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Situation en Algérie le 27 février 2019
Le peuple algérien démontre son refus d’une énième forfaiture. Il rejette en bloc le coup de force et l’humiliation de trop que veut imposer le régime à toute la nation, à travers le « cinquième mandat » – un symbole d’un système illégitime et corrompu.
Les centaines de milliers de personnes qui manifestent à travers tout le pays ont majoritairement entre 20 et 30 ans, l’âge de la majorité et d’internet. Et ce n’est pas « le mur de la peur » qu’ils ont décidé de briser mais le Pacte du silence. Et si ce n’est pas (encore ?) une révolution, c’est une libération.
Aujourd’hui Abdelaziz Bouteflika est devenu à son tour otage du Cercle qu’il a contribué à forger. Sans voix pour se défendre, sans jambes pour se sauver, il est devenu le rideau derrière lequel se cache El Djemaa qui feint de l’honorer comme le messager d’un dieu païen alors qu’elle le déshonore.
C’est le prix à payer pour que le Système impitoyable dure. Durer est aujourd’hui la seule ambition de cette tyrannie d’hommes invisibles. Gagner du temps parce que le temps c’est de l’argent et parce que devant n’importe quel tribunal, ils seraient condamnés pour infamie… C’est sans doute ce qu’il faut comprendre de ce qu’ils appellent “la mission” de Bouteflika en tentant de l’imposer à la nation pour un “cinquième mandat”. Le message est clair : en Algérie il n’y a plus d’Etat au sens d’intérêt général, de service public, d’arbitrage. L’Etat est moribond à l’image de A. Bouteflika.
Cette Djemaa a une histoire, née dans la guerre de libération nationale, la raconter reviendrait à raconter l’histoire secrète du pouvoir en Algérie.
Mais on peut dire que si la structure est la même, sa composante humaine, son insertion dans le monde, son rapport à la société algérienne, son rapport à l’argent public, son rapport à la violence d’état, ses intérêts ont changé en même temps que changeait le monde et donc l’Algérie. Entre une djemaa qui prétendait inventer le socialisme d’état et une djemaa qui s’inscrit dans le marché mondial où tout est marchandise, les objectifs, les alliances nationales et internationales, la corruption, le rapport à la société, au salariat, aux démunis, aux damnés, à l’argent public et privé ne sont plus les mêmes. Seuls demeurent à l’identique les instruments de pouvoir : la force armée, l’argent du pétrole, la propagande et le mensonge, la justice. Trop d’argent, trop d’armes, trop de sang sur les mains, trop de viols de la légalité même formelle ces 20 dernières années, depuis l’annulation des élections en 1992 jusqu’au « cadenassage » des portes de l’Assemblée Nationale, image incroyable au coeur du pouvoir formel, pour chasser un président de l’Assemblée Nationale et Populaire et le remplacer par un autre qui sera invité, comme si de rien n’était, aux cérémonies célébrant le 1er novembre 54 aux côtés de toutes les institutions de l’Etat, militaires et civiles – ont transformé la Djemaa originelle en une coalition au service d’intérêts privés et particuliers qui utilise l’ensemble de l’appareil d’état contre l’intérêt général. Administration, justice, banque, entreprises publiques, instances financières, marchés publics, médias publics et surtout privés (financés sur l’argent public déguisé en argent privé) et enfin l’appareil roi, l’appareil militaro-policier, son bras armé sans lequel un tel régime serait inimaginable.
La majorité silencieuse en Algérie, à ne pas confondre avec passive, sait tout cela, elle en a la science. Une science qui s’apprend, qui se construit dans ce quotidien qui nous dénie matin et soir, jour et nuit, la construction d’une citoyenneté dans une violence physique et symbolique inépuisable et épuisante. En Algérie, tout se sait mais rien ne se dit. Aujourd’hui, les algériennes et les algériens qui manifestent par dizaines de milliers à travers tout le pays ont décidé, non pas de « briser les murs de la peur », mais de rompre le Pacte du silence. Pacte du silence, cette espèce de corruption passive où l’art de survivre en Algérie est devenu un art de naviguer et de se taire à condition de prélever sa part de la rente pétrolière, du colossal à l’infime. Et c’est là que ces manifestations sont inédites et historiques, incomparables avec toutes les autres, et si ce n’est pas la révolution, il s’agit bien d’une libération collective et massive de ce fardeau invisible.
En s’arrogeant le droit de présenter une marionnette sanglée sur une chaise roulante pour nous représenter d’abord à nos yeux qui tous les matins se regardent dans la glace, ensuite aux yeux du monde, la Djemaa des invisibles s’est donnée un droit tabou : celui d’offenser un peuple et sa patrie. Une insulte à son passé, son présent et son avenir. Aucun peuple au monde ne peut accepter qu’on élise à sa place un président qui ne parle pas. Il y a quelque chose ici qui relève de l’honneur.
Les manifestations sont à la mesure de l’offense. Elles inaugurent la fin d’un Pacte avec le Système, un face à face inédit, sans rideau d’avec la réalité du pouvoir, face au Système, “rejeté globalement et dans le détail”. Elles revendiquent un nouveau contrat politique entre gouvernés et gouvernants. Un contrat qui reste à écrire et à signer. Le chemin sera dur et long.
Ni casse, ni violences, ni agressions. La société algérienne a donné l’une des plus belles leçons de mobilisation et de militantisme. C’est avec une admiration et une immense fierté que nous avons observé les marches populaires pour exiger le départ du système.
Les démonstrations populaires ont suscité l’espoir que le régime a longuement voulu étouffer. Cet espoir nous rassemble toutes et tous, et nous interpelle quant à notre devoir de citoyens à soutenir nos compatriotes.
Nous ne voulons pas de ce système qui pousse à l’exil, qui dilapide les richesses, qui gère par la corruption et les passe-droits, qui empêche le développement, qui creuse les inégalités, qui écarte les compétences, qui nie les aspirations des Algériennes et des Algériens et, plus que tout, représente un danger pour l’avenir du pays et sa jeunesse.
Non au cinquième mandat, non au système prédateur, non à l’illégitimité.
Oui au changement radical, oui à un Etat de droit, oui à la démocratie, oui à une justice indépendante.