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Un islam français est possible.
En deux ans, ce nouvel entrant sur la question de l’organisation de l’islam de France fait parler de lui. Ses deux rapports « Un islam français est possible » (2016) et « La fabrique de l’islamisme » (2018) ainsi que son ouvrage « L’islam, une religion française » (Gallimard, 2018) ont bénéficié d’une large couverture médiatique.
Son analyse et ses propositions ne sont pas pour déplaire au ministère de l’Intérieur en charge des cultes. Mais les acteurs historiques de l’islam en France tire à boulets rouges sur lui. Son idée phare : la création d’une Association musulmane pour l’islam de France (AMIF), destinée à récolter des fonds pour financer le culte.
Hakim El Karoui livre dans une longue interview accordée à Saphirnews les principes de fonctionnement et de gestion qu’il envisage pour l’AMIF. En associant les Français « musulmans et républicains » et grâce à l’argent récolté dont le montant minimal est estimé par l’essayiste à 4 millions d’euros dès la première année d’existence, l’AMIF a pour objectif final d’ancrer l’islam comme une religion française.
Saphirnews : Entrons dans le vif du sujet. Quels sont les grands principes de l’AMIF (Association musulmane pour l’islam de France) que vous envisagez de créer ?
Hakim El Karoui : Les grands principes sont au nombre de quatre. Le premier, c’est l’indépendance. Le deuxième, c’est l’absence de conflits d’intérêts. Le troisième, c’est la transparence. Et le quatrième, c’est, d’une certaine manière, qu’il y a une orientation. L’AMIF est un moyen mais qui va vers une fin : il faut que cette organisation se batte pour le bien-être des musulmans en France.
Cela signifie trois choses. D’abord, mettre de l’ordre dans les flux d’argent, dans l’intérêt du fidèle, ce que l’on oublie en général. Ensuite, que l’argent récolté soit réinvesti pour promouvoir le fait qu’on peut être Français et musulman. Il y a, à l’évidence, un travail théologique à élaborer pour lutter contre l’emprise salafiste, notamment dans le discours religieux. Il y a aussi un travail très pratique à mener sur les réseaux sociaux. De plus, je ne pense pas qu’il faille laisser la lutte contre la xénophobie à des associations dédiées qui en font un élément politique. Et puis, il faut former les cadres religieux.
La troisième chose : si cette organisation travaille pour l’insertion des musulmans en France, il faut aussi qu’elle lutte contre ceux qui se réclament de l’islam et commettent des actes terroristes ou de violence et qui veulent séparer les musulmans du reste de la population française. C’est ça l’islamisme : c’est vouloir convertir les musulmans à sa vision de l’islam.
Il y a donc des principes de fonctionnement : transparence, absence de conflits d’intérêts et indépendance. Et il y a des principes pour ancrer l’islam dans la cité. Il faut que ce soit une religion française. L’objectif final est d’apaiser ce système qui est fondé sur la tension. Il faut que les musulmans prennent les choses en main.
Jusqu’à maintenant, on pouvait avoir l’impression que la présentation de l’AMIF que vous faisiez auprès du grand public était qu’elle devait en premier lieu lutter contre l’islamisme. Or vous insistez ici sur le fait que s’intéresser aux flux d’argent n’est qu’un moyen pour le réinvestir dans des grands chantiers qui intéresseraient les musulmans…
Hakim El Karoui : L’AMIF ne fonctionnera que si les fidèles lui font confiance. Pour cela, il faut – grande nouveauté – que l’AMIF rende des services aux fidèles. L’AMIF devrait donc être conçue comme une structure qui va rendre des services. Elle n’a aucune vocation ni prétention à être représentative.
En abordant la question de l’organisation notamment à travers les questions financières, elle peut rendre des services. Faire baisser le prix du pèlerinage, c’est avoir un meilleur service. Pouvoir faire des dons en toute transparence avec la défiscalisation que permet la loi française et en créant une relation de confiance, c’est avoir un meilleur service. S’agissant du halal – je n’entre pas dans les débats mais le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a un problème de confiance –, le but de l’AMIF est de travailler, pour les fidèles, en confiance avec eux, pour que le système en général soit porteur de confiance.
Ce qu’en disent les associations de consommateurs, les associations de pèlerins, c’est que ce système peut être largement amélioré. Il y a une inquiétude des musulmans vis-à-vis des organisations religieuses, qu’elles soient purement religieuses ou qu’elles soient logistico-religieuses comme les agences de voyages. Il faut assainir et améliorer le système. Il faut que les musulmans prennent aussi conscience de l’inquiétude de la société française en général, dont ils font partie, et qui les regarde en disant : qu’est-ce que vous faites ?
Concrètement, s’agissant du pèlerinage, comment comptez-vous procéder ?
Hakim El Karoui : D’un côté, les autorités saoudiennes sont demandeuses d’une meilleure organisation en France. De l’autre, les fidèles se plaignent des prix élevés, qui ont beaucoup augmenté et sont supérieurs aux pays comparables proches ; ils se plaignent aussi d’une dégradation de la qualité de service.
Je propose que l’AMIF serve de tiers de confiance : avec des gens qui vont la gérer, ne seront pas dans le business du pèlerinage (pour qu’il n’y ait pas conflit d’intérêts) et auditeront les agences de voyage. Après avoir identifié tout ce qui fabrique le prix d’aujourd’hui (tous les intermédiaires) et établi des comparaisons internationales, l’AMIF mettra en place un cahier des charges, pour parvenir à un juste prix, probablement inférieur au prix actuel… Une fois les frais de gestion déduits, l’AMIF prélèvera « pour chaque paquet » une toute petite part qui sera ensuite réinvestie au service des musulmans.
Mais d’où proviendrait cette « légitimité » à auditer les agences de voyages et à leur délivrer un label ?
Hakim El Karoui : C’est simple, il y a un acteur : il faut que le consulat d’Arabie dise : « OK, vous allez me rendre ce service. » S’ils disent non, la question ne sera pas la légitimité, c’est juste que cela n’existera pas.
Le label serait délivré sur la base de critères de bonne gestion et de services avec un dialogue qui devrait être très concret avec les associations de pèlerins et les pèlerins eux-mêmes. Le projet de l’AMIF est de participer à la création d’une relation de confiance avec plusieurs parties prenantes.
Concernant le halal, quelle serait la mission de l’AMIF ?
Hakim El Karoui : Comme pour les agences de voyages : accréditer. L’idée n’est pas que l’AMIF se substitue aux acteurs. On reste dans le cadre d’acteurs existants mais, d’une certaine manière, on leur rend aussi un service : on leur permet de monter en grade avec un cahier des charges, une charte de fonctionnement, des principes de gestion…
Cela est valable pour les agences de voyages et cela doit être aussi valable pour les mosquées. Actuellement, l’État, par le biais du ministère de l’Agriculture, donne à trois mosquées le monopole de la délivrance des cartes de sacrificateurs. L’idée, c’est que l’État comme le consulat d’Arabie Saoudite s’appuient sur l’AMIF en lui demandant un travail d’accréditation. Ce sera à l’AMIF de dire que telle mosquée a la capacité de gestion du dispositif et de vérifier ses comptes. Tout le monde a à gagner avec de la transparence, une charte de fonctionnement, des principes…
Il y a un énorme débat sur le bien-être animal, ce serait bien que les mosquées attribuent des cartes de sacrificateurs à des gens qui ont été formés, qui vont prendre soin des animaux telle que la charte a été édictée, etc. L’AMIF va juste contribuer à écrire cela, pour et avec les mosquées. Ensuite, elle va vérifier que les mosquées font ce qu’elles disent. Par ailleurs, il y a des gens qui veulent interdire l’abattage rituel. Peut-être qu’il serait temps de réfléchir à la façon dont c’est présenté, dont c’est organisé, à la transparence de tout cela.
L’idée est d’abord de construire une relation de confiance avec l’État et, ensuite, d’aider les acteurs à monter en gamme à travers une structure comme l’AMIF qui soit à leur service, au service des fidèles.
On vient de parler des sacrificateurs. S’agissant de la certification halal, quelle serait l’implication de l’AMIF ?
Hakim El Karoui : Il y a deux cas. Il y a des agents de certification qui sont liés aux mosquées. Si les mosquées ont des cartes d’abattage délivrées par l’AMIF, d’une certaine manière, cela rejaillit sur les agences de certification. Et il y a des agences qui ne sont pas liées aux mosquées. Dans tous les cas, je pense que l’AMIF ne doit pas entrer dans le débat sur la norme parce que c’est la boîte de Pandore : personne n’est d’accord, chacun fait son petit business…
L’idée, c’est de se mettre au-dessus en disant : vous nous dites que vous faites ça, OK, on va vérifier avec vous. On va créer de la confiance et, si vous êtes bons, vous avez intérêt à appeler l’AMIF ; si vous n’êtes pas bons, vous n’avez pas intérêt…
Ce sera un certificat de certificat ?
Hakim El Karoui : Oui, cela existe dans le bio. Le COFRAC (Comité français d’accréditation) certifie les certificateurs de bio.
Comment l’AMIF se rémunérerait sur ces deux métiers ? Car s’agissant de la certification, le marché du halal est libre.
Hakim El Karoui : Concernant les sacrificateurs, l’AMIF a la clé d’entrée. Donc elle fixe les tarifs, elle est incontournable puisque les mosquées n’auront pas la carte sans l’AMIF. Forcément, le travail de l’AMIF doit être rémunéré.
Pour la certification, les consommateurs peuvent avoir envie de faire confiance au label des labels délivrée par une organisation « non profit » et transparente, contrairement aux autres. Car, selon les principes de gestion, pour être administrateur ou salarié de l’AMIF, il faudra faire une déclaration d’intérêts, pour justement éviter les conflits d’intérêts.
C’est le jeu du marché. Pareil pour les distributeurs ou les marques généralistes, qui ne veulent pas entrer dans les débats des normes et feront appel à une organisation indépendante telle que l’AMIF. Après, il y aura un petit coût par produit, mais ce qui compte, c’est l’assiette. Il faut que l’assiette soit la plus large possible pour que le coût soit le plus faible par produit.
Avez-vous une idée du montant de la surtaxe ?
Hakim El Karoui : Il faut qu’il soit très petit. Par exemple, quand on nous demande 1 % de TVA, cela fait beaucoup d’entrées pour l’État, personne ne s’en rend compte. C’est la même idée sur le halal, il ne faut pas que cela se sente. C’est même l’inverse : pour le pèlerinage, il faut que les musulmans aient le sentiment que le prix est plus bas, même si l’AMIF, du fait de son travail, prend un peu d’argent.
Quelles sont vos préconisations concernant la zâkat ?
Hakim El Karoui : La zâkat, ce n’est qu’une question d’offres. Aujourd’hui, très peu de mosquées peuvent défiscaliser, rares sont celles qui sont gérées par la loi de 1905. Il y a des mosquées sous statut 1901 qui défiscalisent mais elles n’ont pas le droit de le faire… Donc l’AMIF sera une organisation de loi 1905 qui permettra de défiscaliser le don et de le flécher : soit vous donnez de l’argent pour le national, soit vous donnez pour le local. Il se trouve que les gens vont donner majoritairement au local.
Vous aurez ainsi le choix… Soit vous donnez 100 €, ça vous coûte 100 € et vous ne savez pas ce que cela devient. Soit vous donnez à l’AMIF 100 €, ça vous coûte 40 € (du fait de la défiscalisation), vous savez que cela aide à construire votre mosquée (traçabilité) et éventuellement à financer d’autres projets.
Cela veut-il dire qu’un fidèle qui veut donner pour sa mosquée locale sera obligé de passer par l’AMIF ?
Hakim El Karoui : Non, mais il aura intérêt à passer par l’AMIF parce que son don bénéficiera de la défiscalisation et de la traçabilité.
Cela ne serait pas plus simple de dire aux mosquées de se mettre sous statut de loi 1905 et de former leurs dirigeants ?
Hakim El Karoui : C’est plus simple, mais la mission de l’AMIF est d’avoir une collecte la plus large possible. Donc il est dans l’intérêt des mosquées que leurs fidèles passent par l’AMIF qui rétrocèdera ensuite les dons. Intrinsèquement, elle aidera les mosquées à monter en gamme.
C’est-à-dire qu’en même temps l’AMIF aura une fonction de conseil et de formation auprès des mosquées ?
Hakim El Karoui : Bien sûr ! Quel est le meilleur statut ? Quelle est la meilleure organisation ? Comment gère-t-on l’imam ? Aujourd’hui, aucun imam n’a droit à la retraite… Les gens qui gèrent les mosquées peuvent être très bons mais d’autres le sont moins. Ils ont besoin de conseils. L’AMIF est une structure de service pour les fidèles et pour les mosquées.
La suite de l’interview à venir