«Arthur, c’était une personne qui avait cette facilité d’aller vers les autres, de plaisanter. […] Tout au long de nos sorties, je ne l’ai jamais vu une seule fois énervé, porter des coups, agresser quelqu’un; il a toujours été jovial, ça a toujours été comme ça.» Face au portrait de leur ami disparu, qui trône dans la salle des assises du palais de justice de Chambéry depuis le début du procès de Nordahl Lelandais , les proches d’Arthur Noyer se sont succédé à la barre ce mercredi 5 mai pour raconter la dernière soirée du caporal.
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Les jeunes militaires du 13e bataillon de chasseurs alpins (BCA) de Barby sont bien connus dans les établissements de nuit de la région de Chambéry, qu’ils fréquentent régulièrement. Le 11 avril 2017, un mardi, plusieurs d’entre eux se retrouvent après la fin de leur service, vers 17 heures, à la «popote» du bataillon. Arthur, Vincent et leurs camarades consomment «quatre-cinq bières» avant de se rendre à la brasserie du Mont-Blanc, à La Motte-Servolex, où ils boivent à nouveau plusieurs bières.
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Puis retour au bataillon, où les jeunes gens récupèrent de la cocaïne auprès d’un autre militaire, s’isolent, sniffent quelques rails. Selon Vincent, «Arthur n’en avait jamais pris» et lorsque son tour est venu, «tout est tombé par terre» , sans donc qu’il n’en consomme. Le petit groupe prend ensuite la direction du Carré Curial, haut lieu de la fête à Chambéry, et continue à boire. Vers minuit, les amis se séparent; certains rentrent, Arthur et Vincent décident de poursuivre la soirée, notamment dans la boîte de nuit le RDC.
«Il n’était pas du tout énervé»
La carte bancaire du premier ne passant pas, c’est le second qui paie leur entrée et une demi-bouteille de vodka. Mais rapidement, un videur de la discothèque fait sortir le Berruyer, passablement éméché. «Je l’ai retrouvé devant la boîte. Je lui ai dit de ne pas bouger, que je prenais ma veste et que je revenais », raconte Vincent. «Mais quand je suis ressorti, il n’était plus là. J’ai continué ma soirée avec deux autres membres du 13e BCA. Je me suis dit qu’il avait trouvé quelqu’un pour le ramener.»
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De son côté, Arthur Noyer marche dans Chambéry. Il se fait dérober son portable par deux individus, avant que l’intervention d’une passante ne pousse les voleurs à lui restituer son téléphone. «Il n’était pas du tout dans l’agressivité, on a même rigolé et à la fin, il m’a fait un baisemain », relate Véronique. Après avoir récupéré sa veste au RDC, il croise Alain, gérant de bar qui ferme son établissement. Il lui demande de le ramener, mais le sexagénaire lui répond qu’il a encore du travail avant de rentrer. «Il était très poli, pas énervé. Je ne l’ai pas senti du tout agressif» , commente Alain.
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Peu avant trois heures du matin, le militaire monte dans la voiture de Nordahl Lelandais. Selon la version de ce dernier , le jeune homme aurait déclenché une bagarre sur un parking de Saint-Badolph, énervé par le vol de son téléphone plus tôt dans la nuit. Mais les amis d’Arthur s’accordent à dire qu’il ne se mettait que rarement en colère et qu’il n’était que peu attaché à son portable. «Je ne l’ai jamais vu agresser quelqu’un ou parler mal à quelqu’un. Il a toujours été très gentil avec tout le monde» , insiste Alexis, un de ses «amis proches» .
Le «bon copain»
Le lendemain, Arthur Noyer manque à l’appel au bataillon. Les membres de sa section pensent d’abord qu’il ne s’est pas réveillé, mais ses compagnons de chambrée remarquent immédiatement qu’il n’a pas dormi sur place. Les heures passent, l’inquiétude grandit. À 17 heures, l’officier de sécurité adjoint du 13e BCA signale à la gendarmerie la disparition du caporal. Dans les jours qui suivent, les camarades d’Arthur participent à des battues pour tenter de le retrouver. «Le soir, on cherchait de notre côté» , se souvient Alexis.
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Vincent, Alexis, Théo décrivent unanimement Arthur comme l’archétype du «bon copain». «C’était quelqu’un d’adorable. On a tout de suite accroché, il m’a pris sous son aile» , souligne Vincent, qui l’avait choisi comme parrain à son arrivée au bataillon. «Il était gentil, souriant, toujours très respectueux, très bien élevé, ouvert d’esprit» , renchérit Théo. «C’était celui qui donnait le sourire au réveil et qui nous faisait rire toute la journée. C’était vraiment quelqu’un de bien, celui que tout le monde adorait.»
Au point d’être désigné comme «référent psychologique» , «celui qu’on va voir quand c’est un peu plus dur », en vue du prochain départ du bataillon au Tchad. Après cette opération extérieure, Arthur avait le projet de se former à Saint-Maixent pour devenir sous-officier. Ni Opex, ni Saint-Maix’: les rêves professionnels – et personnels – du jeune homme ont été brisés dans la nuit du 11 au 12 avril 2017. Mais ses frères d’armes ne l’ont pas oublié; le 7 septembre 2018, ils étaient nombreux à être présents à ses obsèques, à Bourges , pour lui rendre un dernier hommage.
«Comédie» ou «carapace»?
Quid de Nordahl Lelandais? Après la mort d’Arthur, il a repris sa vie, en apparence comme si de rien n’était. Dès le 13 avril, il a même rejoint des amis en boîte de nuit. «Il n’y avait vraiment rien, aucun signe ni physique ni au niveau de son attitude, qui [aurait pu nous faire] penser à l’atrocité qu’il avait pu commettre» , se souvient Alexandra, présente à cette soirée.
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Refusant le qualificatif de «comédie» , l’accusé évoque une «carapace». «J’étais dans le déni, c’était pour oublier» , bredouille-t-il. Après le 12 avril, «mes jours et mes nuits ont plus jamais été pareils» , déclare-t-il, avant de s’adresser aux parents de la victime: «Je suis désolé de vous dire ça, Monsieur et Madame Noyer. Je sais que vos nuits sont pires que les miennes.»
Manifestement ébranlé par les témoignages successifs de ses anciens amis – Alexandra, Julien et Nazim, qui l’ont tous trois imploré de «dire la vérité» sans qu’il varie de sa version – Nordahl Lelandais a fini la journée en larmes. Son avocat, Me Jakubowicz, lui aussi très ému, a de son côté remercié Nazim, le dernier témoin, «pour ce moment d’humanité dans cette audience qui en avait tant besoin» .
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