et d’articles de la République qui en faisaient un service public1. Lorsque Jules Ferry s’était rendu à Alger dans les années 1880, cette situation lui avait été exposée. Force est de constater pourtant, après la Loi de 1905, que la laïcité n’a pas paru vouloir s’imposer pour la séparation du culte musulman et de l’Etat dans les départements d’Outre-mer où les muftis, les imams, les muezzins dépendaient directement de l’autorité publique.
L’Islam a commencé à s’installer en France à partir du début du XX° siècle, mais il semblerait que l’on s’en soit rendu compte surtout dans les années 1980, notamment à propos de “l’affaire” dite du foulard. Cet accroc avec la laïcité a réveillé un débat laïque sur la place des religion et de l’Islam dans la société française dans le contexte des principes et des articles de la Loi de 1905. Celle-ci vous le savez comprend 44 articles parmi lesquels l’article 16 qui stipule : “il est procédé au classement complémentaire des édifices servant à l’exercice public des cultes en énumérant tous les autres lieux de culte, sauf les mosquées”. La Loi de 1905 garantit, en outre, l’exercice du culte religieux et les moyens de cet exercice.
C’est dans ce contexte de débats passionnés sur la laïcité confrontée à l’Islam que la France a découvert sur son territoire la dimension humaine de la religion musulmane. Dès la fin des années 70, des mosquées ont commencé à s’implanter et les besoins du culte musulman se sont traduits par une confrontation avec l’administration, avec la laïcité pour que l’on s’aperçoive, en définitive, que l’Islam était devenu, par le fait des migrations, la deuxième religion de France.
C’est le décret du 26.08.1881 qui soumet à l’autorité publique le culte musulman en tant que “service civil” composé de 16 muphtis et 83 imams pour l’Algérie.
Cette réalité et ces confrontations ont d’ailleurs très vite posé la question de savoir si l’Islam était “compatible avec la laïcité” ou si, au contraire, il était un danger pour cette laïcité.
Je rappellerais simplement que dès le XIXème siècle, l’Islam turc est entré dans le processus de ce que l’on pourrait appeler une laïcisation progressive des institutions. L’Empire Ottoman lui-même, dès 1840, avec le sultan éclairé Abd El Hammid a décrété l’ère des “Tanzimats” : une ère historique connue comme le point de départ et la révolution et de la modernisation de l’Empire Ottoman.
C’est pourquoi, si laïcité dans l’Islam il y a, elle ne peut s’inscrire que dans une démarche de modernité. L’un des défis de l’Islam aujourd’hui dans les pays musulmans réside dans ce rapport à la modernité, dont la première condition nécessaire est la séparation des pouvoirs : le religieux d’un côté et le politique de l’autre. Le politique doit avoir la suprématie, conformément à l’organisation de nos Etats-Nations occidentaux où la neutralité religieuse de l’Etat correspond à une neutralité politique de la religion. Ainsi la laïcité est l’indice d’une véritable modernité dans les divers Etats musulmans qui la pratiquent, peu ou prou.
Dans cette période de modernisation des Etats musulmans, le statut de la femme a été très rapidement posé. L’émancipation de la femme musulmane s’est développée dans le cadre des mêmes débats que nous avons eu en France, concernant le voile, concernant aussi certains vêtements traditionnels comme le Fez en Turquie et aussi en Tunisie, si bien que les débats entre l’Islam et la laïcité sont malgré tout des débats qui ont trouvé des solutions dans les pays musulmans eux-mêmes. Aujourd’hui tous s’accordent à dire que théologiquement, l’Islam n’est en rien incompatible avec la laïcité, et que la laïcité française offre pour les musulmans un espace de liberté d’expression et de pratique religieuse qui fait que l’Islam ne peut pas être en contradiction ni incompatible avec cette vision de l’Etat.
Au fond ce qui peut poser problème, c’est le fait que la laïcité soit à l’origine d’une attitude d’inégalité de traitement des cultes. Dans le cas de l’Islam, la principale revendication, en France, réside dans les diverses pratiques du culte. Et, bien que la religion musulmane soit devenue la deuxième de France, un certain nombre de desiderata persiste. Je citerais par exemple l’absence d’un statut de l’imam.
Autres exemples: le problème des lieux de culte, leur financement, l’aumônerie, les fêtes religieuses, les cimetières. Dans le cas des lieux de culte, la Loi de 1905 ne permet pas un financement officiel par l’Etat, ni des mosquées, ni de leur création et encore moins des personnels religieux ni de leur formation.
Quant aux problèmes de l’aumônerie, Monsieur Alain BOYER (agrégé d’histoire) en a fort bien parlé à cette tribune. L’aumônerie en France est encore aujourd’hui du ressort de la loi de Germinal l’an X (10 ans après 1789) qui ne reconnaît que trois cultes : le catholique, le protestant et le judaïque. J’ai récemment discuté de ce problème avec des officiers de l’Etat major des armées : pour l’instant, il n’y a pas d’aumônier musulman officiel puisque la religion musulmane n’est pas reconnue. Le problème de l’aumônerie musulmane dans les prisons est devenu quant à lui un dossier épineux, compte tenu du nombre important de jeunes détenus.
Les desiderata des musulmans de France concernent également certaines pratiques comme le Ramadan. Vous savez tous que le jeûne du mois de Ramadan est très largement suivi par la communauté musulmane, et que les demandes de congés ou, les demandes d’aménagements des horaires pour les internes des établissements scolaires et les fonctionnaires dans les administrations ne sont pas réglés. Je ne parlerai pas des autres problèmes que sont la formation des imams, les carrés musulmans dans les cimetières dépendant de l’avis des municipalités. Un certain nombre d’autres problèmes font que si l’article 1 de la Loi de 1905 stipule que “L’Etat garantit l’exercice de tous les cultes”, à ce niveau là, l’Islam est encore quérulent de cette garantie.
Je dirais que la laïcité à la française résulte pour nous d’un processus de rationalisation des rapports état/religion issus de la Révolution Française et des acquis des droits de l’homme. Dans l’Europe, où il n’y a pas le même système de laïcité, il y a sécularisation des rapports religion/Etat qui est peut-être le fruit d’une démarche d’humanisme dont la tolérance est l’expression la plus importante. Par exemple dans ses rapports avec la religion, la constitution de l’Empire autrichien prévoyait la tolérance dès le XVIIIème siècle. Donc, sécularisation d’un côté et laïcité formelle de l’autre, deux manières voisines de marier tolérance, droits de l’homme, liberté religieuse et… suprématie de l’Etat.
Aussi le statut de l’Islam en Europe n’est-il pas partout équivalent, et, devant l’Union Européenne qui se construit, certains musulmans de France, il faut le souligner, tentent de recourir aux institutions juridiques européennes pour ester sur tel ou tel aspect jugé rigide. Le port du foulard, par exemple, avait fait l’objet d’un recours auprès du Conseil d’Etat, mais il y a eu également des recours au niveau des institutions européennes. Nous savons que l’Europe n’a pas les mêmes approches que la France au niveau de ce que Monsieur Boyer appelait “l’âme pour l’Europe”… La Convention européenne des droits de l’homme de 1950, fait que le choix de la religion, la liberté de pratiquer telle ou telle religion ou d’en changer existence, dans ces conditions les droits de la personne humaine sont jugés différemment que les Etats eux-mêmes parfois, notamment en ce qui concerne l’expression religieuse que la laïcité tente de refouler dans la sphère privée.
Ce que nous souhaitons ? Une laïcité, oui ! Assurément, la laïcité est un cadre juridique important de la liberté des cultes. C’est une évolution de la modernité pour l’Islam vers laquelle beaucoup de pays musulmans se dirigent. Et il est toujours important de rappeler, par exemple, que l’Islam intègre tous les éléments de la vie : c’est une doctrine, c’est un dogme, c’est une loi, et c’est en même temps une communauté humaine et une civilisation. C’était vrai au temps du califat, notamment au temps des premiers califes de l’Islam. Certes, la République Islamique d’Iran a réinstauré un pouvoir religieux, mais c’est un exemple tout à fait exceptionnel qui tient peut-être beaucoup plus à l’histoire chiite de l’Iran que celle des Etats-Nations du reste du monde musulman qui se sont majoritairement constitués sur le modèle des Etats européens.
Notre souhait, c’est de voir la religion être prise en considération comme un fait de société important, comme une source de valeurs, de morale et d’éthique qui a sa place dans l’espace sociétal, aussi bien public que privé. Que l’Euope et la laïcité de demain soient le berceau, non pas d’une refonte de la laïcité, loin de là, mais d’une évolution ! En effet, si la Loi de 1905 possède 44 articles, nous pourrions, comme le législateur, évoluer vers une meilleure considération pour les nouvelles religions de Hexagone. Nous observons tous que les nouveaux aspects de la pratique de la religion aujourd’hui ne sont plus ceux u XVIIIème ou du XIXème siècle. La pratique individuelle, l’expérience religieuse personnelle est en train d’évoluer et en passe d’être véritablement la manière dont le futur citoyen, qu’il soit musulman, juif, chrétien de l’Europe pratiquer à son culte.
Il faut incontestablement en tenir compte et respecter sa spiritualité dans un droit commun, où la laïcité et religion complémenteront leurs actions au service de l’homme et de la Paix sociale.
Il n’est pas question d’opposer la laïcité à la religion. Le maître mot, c’est le respect de l’identité. Sachez que lors de “l’affaire du foulard”, les musulmans ont senti un non-respect de l’Islam beaucoup plus qu’une négation de la laïcité à l’école. On a eu l’impression qu’une nouvelle guerre de religion allait s’annoncer. Evidemment, ce n’était pas le cas. Mais j’ai dû expliquer le contexte juridique à des musulmans qui ne comprenaient pas l’attitude de la France sur ce point-là, pensant que le foulard serait interdit partout alors qu’il ne l’était que dans le cadre scolaire. Il faudra un jour enseigner l’histoire des religions à l’école, ce qui nous rapproche. Nous sommes tous issus du monothéisme sémitique, juifs, chrétiens, musulmans. Renan l’a écrit il y a bien longtemps au sujet du Christ, de Moïse (…). On découvre des correspondances entre les religions d’Abraham. Il faudra bien un jour enseigner aux enfants une connaissance historique minimale de toutes les religions afin de rendre convergentes des croyances. Teilhard de Chardin : “Tout ce qui monte converge…”
L’ISLAM ET LA LAÏCITE DR. DALIL BOUBAKEUR Recteur de l’Institut Musulman De la Mosquée de Paris Colloque “La Laïcité demain, en France et en Europe”