Sauver les apparences et soigner sa sortie. Ce mercredi 15 juin, Martin Hirsch n’a plus que cela en tête. Son sort à la tête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est scellé depuis trois semaines. Au lendemain de la nomination du gouvernement Borne, le directeur général du premier groupement hospitalier français a remis son poste à la disposition de l’exécutif. Un crève-cœur. Mais il n’a pas le choix. En habitué des allées du pouvoir, le patron de l’AP-HP, 58 ans, sait ne plus avoir les moyens de la résistance.
D’ailleurs, on lui a déjà trouvé un successeur. Après avoir décliné le portefeuille de la Santé pour raison personnelle, Nicolas Revel, l’ex-directeur de cabinet du Premier ministre Jean Castex, voit dans le pilotage du mastodonte hospitalier un challenge à sa mesure. Ironie de l’histoire : c’est ce dernier, alors secrétaire général adjoint du président Hollande, qui, neuf ans plus tôt, avait proposé le poste à Hirsch. Après discussion, le passage de relais est programmé fin juin. Le temps pour l’Elysée d’écluser les législatives, et de réinstaller le gouvernement. Le temps pour le DG de préparer sa sortie.
C’était sans compter l’impondérable. Ce mercredi, Hirsch est alerté par un proche que le secret est éventé. La rumeur de son départ imminent commence à se répandre. Dans son bureau de l’avenue Victoria, dans le IVe arrondissement de Paris, l’orgueilleux patron de l’AP-HP enrage. Son éviction, il veut l’annoncer en personne, l’enrober à sa convenance, ne surtout pas laisser dire qu’on le vire comme un laquais. Au secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler joint par téléphone, Hirsch réclame de pouvoir accélérer la manœuvre. Faute de quoi la pression risque de devenir insoutenable. Soucieux de ménager la susceptibilité du haut fonctionnaire, Kohler donne son feu vert.
Vendredi, devant son directoire convoqué la veille en urgence, Martin Hirsch officialise son départ fin juin. Au même moment, tout le personnel de l’AP-HP reçoit par mail sa lettre testament, mélange de déclaration d’amour «passionné» et de reproches voilés. Hirsch l’écrit : s’il a «décidé» de partir, c’est parce qu’il a «pensé ne pas pouvoir réunir toutes les conditions»pour pouvoir respecter «l’engagement» pris devant ses troupes «le 15 mars 2020, à l’aube d’une crise considérable», celle du Covid-19. Soit, «bâtir un modèle hospitalier différent de ce qu’il a été avant». En clair : si Martin Hirsch s’efface, c’est par esprit de responsabilité.
Ligne brouillée avec l’Elysée
Qu’il est loin, le mois d’août 2021. Attablé à la terrasse d’un restaurant parisien, Martin Hirsch affichait alors une mine détendue. «Mon ambition c’est d’avoir la même longévité que Gabriel Pallez à la tête de l’AP-HP», disait-il, sourire aux lèvres, évoquant la figure mythique de son enfance, ce patron qui avait aidé sa mère atteinte de cancer à mener à bien son projet de créer une bibliothèque dans l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches. «Je ne sais pas si je tiendrais seize ans, comme lui, mais j’ai déjà tenu plus longtemps que tous ceux qui ont été entre lui et moi.» Ce codicille ajouté à mi-voix n’est pas sorti de nulle part. Entre le patron de l’AP-HP et l’Elysée, la ligne est brouillée depuis que les directeurs de crise de l’AP-HP ont par voie de presse mis en garde le gouvernement contre un inéluctable «tri des malades» faute de reconfinement à l’approche de la troisième vague.
A un an de la présidentielle, le chef de l’Etat avait très modérément apprécié cette violente attaque contre sa stratégie sanitaire. Même si Hirsch se défend d’en être l’instigateur, la loyauté de ce proche de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, est questionnée. Difficile toutefois pour l’exécutif de reprocher ouvertement au très médiatique patron de l’AP-HP de ne pas avoir muselé des médecins en première ligne de l’épidémie de Covid depuis dix-huit mois…
«Martin est malin, reconnaît un conseiller ministériel. Il sait jouer sur plusieurs tableaux à la fois pour tirer son épingle du jeu.» L’affaire n’est soldée qu’en apparence. Courant septembre, Jean Castex convie le patron de l’AP-HP à Matignon pour le sonder. «N’y aurait-il pas d’autres postes susceptibles de t’intéresser ? Par exemple la direction de l’Institut national du service public [la nouvelle ENA, ndlr] ?»l’interroge courtoisement le Premier ministre. «Je suis très bien là où je suis», lui rétorque Hirsch, tout en promettant d’y réfléchir.
Ras-le-bol interne
L’offensive de charme de Matignon ne doit rien au hasard. C’est que l’exécutif a désormais sous la main une relève possible pour l’AP-HP : Aurélien Rousseau, un proche de Nicolas Revel, revenu au Conseil d’Etat après avoir rendu en juillet son tablier de directeur de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France pour «raison personnelle». Hirsch n’est pas dupe. Mais au ton conciliant de Castex, le patron a compris que son remplacement, possiblement polémique, est loin d’être une priorité, alors même que le climat hospitalier se dégrade à grande vitesse et que la menace épidémique plane toujours. Avec un peu de chance, il lui suffit de jouer la montre.
C’était sans compter le ras-le-bol interne. Inquiets de la pénurie croissante de soignants qui les contraint à fermer des lits d’hospitalisation, excédés par le retour en force d’une bureaucratie tatillonne et l’apparente indifférence du DG pour leurs difficultés, les praticiens de l’AP-HP font éclater leur ressentiment. Le 9 décembre, dans une lettre ouverte à Macron publiée dans le Monde, ils avertissent que «l’état moral, organisationnel et budgétaire de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris est au plus bas» et que d’attractive, l’institution est devenue «répulsive». Une situation qu’ils imputent directement aux réformes conduites par Martin Hirsch. Qu’il s’agisse du redécoupage de l’AP-HP en départements hospitalo-universitaire, «des mastodontes ingouvernables» à l’origine de «dysfonctionnements», ou de la réforme du temps de travail des soignants qui, écrivent-ils, a eu pour conséquence de «raccourcir les phases de transmission entre les équipes, de perdre le sentiment d’appartenance à un service et de dégrader les conditions de travail».
Quand, le 5 janvier, leurs représentants sont reçus par le directeur général, le brûlot a recueilli 2 750 signatures, près du quart des praticiens de l’AP-HP… Pour Hirsch, cette fronde ouverte sonne comme un coup de grâce. Lors de cette réunion «très tendue» aux dires d’un participant, il le dit en termes sibyllins aux médecins venus lui réclamer une «grande réforme» : «Si une grande réforme doit se faire, ce n’est pas moi qui la ferai.»
«Pathologiquement narcissique»
De fait, en coulisses, les manœuvres politiques ne tardent pas à reprendre. En février, le secrétaire général adjoint de l’Elysée, Pierre-André Imbert, signifie à Aurélien Rousseau que le moment est venu de faire une note sur l’AP-HP à Macron et de se poser en successeur. Ce dernier hésite. L’idée de planter un couteau dans le dos de Martin Hirsch, avec qui il a partagé des heures angoissantes à recenser les lits de réanimation durant la première vague Covid, ne lui plaît pas. Surtout, la séquence n’est pas si bonne : «Difficile de faire sauter un directeur à la suite de protestations de ce type, car pour le successeur, c’est l’enfer», confie un conseiller de l’exécutif. Matignon, qui prépare la séquence post-présidentielle, maintient sa pression. De nouveau invité par l’exécutif à dire clairement comment il voit la suite, Hirsch élude. «Je ne sais pas si j’aurai une autre proposition à te faire», l’avertit Castex.
Début mai, alors que le chef de l’Etat réélu cogite sur le casting gouvernemental, Hirsch tente un dernier coup de poker. Dans une note à l’exécutif, communiquée à la presse, il appelle de ses vœux une «refondation de l’hôpital» et du «cadre issu de la réforme Debré de 1958». L’ancien haut commissaire aux solidarités actives de Nicolas Sarkozy espère-t-il que l’orientation clairement libérale de ses propositions persuade Macron de le maintenir à son poste ? Qu’il lui propose le portefeuille de la Santé ? Même Matignon en perd son latin : «Cela fait longtemps que j’ai renoncé à comprendre les intentions souvent à deux bandes de Hirsch»,commente un conseiller du Premier ministre. La réaction ulcérée des médecins de l’AP-HP à la lecture d’une note qui pointe en creux leur lourde responsabilité dans les maux du groupement hospitalier acte le divorce. «Hirsch est pathologiquement narcissique, incapable de se remettre en cause, cingle l’un d’eux. Sa propension à reporter sur d’autres la responsabilité de ses échecs est sidérante.» Vilipendé par une partie de ses troupes, et dans le collimateur de l’Elysée, Hirsch jette l’éponge quelques jours plus tard.
Vendredi, pourtant, l’annonce de son départ est accueillie sans joie. C’est que, si les rapports avec leur DG sont épidermiques, les praticiens hospitaliers savent que le malaise dépasse de beaucoup sa personne. «La vérité, c’est que les règles financières qu’on impose à l’hôpital sont intenables»,explique un praticien, très au fait des comptes du groupement hospitalier. «Ce qu’on reproche vraiment à Hirsch, c’est de ne pas l’avoir dit haut et fort, alors qu’il a l’envergure politique pour le faire. D’avoir même soutenu le contraire puisqu’il a toujours prétendu que nos difficultés ne venaient pas de la tarification à l’activité mais d’une mauvaise organisation. On voit le résultat. Aujourd’hui la situation financière de l’AP-HP est si catastrophique que, quel que soit le futur DG, on ne voit pas bien comment on va pouvoir faire face.»