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Emmanuel Macron a substitué le terme de « séparatisme » à celui de « communautarisme » lors de sa visite à Mulhouse.
Jean-François Badias/AP/SIPA
Pourquoi Emmanuel Macron parle désormais de « séparatisme » et plus de « communautarisme »
Par Hadrien Mathoux
Le président a cessé de parler de « communautarisme » depuis février et s’emploie désormais à utiliser « séparatisme » pour dénoncer les groupes agissant afin de « se séparer de la République ». Un virage lexical pas dénué de signification politique, qui ne parvient pas à combler les faiblesses et ambiguïtés contenues dans la notion de communautarisme.
C’est un glissement sémantique remarqué et discuté. Alors que le terme de « communautarisme » semblait s’être imposé dans le langage commun, Emmanuel Macron et son gouvernement lui ont trouvé un substitut, celui de « séparatisme. Ce mot habille la loi devant être présentée en conseil des ministres cet automne, qui devrait notamment exiger de toutes les associations qu’elles signent un pacte d’engagement sur la laïcité. Pourtant, en octobre 2019, le président annonçait encore sa détermination dans « la lutte contre le communautarisme, se disant prêt à mettre en place des mesures musclées, afin d’interdire « certaines pratiques qui se sont installées et qui ne sont pas conformes aux lois de la République. Pourquoi cette évolution de vocabulaire ?
Mais le 18 février, lors de son déplacement à Mulhouse, le chef de l’État a viré sa cuti lexicale. « Je ne suis pas à l’aise avec le mot de « communautarisme, a-t-il avoué, justifiant qu’il puisse exister « des communautés dans la République » à condition que celles-ci ne vaillent jamais « soustraction à la République. Cette évolution avait été saluée par le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohammed Moussaoui, dans Le Figaro : « [Le terme de séparatisme] ne fustige pas la communauté musulmane qui défend certes ses intérêts, comme d’autres communautés, mais sans repli sur elle-même. C’est que le mot « communautarisme » est souvent contesté pour son caractère jugé à la fois vague et polémique. Dans sa contribution aux Cahiers du Cevipof en 2005, l’universitaire Pierre-André Taguieff avait ainsi souligné que la notion constituait « une figure pathologique composite qui, lorsqu’elle fait l’objet de passions intellectualisées, est construite par les anti-communautaristes déclarés avec les attributs d’intolérance, de fermeture sur soi, d’ethnocentrisme, voire de xénophobie.
Dans ce schéma, il serait en effet aisé pour des idéologues prônant l’exclusion de certains groupes de dénigrer comme « communautarisme » tout comportement qui dévierait un tant soit peu de la norme du groupe majoritaire. Certains estiment en outre que le communautarisme est devenu à la fois un cache-sexe et un fourre-tout : cache-sexe, car il sert pour la grande majorité de ceux qui l’invoquent à parler d’islamisme sans le nommer directement ; fourre-tout, car il est bien difficile de désigner clairement quelle gamme de comportements sont désignés par l’infamante expression. « Sur le terrain, les habitants des quartiers ne se reconnaissent pas dans le terme ‘communautarisme’, c’est un mot politique et médiatique, estime auprès du Monde le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, chargé d’une mission sur le sujet lorsqu’il était secrétaire d’État.
COMPROMIS SÉMANTIQUE
Le choix du mot « séparatisme » doit pour Emmanuel Macron servir à gagner en précision et éviter tout risque de stigmatisation. Le président a ainsi reconnu l’existence d’appartenances communautaires liées au « pays d’où on vient » ou à la religion, mais tracé la limite : ces identités sont « compatibles avec la République » mais le problème se pose « quant au nom d’une religion ou d’une appartenance, on veut se séparer de la République. Ce faisant, le chef de l’État cherche à se démarquer d’un républicanisme assimilationniste qu’il critiquait abondamment avant son élection à la présidence, accusé de vouloir gommer toutes les appartenances particulières des Français pour les fondre dans le corps national.
Le « séparatisme » répond-il cependant à tous les écueils posés par l’usage de « communautarisme » ? De part et d’autre des opposants au président, cette évolution de lexique est critiquée. Danièle Obono, de la France insoumise, avait ainsi jugé que l’évocation du « séparatisme islamiste » par le ministre Jean-Michel Blanquer était une preuve de l’existence d’un « racisme d’État. Le site Mediapart écrit que « les musulmans [pouvaient] se sentir – à juste titre – ciblés par une politique populiste et discriminatoire » avec la loi sur le séparatisme. Le maire Les Républicains du Touquet, Daniel Fasquelle, a lui plutôt dénoncé le fait qu’Emmanuel Macron « n’ose même pas prononcer le mot ‘laïcité’« , jugeant que le terme de séparatisme n’avait « pas de sens« .
Pas de sens, mais une histoire, puisque Charles de Gaulle l’a abondamment employé juste après la Seconde guerre Mondiale pour alerter contre la menace… communiste. Comme le relate Mediapart, le général dénonçait à Rennes le 27 juillet 1947 « le séparatisme communiste, oeuvre « d’un groupement d’hommes, dont ceux qui les mènent placent au-dessus de tout le service d’un État étranger. Par la suite, le « séparatisme » a surtout servi à qualifier les divers mouvements régionalistes, voire indépendantistes, qu’ils viennent du Pays basque, de Bretagne ou de Corse. Illustration de l’ambiguïté latente, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, a défini le séparatisme comme « l’action de constituer un groupe qui a pour but de s’organiser en marge de la République, souvent de façon violente« , avant d’appeler à… « laisser les Corses tranquilles« , pour se focaliser sur « l’islam politique« mais plus généralement sur « les groupes organisés de manière hostile et violente vis-à-vis de la République » qui pourraient également inclure les sectes ainsi que les groupuscules politiques extrémistes.
De son côté, le politologue spécialiste de l’islam Olivier Roy a relevé auprès du « Huffington Post » une autre confusion possible, en soulignant que la stratégie d’une des forces majeures de l’islam politique, les Frères musulmans, n’était pas séparatiste puisque leur objectif en France est « que la République reconnaisse en son sein une minorité ethno-religieuse« . Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), association très active liée à l’idéologie frériste, a d’ailleurs publié un texte le 22 août estimant « urgent pour la France de reconnaître la communauté musulmane comme une des minorités vivant sur son territoire.«
Enfin, Charles Coutel, vice-président du Comité Laïcité République et directeur de l’Institut d’études des faits religieux (IEFR), pointe un autre glissement sémantique potentiel : si le séparatisme « désigne bien une volonté de certaines communautés à vivre et à se développer en dehors des lois de la République, la confusion se développe si l’on oublie que l’idée de séparation peut aussi renvoyer à une volonté de se développer librement, quand un individu entend rompre avec sa communauté de départ« . La loi de 1905, pilier de la laïcité française, n’a-t-elle d’ailleurs pas institué la séparation du religieux et du politique ? Et Charles Coutel de citer l’écrivain suisse Denis de Rougement : « L’individu libre, c’est l’homme qui s’arrache au sacré sombre, à la terreur de la tribu, en profanant les tabous par un acte de raison antisocial. Dans ce sens très précis, « la séparation voulue peut rompre avec le séparatisme subi : il faut soutenir les ruptures individuelles au sein des communautés repliées sur elles-mêmes, estime l’universitaire.