De notre envoyée spéciale à Chambéry
Charlotte sur la tête, Nordahl Lelandais frappe, frappe, frappe et frappe encore. Un enchaînement de coups de poing, gauche-droite, qui fait ballotter la tête du mannequin fermement maintenu par deux gendarmes. Cette scène, projetée au quatrième jour du procès de Nordahl Lelandais, est extraite de vidéos de la reconstitution du meurtre d’Arthur Noyer . La plupart des membres de la famille du jeune homme ont quitté la salle pour ne pas voir ces images.
Ils so nt ensuite rentrés pour évoquer Arthur auprès des juges et des jurés. «Chez nous, l’idée, c’était d’éviter de gâcher du temps. Un des leitmotivs, c’était d’arrêter de parler des gens qu’on n’aime pas pour plutôt parler des gens qu’on aime », a lancé Didier Noyer, le père de la victime. «Je n’ai pas le sentiment qu’on ait gâché du temps. On était toujours ensemble tous les quatre ; maintenant, on n’est plus que trois, mais on est toujours ensemble, on est forts ensemble.»
Évoquant les valeurs d’«écoute» , de «respect» , de «partage» , d’«ouverture aux autres» importantes dans la famille Noyer, le père d’Arthur a démontré avec force que le drame qui l’a touché n’effaçait pas ces valeurs. «Ce n’est pas parce qu’on a un gamin qui fait des choses horribles que les parents sont responsables. Je ne dirais jamais quoi que ce soit de négatif sur la famille Lelandais» , a-t-il déclaré, avant d’ajouter : «Je ne dirais pas la même chose sur l’accusé» .
«L’accusé» , c’est aussi ainsi que Cécile Noyer, la mère d’Arthur, appelleNordahl Lelandais. «Quand vous me dites, l’accusé, que vous avez passé de mauvaises nuits après avoir tué Arthur… Nous, ces huit mois [entre la disparition et la découverte du crâne, NDLR], ça a été l’enfer. […] Arthur me manque tous les jours, je ne pourrai plus le serrer dans mes bras, je ne vais pas le voir vieillir. J’ai été obligée de l’enterrer. Mais il est toujours dans nos cœurs, toujours présent, avec nous, sa famille, ses nombreux amis.»
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«Frappé à coups de pierre»?
En pleurs, suscitant aussi les larmes de l’assemblée, l’infirmière de 53 ans a conclu : «Arthur, c’était un amoureux de la glisse. La ville de Bourges lui a rendu un bel hommage, le nouveau skate parc dont il rêvait tant avec ses copains porte son nom. Et puis le premier de ses copains a eu un petit garçon, son deuxième prénom c’est Arthur, et ça, c’est la plus belle chose, le plus bel hommage.»
Les parents d’Arthur , tout comme son frère et sa grand-mère, ont aussi rappelé qu’ils étaient persuadés que Nordahl Lelandais n’avait pas dit la vérité. Depuis le début de l’audience, l’ancien maître-chien s’en tient à la même version : dans la nuit du 11 au 12 avril 2017, Arthur Noyer, qu’il avait pris en stop à Chambéry (Savoie), aurait déclenché une bagarre sur un parking de Saint-Baldoph. Il aurait répliqué par des coups de poing. Le caporal serait tombé en arrière et il aurait alors constaté le décès de ce dernier.
Une version à mille lieues de celle présentée par un de ses anciens co-détenus, qui est venu témoigner à la barre dans la matinée, en pull gris et doudoune jaune sans manches. En septembre 2018, Farid occupait la cellule voisine de Nordahl Lelandais au quartier d’isolement de la prison de Saint-Quentin-Fallavier (Isère). «On se parlait souvent à la fenêtre. Et un jour, en promenade, il s’est lâché» , a-t-il raconté.
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«Il m’a dit qu’il avait pris Arthur Noyer en stop, que dans la voiture il lui avait demandé une fellation, et que de là ça avait chauffé. Arthur Noyer est descendu pour pisser, Nordahl Lelandais a pris un caillou et l’a frappé à coups de pierre. » Selon l’ancien détenu, le Savoyard lui aurait aussi confessé avoir violé puis tué la petite Maëlys dans la nuit du 26 au 27 août 2017, en marge d’une soirée de mariage. «Il en avait marre de la voir crier» , a-t-il précisé.
Lelandais interrogé vendredi
«C’est vraiment ce qu’il m’a dit, je n’ai pas inventé» , a insisté Farid face au scepticisme ambiant. Le président a rappelé les multiples versions livrées par le témoin devant les magistrats instructeurs. Lorsque est venu leur tour de parole, ni l’accusation, ni les parties civiles ne sont risquées à s’engouffrer dans la voie ouverte par Farid. «Ce témoignage ne sera pas un témoignage sur lequel l’accusation se fondera» , a même déclaré l’avocate générale.
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Après avoir remercié la représentante du ministère public pour sa «loyauté» , l’avocat de l’accusé, Me Alain Jakubowicz, a quant à lui ironisé sur le «scoop du jour» . Pour la première fois, Farid a en effet assuré avoir donné de la cocaïne à Nordahl Lelandais juste avant que celui-ci ne se confie à lui. «On ne vous demandera pas comment vous vous êtes procuré cette cocaïne, alors que vous étiez en isolement…» , a soupiré le président.
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Invité à réagir aux propos de son ancien voisin de cellule, Nordahl Lelandais n’a guère semblé troublé. «Ça m’est arrivé de discuter avec [Farid], mais vous vous doutez bien que tout ce qui peut avoir un rapport avec ce pour quoi je suis là aujourd’hui, je ne vais pas aller le dire à la fenêtre ou en promenade!» S’exprimera-t-il plus vendredi, lors de son interrogatoire sur les faits, lui qui déclarait au premier jour du procès qu’il n’avait «jamais voulu donner la mort» à Arthur Noyer?
La cause précise de ce décès reste une des grandes inconnues du dossier. Confrontés à l’absence d’une partie de la dépouille de la victime, les médecins légistes n’ont pu se prononcer. «On n’a absolument rien à l’examen des ossements qui nous permet de déterminer de quoi est mort Arthur Noyer?» , a insisté l’avocate générale.«Exactement» , ont répondu les experts. Seul Nordahl Lelandais détient donc la réponse à cette question cruciale. Son interrogatoire de vendredi n’en est que plus attendu.