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L’air était agréable à Alger, au printemps, chargé des senteurs de fleurs d’orangers puis des jasmins qui recommençaient à fleurir. Les hirondelles poussaient leurs cris de joie en s’élançant en sarabandes immenses dans le ciel bleu pâle du matin.
Pâques approchait et les ménagères soucieuses d’avoir une maison immaculée pour Pessah dès avant la fête de Pourim se mettaient en devoir de trier les vêtements et d’appeler par le balcon les « marchands d’habits » qui annonçaient leur passage en criant ponctués par leur accent « marchands d’habits, marchands d’habits vaisselle, marmites …… ». Ils étaient deux en général.
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L’un restait en bas, dans l’entrée de l’immeuble, et l’autre montait pour juger de ce qu’on lui proposait et si cela lui convenait il proposait en contre partie de la vaisselle, de la mercerie, des savonnettes etc..
La plupart du temps, les maîtresses de maison n’étaient pas regardantes toutes contentes de se débarrasser d’un tas de vieilleries et de les échanger contre de la vaisselle.
Les armoires et les placards débarrassés du superflu, les « fatmas » nettoyaient portes et étagères et lavaient systématiquement le linge qui n’avait pas servi depuis un certain temps de manière à éviter au linge de maison de se tâcher de « tâches de rouille ».
Puis, le tout était plié ou amidonné et repassé et l’on recréait ainsi des piles harmonieuses dans les armoires. Dans les coffres à jouets on traquait les miettes que les bambins de la famille auraient pu éparpiller dans des recoins.
En cette saison, les matelassiers étaient débordés de travail étant donné que n’existaient pas encore les matelas à ressorts. Les matelas et les oreillers ou les traversins étaient confectionnés en pure laine. L’habitude consistait à louer la terrasse et la buanderie pour quelques jours.
Puis, l’on devait s’assurer de la présence d’une ou plusieurs femmes de ménage qui ouvraient les matelas, sortaient la laine pour la laver, lessivaient les toiles à matelas vides qu’elles brossaient vigoureusement et étendaient au soleil le travail était le même pour les traversins et les oreillers. Par ailleurs, elles cardaient et lavaient la laine puis la faisaient sécher.
Ce jour-là ou le lendemain on lessivait aussi les couvertures. Le matelassier arrivait avec un aide. Il ouvrait des tréteaux et y posait des planches de bois. Il déployait les toiles à matelas une par une les remplissaient avec la laine cardée et toute propre.
Puis, muni de son alène et d’un fil qui avait plus l’air de ficelle que de fil et, rapidement, il cousait les bords du matelas et piquait le matelas de part en part de façon à maintenir la laine en place et éviter qu’elle ne s’amasse d’un côté ou d’un autre.
Pour ceux qui possédaient des tapis, il fallait les battre vigoureusement, puis, à l’aide d’un tuyau, de brosses et de savon, on lavait les tapis souvent de haute laine pour en déloger les miettes traîtresses qui auraient pu s’incruster dans la laine serrée.
Une fois secs on les roulait et on les ficelait pour les garder derrière les portes des chambres jusqu’à la fête.
Ensuite venait le tour du peintre qui lessivait les murs et les repeignait ou si le besoin de rafraîchir les peintures ne se faisait pas sentir, la femme de ménage lavait les murs à grande eau, et faisaient briller les lustres.
On emportait à la teinturerie de l’avenue de la Bouzaréah les tentures et les voilages qui ne seraient suspendus à nouveau qu’à la veille de la fête.
Venait enfin le tour des fenêtres : on brossait vigoureusement les persiennes les boiseries des fenêtres que l’on repeignait parfois et enfin les vitres.
Entre temps, les meubles avaient été cirés à la cire d’abeilles et la maison sentait bon. Ces odeurs mêlées conféraient déjà un « goût » spécial à la fête.
Les femmes de ménage, armées de citron de bouchons en liège et de poudre à récurer astiquaient ensuite les cuivres (plateaux, cruches et divers ornements) puis avec du dentifrice on astiquait l’argenterie.
Généralement à Alger, les appartements ne disposaient pas de cave et, à l’époque nous ne possédions dans le meilleur des cas que de glacières, on ne faisait donc pas non plus de provisions alimentaires gigantesques et la liquidation du hametz en conséquence s’en trouvait grandement facilitée. Ce n’est que vers 1952 qu’arrivèrent de France les premiers réfrigérateurs et les premières machines à laver le linge.
Une dizaine de jours avant la fête, les parents faisaient entre eux le point des invités qui seraient conviés à prendre part à la soirée pascale (le Seder de Pessah). Mon père devrait lire et chanter le texte de la haggada ou récit de la sortie d’Egypte puis, Maman qui jouissait d’une certaine renommée de cuisinière hors pair et raffinée de surcroît mettait au point le menu et la liste d’achats.
A cette époque, chaque saison avait ses fruits et ses légumes et on ne trouvait pas de tomates ou de concombres en hiver. Les artichauts, les petits pois frais et les fèves, ainsi que les fenouils, faisaient leur apparition sur les étals au printemps et dès le début de l’été les poivrons, les tomates et les aubergines et les haricots verts, blancs et rouges faisaient notre bonheur.
C’est pourquoi, dès l’été, les mères de familles préparaient des bocaux de conserves qui seraient consommés toute l’année et pour Pâque en particulier tels que les poivrons séchés conservés dans l’huile et les olives vertes (cassées ou pas) et les olives violettes ou noires conservées avec des herbes aromatiques ou avec du citron ou des oranges.
Les Matsot ou pains azymes que nous consommions à l’époque étaient rondes mais très épaisses. Le fabricant de ces galettes les faisait à la main dans une sorte d’entrepôt situé dans le quartier de La Marine. Il s’agissait du regretté Mr Simon Bitone. Il était un ami de mon Père. Le secteur d’activités de cet homme très brave et généreux était la biscuiterie. Il travaillait avec son Papa qui était très âgé et avec l’un de ses frères. A l’approche de la fête de Pâque, il louait avec la bénédiction du consistoire d’Alger une petite synagogue située rue Suffren. Au rez-de-chaussée des feuilles de carton ondulées étaient disposées à même le sol et elles étaient recouvertes de draps blancs immaculés les matsot reliées par paquets de 6 avec un bolduc, s’empilaient sur toute la surface de l’entrée de la synagogue. Ces matsot étaient si épaisses qu’on ne pouvait les consommer en l’état mais nous étions obligés de les mouiller et de les envelopper d’un torchon pour conserver l’humidité.
Une année, alors que Mr Simon Bitone avisa mon père qu’il venait d’acquérir une machine à laminer qui permettrait d’obtenir des galettes beaucoup plus fines et friables, mon père, représentant en emballages suggéra un emballage pour chacune des différentes sortes de matsot : les galettes à l’eau, au vin et les « oranaises » etc……… Mon père qui était perfectionniste élabora une maquette et conçut un label qui – malgré l’exode d’Algérie et bien que la Biscuiterie devînt la « Biscuiterie d’Agen » – subsista et, d’ailleurs, bien que les protagonistes ne soient plus de ce monde, ce label est toujours en usage.
Chez le boucher, il fallait faire la queue chacun désirant sacrifier aux coutumes et il fallait donc acheter de l’agneau et puis des tripes de la viande qu’il faudrait hacher à la maison. Maman se faisait aider car elle n’aurait jamais pu suffire seule aux préparatifs des salades, du fameux potage de Pâque contenant sept légumes ou végétaux et que tout le monde s’accordait à dire que ce potage avait un goût tout-à-fait particulier le soir de la fête.
Et puis il fallait confectionner une saucisse de gras-doubles qui mijotait dans la soupe et tant d’autres mets particuliers que tous appréciaient sans compter les desserts « sfériéss » sorte de petits beignets au miel que chacun dégustait à l’envi.
La consommation à Pessah de produits manufacturés n’était pas tolérée par les plus observants qui ne buvaient leur café qu’en prenant en bouche une datte bien mielleuse qui servait à sucrer chaque gorgée du breuvage chaud et corsé.
Le café d’ailleurs était acheté vert et les ménagères le torréfiait à la maison puis on le moulait à la main dans ces vieux moulins à café en bois que l’on coinçait entre les cuisses tout en tournant la manivelle pour recueillir la fine poudre odorante dans le petit tiroir. La maîtresse de maison enfermait ensuite le café finement moulu dans un pot de conserve en verre muni d’une nouvelle rondelle de caoutchouc.
A l’époque il n’y avait pas encore de fer à repasser électrique ni à vapeur dans chaque maison. On disposait pour le repassage de petits fers à repasser en fonte que l’on mettait à chauffer soit sur des braises ou sur un « primus » ou encore sur le gaz (dans les maisons « modernes »).
Pour ne pas tâcher les vêtements avec la semelle du fer qui avait noirci sur les braises ou sur le gaz, on disposait un tissu légèrement humidifié (la pattemouille) sur le vêtement à repasser et la vapeur s’échappait du tissu humidifié au contact de la semelle chaude du fer en fonte………
Parmi les invités on comptait bien sûr les proches : ma grand-mère et sa sœur qui nous avait tous élevés, des oncles, tantes et cousins mais aussi des personnes étrangères qui étaient seules ce soir où les gens en général festoyaient en famille ou entre amis. Beaucoup plus tard, cinquante ans plus tard, je perpétuai la tradition mais, par la suite, me retrouvant moi-même seule, j’eus recours aux fêtes organisées dans des hôtels.
(A suivre)
Caroline Elishéva REBOUH
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