Freddy Eytan
L’Histoire des relations du Maroc avec l’Etat Juif est singulière et se distingue par le rôle d’influence de la communauté juive installée dans ce pays depuis la nuit des temps. Les racines juives sont reconnues par la Constitution et le roi Mohammed VI vient de donner son aval pour l’enseignement de l’Histoire et de la culture hébraïque.
Avant l’indépendance du Maroc en 1956 et jusqu’à ce jour, les Juifs ont toujours été considérés par le Royaume chérifien comme des « citoyens marocains à part entière tels que les musulmans. »Fidèles dans la joie comme dans le malheur collectif, leur loyauté a réussi à surmonter toutes les épreuves de coexistence.
Certes, le conflit israélo-arabe a forcé le Maroc d’être solidaire de la cause palestinienne. Des unités marocaines avaient même participé symboliquement à trois guerres contre Israël. C’est bien aussi au sommet de la Ligue arabe de Rabat, en octobre 1974, que l’OLP est reconnue officiellement comme « le seul et légitime représentant du peuple palestinien. »
Dans ce contexte, l’écrasante majorité des Juifs avait quitté le Maroc pour s’installer principalement en Israël. Toutefois, ils gardaient une réelle nostalgie et de bons souvenirs de leur pays natal. Ces dernières décennies, des dizaines de milliers d’Israéliens d’origine marocaine ont effectué des visites touristiques et ont été accueillis chaleureusement et en toute sécurité. Les vols directs prévus avec la normalisation augmenteront considérablement le nombre des visiteurs et donneront un second souffle aux relations commerciales et culturelles.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et l’ambassadeur américain David Friedman, 10 décembre 2020 (Kobi Gideon/GPO)
De ce fait, la normalisation des relations diplomatiques a été naturellement accueillie ici avec une grande satisfaction et enthousiasme. Nous devrions donc saluer et remercier l’administration américaine pour ses efforts inlassables dans la recherche de la paix. Les accords d’Abraham prouvent une fois encore que seule l’Amérique est capable d’être intermédiaire dans le conflit israélo-arabe et non la France qui se voit actuellement dépourvue d’influence concrète dans des pays francophones comme le Maroc ou le Liban.
Au-delà du cadre communautaire et de l’Alya des Juifs, les liens d’Israël avec le Maroc ont été tissés au départ entre les services secrets. Déjà en 1953, le général Dayan avait effectué une visite discrète à Marrakech.
Les bons rapports entre les services ont contribué à la stabilité du régime, à la consolidation du pouvoir et ont assuré la place du Maroc au sein de la société des nations en le rapprochant des Etats-Unis. En 1943, juste après le débarquement des forces américaines, le président Franklin Roosevelt avait encouragé le sultan marocain Sidi Mohammed ben Youssef dans sa volonté d’indépendance. En annonçant la normalisation, le Président actuel Donald Trump a d’ailleurs mentionné que l’Empire chérifien avait reconnu la nouvelle Amérique en 1777…
Le roi Hassan II, gardien des lieux saints musulmans et président du comité el Qods(Jérusalem) a joué un rôle crucial dans le processus de paix avec l’Egypte. Les contacts préliminaires de Moshé Dayan au Maroc puis ceux de Rabin et Pérès ont contribué favorablement à l’ouverture d’un bureau de liaison à Rabat en 1994. La visite de David Lévy, ministre des Affaires étrangères, fut aussi fructueuse et mémorable.
Après la disparition du roi Hassan II, le nouveau souverain a rompu les relations diplomatiques en solidarité avec l’Intifada des Palestiniens, mais depuis septembre 2000 il n’a pas interrompu les rapports amicaux entre les deux pays.
La normalisation avec le Maroc s’inscrit dans le cadre des Accords d’Abraham et à l’instar des Emirats du Golfe les Etats-Unis ont également conclu un « deal ».
La reconnaissance américaine à la souveraineté marocaine sur l’ensemble du territoire du Sahara occidental ainsi que la livraison d’armes au Maroc change complètement la donne dans cette région du monde.
Le conflit du Sahara occidental empoisonne depuis cinq décennies les relations du Maroc avec l’Algérie qui soutient le Front Polisario, un mouvement séparatiste créé en 1973 à Zouerate pour lutter contre l’occupation espagnole et créer un Etat indépendant sur une superficie de 266 000 km2.
En novembre 1975, le roi Hassan II avait lancé la Marche verte pour récupérer ce territoire considéré par le Maroc comme faisant partie de ses provinces du Sud.
Depuis, il avait permis à ses compatriotes à s’installer dans la région bien que le territoire est classé par l’ONU non autonome. Lors de mes missions diplomatiques, j’avais suivi de très près et sur le terrain ce dossier épineux.
La reconnaissance américaine à la souveraineté marocaine du Sahara occidental est sans doute une grande victoire pour le roi chérifien mais ne pourra pas régler définitivement le conflit avec le Polisario et l’Algérie, bien que la Mauritanie demeure neutre dans cette affaire.
En conclusion, la normalisation diplomatique avec le Maroc est un grand pas du monde arabe sunnite vers l’Etat Juif.
Elle écarte l’hégémonie iranienne et renforce le combat contre le terrorisme islamiste. Enfin, elle minimise le rôle des Palestiniens dans les accords de paix en particulier leur revendication exclusive sur Jérusalem.
Avant le départ définitif du président Trump de la Maison Blanche, il n’est pas exclu que d’autres pays arabo-musulmans comme l’Indonésie, Oman ou Djibouti et peut-être l’Arabie saoudite accepteront de reconnaître au grand jour l’existence de l’Etat d’Israël.
La normalisation avec le monde arabe est donc irréversible au grand dam et à la colère du front du refus.