En un an, le coronavirus a fait le tour du monde et pourtant les scientifiques n’ont toujours pas de certitude sur ses origines. Les experts de l’OMS, dépêchés en janvier en Chine, ont annoncé ce mardi 16 mars publier leur rapport, élaboré avec les experts chinois, “très probablement” la semaine prochaine. Un document décevant par avance : la conférence de presse donnée par les scientifiques à l’issue de leur voyage indiquait qu’ils n’avaient pas pu établir de certitudes quant à la source de l’épidémie, notamment par manque de données expérimentales.
Une absence de consensus donc, qui nourrit la controverse scientifique. Ce qui est plutôt sain d’après le virologue Étienne Decroly. “Le processus de construction des savoirs s’articule sur la controverse. La vérité scientifique n’apparaît pas du jour au lendemain”, souligne-t-il. Pour arriver à une conclusion un jour, le directeur de recherche au CNRS à Marseille préconise de mettre de côté les a priori et de considérer toutes les hypothèses possibles “avec toute l’objectivité et la rigueur que la science exige“.
Dont acte. Voici un tour d’horizon des thèses envisagées par le monde scientifique.
1. LA TRANSMISSION DE L’ANIMAL À L’HOMME
C’est la théorie défendue par le plus grand nombre : une zoonose. Soit une maladie d’origine animale qui se transmet à l’homme. Le mécanisme ? “Par un processus de débordement, le virus passe la barrière d’espèce, commence à se transmettre à l’homme et devient capable de se diffuser dans une nouvelle espèce, soit par exemple d’homme à homme“, explique Étienne Decroly.
On sait que le Sars-CoV-2 appartient à la famille des coronavirus, comme le Sras découvert en 2002 en Chine et le Mers-Cov apparu en 2012 au Moyen-Orient. Un virus très présent chez les chauves-souris en Asie. “Il y a un consensus dans la communauté médicale pour dire qu’il s’agit d’une famille de virus qui circule chez les chauves-souris, considérées comme le siège de recombinaison de virus”, expose Jean-Julien François, qui étudie ces animaux au Muséum d’histoire naturelle.
D’après de nombreux chercheurs, le Sars-Cov 2 aurait donc émergé via une mutation d’un coronavirus de chauve-souris le rendant capable d’infecter l’homme. Cette hypothèse, plébiscitée chez les scientifiques, reste pour l’heure incomplète. “La distance génétique des récepteurs du virus entre la chauve-souris et l’homme est trop lointaine, trop différente“, indique le virologue Étienne Decroly. “Cela indique que le virus est soit passé par un autre animal que nous n’avons pas encore trouvé, plus proche de l’homme, soit que nous n’avons pas encore trouvé les bonnes chauves-souris véhiculant ce virus”, poursuit Jean-Julien François.
Car si le pangolin puis le vison ont tour à tour été accusés d’être un intermédiaire entre la chauve-souris et l’homme, les soupçons ont fini par être écartés, faute de cohérence génétique entre le virus qu’ils avaient contracté et celui de l’espèce humaine.
2. L’HYPOTHÈSE DES PRODUITS SURGELÉS CONTENANT DU VIRUS
Puisque de nombreuses études suggèrent désormais que le coronavirus peut se transmettre par l’intermédiaire de surfaces surgelées, est-il possible que la pandémie ait démarré ainsi ? C’est la thèse défendue par Pékin qui pointe notamment de la viande venue d’Australie, du bœuf venu du Brésil, des fruits de mer de l’Équateur ou encore des cerises du Chili. Des produits qui se seraient ensuite retrouvés sur le marché de Wuhan, en Chine.
Si la piste est loin de faire l’unanimité dans le monde scientifique, elle n’a pas pour autant été écartée par l’OMS dans ses recherches en terres chinoises. “Une sorte de politesse à l’égard des Chinois“, selon Jean-Julien François du Muséum d’histoire naturelle. “On n’a vraiment aucune preuve de cela pour l’instant“.
3. LE VIRUS ÉCHAPPÉ D’UN LABORATOIRE
À première vue, l’hypothèse peut paraître farfelue voire conspirationniste. Sans être unanimement privilégiée, elle suscite la curiosité de nombreux épidémiologistes et virologues à travers le monde. Très récemment, l’émission de France 2 Envoyé Spécial lui consacrait d’ailleurs un documentaire fouillé d’une quarantaine minutes.
Aux prémices de cette théorie, la présence à Wuhan d’un laboratoire international de virologie, connu pour ses recherches sur les coronavirus de chauve-souris. À l’été 2020, des chercheurs internationaux ont ainsi découvert que ce laboratoire manipulait un virus cousin du Sars-CoV-2 : le RATG13 (découvert en 2013 sur des chauves-souris, dans la province du Yunnan, à près d’un millier de kilomètres de Wuhan). “Il n’y a aucun élément probant démontrant cette thèse de façon consensuelle mais on sait que l’institut de virologie de Wuhan avait séquencé ce virus dès 2018”, prévient Étienne Decroly.
Comment cela aurait-il pu se concrétiser ? Le scénario le plus probable impliquerait une manipulation du virus RATG13 en laboratoire, la contamination du personnel à la suite d’une erreur involontaire de protection (masque mal porté…). “Mais le virus a également pu être largué dans l’environnement parce que des produits au contact de ce virus n’auraient pas été bien nettoyés“, imagine Étienne Decroly.
TROUVER L’ORIGINE POUR PRÉVENIR D’AUTRES ÉPIDÉMIES
Qu’il s’agisse d’une zoonose ou d’un accident de laboratoire, les virologues partagent la même volonté de trouver au plus vite l’origine du virus. “C’est une question cruciale, car ce n’est qu’en comprenant comment ce virus a franchi l’espèce humaine qu’on pourra se prémunir de nouvelles épidémies“, commente Étienne Decroly.
Identifier les origines permettrait en effet de mettre en place des contre-mesures, comme la surveillance, et au besoin l’abattage systématique, des troupeaux ou des groupes d’animaux susceptibles de transmettre un virus ultra-contagieux à l’homme. C’est déjà le cas avec les élevages de canards, de volailles ou encore de porcs par rapport à la grippe aviaire. Si la thèse de l’accident de laboratoire supplante la zoonose, alors les processus de recherche et de manipulation des produits devront être revus.
Covid-19 : la piste du virus échappé d’un laboratoire toujours d’actualité