Je tiens à répondre aux 300 signataires du manifeste « contre le nouvel antisémitisme » au fort retentissement médiatique, ce qui était, à n’en pas douter, le but recherché par ses instigateurs.
Je n’irai pas par quatre chemins : Ras-le-bol que vous utilisiez le mot « antisémite » pour livrer les musulmans de France à la vindicte, alors même que nous, citoyens français d’origine arabo-musulmane, à l’instar des Araméens, des Chaldéens et Ethiopiens, sommes précisément sémites ! Quand est-ce que cette supercherie dialectique désastreuse va enfin cesser !
Dans cette droite ligne, pourquoi toujours préciser que les terroristes sont musulmans, alors que quand vous évoquez Hitler, l’exterminateur de six millions de Juifs, vous ne le présentez jamais comme Européen ou Chrétien ? Il en va de même pour les anciens groupuscules terroristes, tels que la Bande à Baader, les Brigades Rouges, ou encore l’ETA et l’IRA, pour ne citer que ceux-là…
Pourquoi, en ces temps si troublés, ne pas préférer à l’exacerbation de la haine un travail de mémoire fédérateur, en révélant notamment le rôle joué, au péril de sa vie, par l’Imam de la Grande Mosquée de Paris, Abdelkader Mesli, dans la protection et le sauvetage des Juifs face à la barbarie nazie, et sa déportation dans l’enfer des camps de concentration ?
Pourquoi ne pas saluer l’acte de résistance de l’Imam de Lyon, Bel Hadj El Maafi, qui fournit de faux certificats musulmans à des enfants juifs de Saint Fons et Vénissieux pendant la seconde guerre mondiale (ce qui a été confirmé par le grand Rabbin de Lyon), leur permettant ainsi d’échapper à une mort certaine ? Pourquoi ne pas louer le courage de Cherif Mecheri, ce sous-préfet arabo-musulman et bras droit de Jean Moulin totalement inconnu des Français, qui désobéit au gouvernement collaborationniste de Vichy en refusant d’établir une liste de Juifs résidant dans son département ?
Pourquoi passer sous silence la colonisation forcenée de la Palestine et l’horreur de l’épuration ethnique dont sont victimes les Palestiniens, et considérer qu’il est de bon ton de s’émouvoir, comme le président Macron, du sort des Syriens ? Un sort certes effroyable qui mérite notre plus grande compassion, mais subi depuis seulement 7 ans, comparativement à celui, atroce, infligé à la population palestinienne depuis 70 longues années, soit la plus longue occupation illégale d’un territoire dans l’histoire contemporaine. La France, qui a été occupée cinq ans par les nazis, a décidément la mémoire bien courte et l’indignation très sélective…
Autant de pourquoi qui restent sans réponse, ce qui est tristement révélateur du climat ambiant…
La plus belle réponse que je peux adresser aux 300 signataires du délétère « manifeste contre le nouvel antisémitisme », c’est de me souvenir avec émotion des nobles valeurs musulmanes que m’ont transmises mes grands-parents et parents quand j’étais enfant, grâce auxquelles, toute ma vie durant, j’ai respecté une règle de conduite dont je suis fier, à l’image de tout bon musulman attaché à l’humanisme des enseignements coraniques.
C’est aussi de me replonger dans mon histoire personnelle, riche en anecdotes marquantes qui témoignent des rapprochements et liens d’amitié entre juifs et musulmans que les signataires du « manifeste contre le nouvel antisémitisme » ne mettront jamais en lumière.
En voici quelques-unes, parmi les plus mémorables :
Mon père se prénommait Aissa (Jésus) et mon arrière-grand-père s’appelait Moussa (Moïse). Mon père arriva en France en 1936 et, comme il avait bénéficié des bienfaits de la colonisation, il ne savait ni lire ni écrire lorsqu’il traversa la Méditerranée… Sa rencontre avec M. Touboul, un Juif d’Algérie, fut véritablement sa planche de salut.
Celui-ci fut d’une aide précieuse pour rédiger des courriers et remplir des documents administratifs et, au fil des années, une solide amitié s’est nouée entre les deux hommes venus d’Algérie, l’un musulman, l’autre juif. La meilleure preuve en est que, lors de son arrestation par la Gestapo en 1943, M. Touboul se fit passer pour mon père, lui empruntant son identité pour se tirer d’affaire. Libéré, il alla trouver mon père pour tout lui raconter et ils restèrent amis jusqu’à la fin de leur vie, soudés par un destin commun.
En 1961, M. Tordjman, rapatrié et Juif d’Algérie, débarqua à Lyon, dans le 9 ème arrondissement, où il fut l’objet d’un déchaînement de haine à caractère antisémite. Devant cet acharnement insupportable, mon père a volé à son secours, le prenant sous son aile. A partir de là, M. Tordjman n’a plus jamais eu à souffrir de ce racisme.
En 2011, j’ai accompagné M. Arfi à Alger, car il souhaitait se rendre au cimetière juif afin d’honorer la promesse qu’il avait faite sur la tombe de ses parents, en 1960. A la descente de l’avion et après vérification de nos passeports, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre les autorités algériennes lui dire « Bienvenue chez vous », et à moi seulement « Bienvenue ». Alors que je précisais aux douaniers que j’étais d’origine algérienne, l’un d’eux m’a aussitôt répondu : « Vous êtes né à Lyon, et lui à Sétif, d’où le ‘bienvenue chez vous’ ».
Et comment ne pas relater le recrutement du candidat Mohammed par M. Sitbon, un juif de Tunisie que je connais depuis longtemps, en dépit des consignes de son directeur qui lui avait ordonné de classer le curriculum vitae de ce maghrébin, autrement dit : direction la poubelle ! M. Sitbon n’a eu qu’à se féliciter de son choix, et depuis, tous les deux sont les meilleurs amis du monde.
Avant de conclure, je tiens à exprimer, sur Oumma, ma pensée émue pour Mireille Knoll et à présenter mes sincères condoléances à son fils, dont je salue la dignité et l’esprit rassembleur lors de la Marche blanche en mémoire de sa mère, face au CRIF et à tous les artisans de la division nationale.
Enfin, j’aimerais m’adresser aux 300 personnalités du parisianisme qui ont signé sans sourciller le manifeste « contre le nouvel antisémitisme », en citant une phrase éloquente que mon père (paix à son âme) me répétait souvent, un peu à la manière d’Audiard : « Vis avec tout le monde, sauf avec les cons ! ».
Nous vous invitons à voir ou à revoir la vidéo ci-dessous que nous avons réalisée en hommage aux Héros Maghrébins de la Résistance Française, ces grands oubliés de l’histoire que Kamel Mouellef s’évertue à sortir de l’oubli, envers et contre tout.
Président de l’association « Déni de mémoire », il a signé en avril 2015 une nouvelle BD « Les Résistants Oubliés » s’inscrivant dans la continuité de « Turcos », son premier album en hommage au sacrifice de son arrière-grand-père. Inlassable chercheur de stèles dédiées aux soldats issus des anciennes colonies françaises, mais aussi de photos et d’archives, Kamel Mouellef s’emploie à raviver la flamme vacillante de la mémoire dans l’intérêt de tous.