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Pour les musulmans de Savoie, ce fut une première ! Une bienveillance venue de mes parents a surement joué son rôle. Albert Memmi disait :« … c’est l’ensemble des situations vécues qui font l’individu ! ». Quelque chose de généreux me poussait : « si vous aimez ce que vous faites, vous réussirez ». On disait de moi, alors tout jeune : « Il n’est pas en retard ce gamin, et il sait ce qu’il veut ! » Et quand plus tard, tel que j’étais, je me suis trouvé dans un milieu de désespérés et d’écorchés, les mots chaleureux, les mots qui confortent, me sont naturellement venus à la bouche, comme par magie.
Après mon arrivée en France en 1954, j’ai découvert la situation difficile des musulmans dans la société française, j’ai découvert que l’islam était mis en marge de la société́, comme ostracisé. L’effet sur moi fut décisif en m’affectant profondément ! Cette situation, dans d’autres milieux que le mien, choquait alors de nombreux intellectuels français (Sartre, Deleuze, Foucault) et pas seulement des intellectuels ! C’est ainsi qu’une vocation naquit en moi et c’est dans ce contexte que des projets dans le domaine social et le bénévolat ont pris forme.
Après avoir été admis en 1959 à la Protection Judiciaire de la Justice (PJJ), puis dans des actions pour la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence jusqu’à ma retraite en 1989, je me suis tout naturellement investi à partir de 1991 dans l’Aumônerie pénitentiaire. Affecté à la maison d’arrêt Belledonne de Chambéry et au centre de détention d’Aïton, je découvre, confondu, que les musulmans sont majoritaires dans ces établissements à plus de 55% ! La fatalité et l’humiliation, je ne les accepte pas. Pour répondre aux besoins de ces pauvres gens la création de lieux de culte s’impose à moi ! « Là on pourra les rassembler et les aider plus facilement ». Le premier voit le jour à Chambéry. Le second à Aix les Bains fut construit avec un carré musulman attenant au cimetière.
La création de deux associations va suivre : l’Union des Enfants d’Abraham – l’UDEA, (en lien avec la Fraternité́ d’Abraham), et pour effectuer des échanges internationaux avec les pays du Maghreb : l’Institut interculturel Maghreb France – ICMF. Il s’agissait d’apporter une meilleure information sur la civilisation musulmane, ce qui rendra service aux autres sensibilités religieuses.
Entre temps, avec d’autres participants, nous nous impliquons dans les activités de la Conférence Mondiale des Religieux pour la Paix (CMRP) et de la Fraternité d’Abraham, toutes deux siégeant à Paris. Nous travaillons sur des sujets liés aux rencontres inter religieuses, le concept de la laï- cité et le développement de la paix dans le monde. La création d’un site: https://education-citoyenneteetderives.fr pour poursuivre, avec l’écriture, divers domaines qui me paraissent importants, rendre, entre-autre, l’histoire de la laïcité plus familière.
Aumônier : quelles qualités ?
L’écoute, d’abord. Elle permet aux patients de bien exprimer l’essentiel, de soulager un peu leur souffrance. Et à celui qui sait écouter, de savoir quoi dire et quoi faire. La parole est le moyen de dévoiler et d’élever la pensée. Celle de l’aumônier apporte en retour du sens à l’existence et réconforte. Il faut apaiser les patients, les aider à prendre conscience de leurs ressources intérieures. Il faut les convaincre que, dans ce monde difficile, ils ont de grandes capacités latentes en eux. Être aumônier hospitalier c’est aussi être toujours disponible pour le personnel de l’hôpital.
Il est important d’être disponible, cela de jour comme de nuit, les week- ends comme en semaine, 24 h. sur 24 h. Il n’est pas rare d’être tiré de son sommeil ! Face à la souffrance, à la maladie mentale, il arrive de se trouver décontenancé. Lors d’un décès, on ressent toujours, un profond embarras. Personne n’est complètement préparé à cette blessure humaine.
Il n’est pas toujours évident, de trouver les mots justes face à l’anéantissement psychologique des patients en de telles circonstances ! Après 23 années de bénévolat dans les prisons, l’âge m’a contraint d’abandonner l’aumônerie pénitentiaire. J’en fus vraiment désolé.
Cette aumônerie et les associations, encore en activités à ce jour, sont à l’origine de l’honneur qui m’a été fait, le 31 octobre 2015 lorsque me fut remis la Légion d’Honneur et les Palmes d’Or du Bénévolat. Ces distinctions effacent toutes les épreuves.
L’organisation des aumôneries dans les établissements publics de santé
Comment fonctionnent les aumôneries dans les centres où j’interviens (le centre hospitalier Métropole de Chambéry et d’Aix les Bains ainsi que le centre Hospitalier Spécialisé de Bassens) ? Je gère en ma qualité de référent, une équipe d’aumôniers hospitaliers musulmans. Cette équipe, hommes et femmes, est constituée des trois nationalités maghrébines : algérienne, marocaine, tunisienne, mais aussi des pays d’Afrique Noire, soit une douzaine de personnes et un imam. Les aumôniers sont généralement des religieux fidèles à leur mosquée d’origine. Elles sont prises en charge par l’aumônerie d’obédience algérienne. Lors de demandes de patients, autres qu’algériens, il est fait appel à l’imam originaire du pays du malade. Tout cela se passe dans une ambiance conviviale.
L’aumônerie compte un nombre important de femmes. Si certaines apprécient l’occasion qui leur est ainsi donnée de sortir de chez elles et de voir du monde, elles sont toutes animées d’une foi inébranlable, et du besoin « d’aider autrui ». Cela correspond à des devoirs religieux en islam. Elles font un travail difficile et ingrat auprès de la population qui souffre. Beaucoup se vouent ainsi, corps et âme à leur mission. Gratifiées et reconnues elles inspirent confiance et respect.
La direction des hôpitaux, très attentive à nos activités, nous prend en charge sur le plan matériel. Nous disposons d’un bureau avec un équipement informatique et pouvons communiquer avec l’ensemble des services de l’hôpital par mails et par téléphone. Une cafetière et du thé sont mis à la disposition des bénévoles et des familles des patients lorsqu’elles viennent nous rencontrer. Parfois des fruits sont offerts. Nous avons rarement les mains vides ! Avec l’ensemble des aumôneries de l’établissement, nous avons créé un lieu de culte multi confessionnel permettant, ainsi, à ceux et celles qui le veulent, de se recueillir.
Les visites aux patients sont le cœur de notre action. Quand nous allons les visiter, nous portons le badge de l’aumônerie musulmane qui permet de bien nous identifier. Nous essayons d’être discret pour ne pas nuire au bon fonctionnement du service. Nous n’imposons pas notre présence aux patients. Une attention particulière est donnée à chacun et chacune lors de la rencontre. Elle est un soutien dans la démarche globale de soins.
Aller, en aumônerie, au-devant des musulmans en difficulté dans les prisons et les hôpitaux, mais pas seulement !… Nous allons aussi vers les chrétiens et les juifs ! C’est le sacerdoce de tous les aumôniers ! Cela facilite grandement nos rapports avec l’ensemble des cadres de santé. Une plaquette d’accueil présentant l’aumônerie musulmane et ses fonctions, est mise à la disposition du public : Qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous là ? Comment nous rencontrer ? A noter que la structure de base de l’aumônerie musulmane – l’Union des Familles de Culture Musulmane (UFCM) – a été créée en 1989 par un protestant Pierre Patrick Kaltenback.
Que fait l’aumônier en milieu hospitalier
L’agenda et la régularité des visites des patients est essentielle pour une bonne relation avec les soignants et les cadres de santé. Comme le souligne la charte hospitalière, « la démarche de l’aumônier doit rester cohérente avec la démarche de soins. Le soutien est cultuel et spirituel ! ». En parallèle, afin de mieux collaborer avec l’ensemble du personnel de l’établissement, notre équipe effectue des réunions avec les cadres de santé et des rencontres avec la direction des cultes de l’établissement. A observer, que pendant cette période de pandémie Covid 19, les visites ont dû être interrompues, seules les urgences sur appels des cadres de santé sont autorisées.
Les aumôniers musulmans s’impliquent auprès des malades de même que ceux d’autres religions ; ils sont tous des messagers de l’amour de Dieu. Ces personnes, dans le bénévolat, entourent les malades comme le fit Saint Camille de Lellis, précurseur de la bienfaisance, protecteur des hôpitaux et des malades. Leurs agissements correspondent totalement aux préceptes religieux en islam. Dans la théologie catholique, l’écoute de l’autre est liée au sacrement … celle du Protestant à une parole de grâce. L’écoute dans la dimension musulmane ouvre vers Allah ! Elle nous met en communion avec Dieu, … qui Lui, est attentif à la vie des hommes.
Nous nous retrouvons volontiers tous – aumôniers des différentes traditions religieuses− avec le plaisir de partager un thé à la menthe ou la galette des rois… dans un style oriental… lors des anniversaires, fêtes religieuses des uns et des autres. Et si les enfants des aumôniers n’ont pas classe ce jour-là, ils participent à ces petites agapes. Nous tissons ainsi, mutuellement, des liens d’amitié et de fraternité !
Pour le ‘lavage des corps’, les aumôniers ne sont pas tous opérationnels. Cette fonction exige un personnel bien formé. Des formations sont organisées afin d’assurer le ‘toilettage des défunts’. A noter qu’un homme peut faire le lavage de corps d’un homme mais seule une femme peut remplir cette fonction auprès de la femme défunte. Cette activité nécessite une technique particu- lière et une approche « œcuménique » car les rites sont distincts selon les religions. Des journées d’encadrement ont été également organisées avec les Pompes Funèbres.
En France, l’hôpital est devenu un lieu où s’achève souvent la vie. L’accompagnement du deuil et la fin de vie concernent bien évidemment tous les aumôniers quelles que soient les traditions religieuses. La formation sur l’approche de la maladie et de la mort, est assurée par une personne spécialement éduquée. Par solidarité, nous avons proposé aux autres aumôneries de l’hôpital de se joindre à notre séminaire de formation « deuil et fin de vie », où plusieurs sujets sont abordés − Comment réconforter, traverser une période douloureuse – Comment parler et surmonter la déprime et l’abattement ? – Comment parler de la fin de vie ?
La mort est accompagnée des rites funéraires propres à chaque religion. La croyance et la foi se présentent, dans ce cas, comme des fontaines de morale et de paix. Dans ces moments difficiles, il est habituel de se rattacher à la foi en Allah (en Dieu). La foi surgit parfois dans la souffrance. On espère être épargné de toutes les calamités. Dans toutes les religions, la foi occupe une place importante dans le processus de guérison ; dans le catholicisme, par l’appel à l’intercession des saints ; dans le protestantisme, plutôt par la prière ; dans l’Islam, elle est parfois associée à des lieux de pèlerinage, comme l’eau de Zamzam à La Mecque, en Arabie saoudite.
Il faut dire ici que la brutale survenance du Covid a entrainé, surtout au début, de très graves difficultés. Comment accepter, émotionnellement, la mort d’un parent, d’un ami, sans pouvoir l’assister et l’entourer avant le grand départ ? Les quelques situations vécues ont été épouvantables ! Ces enterrements, sous Covid-19, ont cassé le mental des plus forts d’entre-nous. Lors de ces lugubres enterrements, nous avons multiplié les soutiens aux familles désespérées. Tout au début de la pandémie, emporté par ce virus, un défunt musulman a échappé à l’incinération « clandestine ». L’infortuné fut alors mis dans un cercueil, sous une enveloppe plastique, entouré de « fossoyeurs », eux-mêmes surprotègés du virus pour accomplir la mise en terre. L’inquiétude de la crémation évitée, (rappelons qu’elle n’est pas admise dans la coutume musulmane) a bien été respectée. A noter, toutefois, que ce fut après bien des démarches !
Laïcité et aumônerie dans la fonction publique hospitalière
Comment respecter les impératifs de la laïcité qui s’imposent aux établissements publics de soins, tout en faisant son travail d’aumônier musulman ? Comment aider celui-ci à résoudre les éventuels conflits entre convictions religieuses et législation laïque ? La formation des aumôniers à la laïcité est essentielle à leur fonction. Que dit la loi ?
Les articles 1 et 2 de la loi du 9/12/1905 posent les fondements politique et juridique de la laïcité. La séparation des Eglises (en tant qu’organisatrices des cultes) et de l’Etat. La liberté de conscience du citoyen. L’Etat n’ignore pas le fait religieux ; il considère de manière identique tous les cultes et de ce fait, affiche sa neutralité.
Issue de la « guerre des deux France », la laïcité́ a constitué́ une rupture pacificatrice.
La Constitution du 4 octobre 1958 dans son Article 1er réaffirme ce principe « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » La laïcité est ainsi clairement énoncée comme l’une des valeurs fondatrices de la République.
« Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.» La laïcité ne s’oppose pas aux religions. Elle garantit, au contraire, la liberté de culte pour chacun.
S’agissant de la compréhension puis de l’acceptation du concept de laïcité, on part de très bas. Il faut faire un effort de longue durée pour rattraper le temps perdu. Tous les sondages montrent qu’une grande majorité de musulmans accordent une importance prioritaire à la foi et manifestent de grandes réticences à l’idée de l’associer à la laïcité, apparentée à l’athéisme. Les deux concepts − foi et laïcité – leur paraissent incompatibles dans ce monde où la croyance en Dieu et l’observance des pratiques religieuses doivent à leurs yeux dominer et régler la vie quotidienne. Nous affrontons là, des abimes d’incompréhension dont par exemple la difficulté à admettre la liberté de changer de tradition religieuse.
Reconnaissons que depuis quelque temps la puissance publique est consciente de l’urgence. C’est ainsi que nous avons été sollicités par la Préfecture de la Savoie pour contribuer au rapport annuel de l’Observatoire National de la Laïcité. Par ailleurs notre aumônerie a encouragé la formation civique et civile à l’Université de la Savoie Mont Blanc.
Nous avons créé des outils de formation et d’initiation à la Laïcité et au Fait Reli- gieux en tant que faits de civilisation. Ces outils servent à la formation civique et civile des aumôniers hospitaliers et péni- tentiaires, en particulier, musulmans ; ils peuvent également servir à l’éducation d’un public beaucoup plus large. Il s’agit de quarante-deux panneaux, réalisés par infographie, de 60 x 80 cm. Ils sont complétés par deux diaporamas. Le premier aborde la civilisation musulmane, sans oublier l’extrémisme et ses dérives : Tabligh, Wahhabisme, Salafisme, Frères Musulmans, Milli Gurus, etc. Le second retrace les fondements de la laïcité. Ces panneaux ont été exposés dans de nombreux lycées, collèges, et Universités, en Savoie et en Isère, ainsi qu’au CHS Savoie-Bassens et lors d’une conférence réunissant les aumôniers des trois religions abrahamiques et organisée par la direction de l’établissement hospitalier de Chambéry.
Il est important et même crucial pour des raisons culturelles et civiques, que les étudiants en aumônerie bénéficient de cet enseignement prévu par la loi mais largement ignoré dans les faits. Ces programmes doivent se banaliser. L’interculturel et l’interreligieux doivent être enseignés. Ils s’imposent aux services publics et à ses agents qui, eux, doivent être neutres par rapport à tous les usagers. Ces derniers ne peuvent pas discriminer les patients sur des critères religieux.
Par ces moyens, nous voulons informer et mobiliser les aumôniers afin de lutter contre les préjugés, la désinformation. Ces actions ont pour objectifs d’incarner au quotidien, un islam éclairé, illustré par des interprétations qui visent à mettre fin à la discrimination des femmes, des homosexuels, à considérer ceux qui croient comme ceux qui ne croient pas.
Il faut délivrer l’Islam de tous les fanatismes. Il y a un contexte à rappeler : ce sont les circonstances de la Révélation. Nombreux sont ceux qui s’enferment dans une sorte de caricature, encore figés au VIIIe siècle, à la naissance de l’islam. La parole de Dieu se présente comme une transcendance dans le moment où elle est dite…en rapport avec la vie pratique, celle qui prévaut à l’époque. Eveillons les esprits en les ouvrant à d’autres cultures tout en soulignant les accords de fond : parlons du Prophète Mohamed sans oublier Moïse et Jésus. Ils sont vénérés dans le Coran. On peut dire : « Moïse et la Thora, ça fait un Juif », « Jésus et la Bible, ça fait un Chrétien », « Mohamed et le Coran, ça fait un Musulman ». Moïse, Jésus, et Mohamed sont au même niveau prophétique. Ils sont men- tionnés dans le Coran, comme étant des messagers de Dieu, des « Rasoul ». Donc, qui sommes-nous pour dire qu’untel est meilleur que tous les autres ? On peut rappeler l’humanisme de l’écriture coranique « Je n’adore pas ce que vous adorez et vous n’adorez pas ce que j’adore ! ».
On ne doit pas devenir aumônier ou éducateur, comme et quand on veut. L’intégrisme, l’intolérance, le racisme et la xénophobie restent des défis aux valeurs de notre société. Rappelons ici l’ouvrage de Véronique Francou : « Ensemble, vers la paix ». La lecture de ce livre et des témoignages qu’il rassemble permet de mieux appréhender l’ensemble des valeurs de paix et de compréhension qui devraient nous unir.
Nous appartenons tous à la même famille, nous avons le même Dieu.
Comment l’aumônier assume, au quotidien, les difficultés à l’hôpital
Comment les aumôniers abordent les questions ultra-sensibles à l’hôpital ? Il y a parfois des manquements, des inconduites et de la violence dans les services. Dans certains cas, il nous est demandé d’intervenir sur des conflits divers, dûs, aussi, à la méconnaissance de la laïcité. Notre action, en plus du soutien moral et spirituel auprès des patients, doit aussi permettre aux médecins et au personnel soignant de réaliser leur travail. De ce fait, il arrive que nous intervenions à la demande. Nous devons parfois agir en urgence.
Les valeurs républicaines restent encore menacées dans l’hôpital. Les problèmes s’estompent généralement devant l’aumônier, lui aussi musulman. Dans d’autres cas, face à des comportements bloqués, c’est un peu plus dif- ficile, mais nous aboutissons toujours. On peut se faire manquer de respect, se faire traiter d’irréligieux, de mécréant. Cela est possible, mais, il faut le reconnaître, assez rare. La paix reste, toutefois, fragile ! Sur quelle légitimité peut s’appuyer un aumônier, à la fois, représentant de son culte, invité à la neutralité comme tout agent de service public et désireux de faciliter le travail des médecins ?
Il se présente de nombreux cas : celles des patientes refusant qu’un personnel masculin entre dans leur chambre, pas seulement pour des questions de pudeur. Celles aussi qui ne veulent pas serrer la main. Des patientes qui refusent d’être examinées par un médecin homme. Ou bien, par exemple, cette jeune femme « coachée » par un imam saoudien trouvé sur les réseaux sociaux, brandissant un verset comme une barrière impossible à transgresser ! Tenant tête aux médecins à l’hôpital qui proposait une fin de vie raison- nable pour son frère : « Madame, depuis 3 jours, nos médecins se relayent pour votre frère, il ne s’alimente plus, son cerveau ne répond plus, cela ne sert plus à rien de vouloir le maintenir en vie ! ». Violente et hargneuse, la jeune dame n’en démord pas. « Vous voulez vous substituer à Dieu, c’est un sacrilège !….Mon frère est musulman ! Sachez que c’est Dieu qui donne la vie et c’est Dieu qui la reprend ». Cette intransigeance cachait un grand désarroi ! Devant les cadres de l’hôpital qui m’avaient appelé à l’aide : je suis intervenu de la façon la plus ferme possible. « Ce sont les médecins qui décident et non pas l’imam, fut-ce un des grands imams de l’Arabie Saoudite ! » Une semaine après le décès de son frère, cette personne s’est présentée à l’aumônerie, confuse, pour s’excuser. Nous constatons aussi des impatiences de la part des soignants (parfois athées), qui n’aiment pas voir des aumôniers musulmans entourer les malades et importer une façon de croire, parfois hélas noyée dans le fondamentalisme. Il existe, aussi, des patients, de culture musulmane, qui gardent une certaine distance avec la religion et qui ne pratiquent pas.
Il arrive aussi que certains cadres donnent libre cours à leurs convictions personnelles : « Vous croyez que vos prières sont efficaces ? ». Les moque- ries sont souvent dirigées à l’intention des femmes enturbannées, le foulard masquant une partie du visage. Ces égarements ont pratiquement disparus. Ils avaient cours les premières années, il y a 20 ou 30 ans de cela. Il faut, toutefois, respecter les hommes de l’Art…l’aumônier se fait alors pudique, discret. C’est aussi dans sa fonction.
« Le foulard est-il une prescription coranique ? » Les réponses sont libres et diverses dans des échanges constructifs : « Le Prophète l’avait prescrit à ses femmes pour les distinguer des autres ». Cet entretien est relaté dans l’ouvrage « Le soleil de Demain : Islam et laïcité au seuil des temps modernes », lors d’une conversation avec le chargé de la formation des imams à l’Institut Al-Ghazali, le Dr Djelloul Seddiki.
Droit du malade et charte de l’aumônerie
La charte de l’aumônerie hospitalière et la laïcité : Bernard Stasi avec Foudil Benabadji
Les textes de base sont une circulaire du 6 mai 1995, complétée ensuite par la Loi du 4 mars 2002 sur les droits du malade et par les dispositions de la circulaire du 2 février 2005 et du 5 novembre 2011 précisant le statut de l’aumônier.
La charte de l’aumônerie dans les hôpitaux publics, tout en s’inscrivant dans les textes sur les droits des malades, s’inspire également des travaux de la commission Stasi sur la laïcité. L’aumônerie hospitalière est considérée « comme une servitude parmi d’autres, à la charge des services publics, justifiée par la liberté religieuse (…) droit et obligation pour les services publics d’organiser des services d’aumônerie». Tout en étant tenu par les règles de l’établissement de santé, le patient hospitalisé doit pouvoir suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, etc.). La circulaire du 15/03/2017 du Ministère de la Fonction Publique accentue la place que doit occuper la laïcité dans la fonction publique ainsi que les actions de formation et d’information concernant sa nature et sa pratique. Quant à l’aumônier il est un agent public quel que soit son mode d’exercice et sa quotité de travail dans l’établissement. Il s’engage à respecter le secret médical.
Conclusion
A chacune de ces étapes en tant qu’aumônier, on se sent engagé et respon- sable. On s’implique beaucoup dans cette fonction. On peut, aussi, être la cible fanatique d’adeptes d’un islam moyenâgeux et rétrograde. C’est un apostolat, un sacerdoce ; notre rôle est utile… « Je peux continuer à aider autrui !». C’est l’objectif premier qu’il faut toujours avoir en tête dans notre société dangereusement perturbée, avec en plus, comme nous l’avons abondamment souligné, le souci constant de répandre et expliquer la pratique de la laïcité par l’action dans les écoles, les Lycées, les Collèges et en particulier dans les aumôneries musulmanes.
Dans cette aumônerie savoyarde, notre horizon est de construire un monde d’amour auprès des gens qui ont besoin d’une aide, parce qu’ils sont fragiles et qu’ils ont besoin d’être soutenus. Notre action est liée à une certaine conception de la vie, une façon de concevoir ce monde. Finalement, nous ne sommes, peut-être, que l’instrument de la Providence. Peut-on échapper à son destin ? On se trouve sur cette trajectoire, comment l’expliquer autre- ment ? Dieu en se retirant ne nous a pas laissé les mains vides. Quelque chose de lui est passé en chacun de nous, qui ne demande qu’à être cultivé. Aujourd’hui, nous accompagnons ceux qui en ont besoin, nous transmettons un message d’espérance. Comme l’a écrit Simone Veil : « Venus de tous les continents, croyants et non croyants, nous appartenons tous à la même planète, à la communauté des hommes…»