« Charte des valeurs »: le projet de texte préparé par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) bloque sur la liberté de conscience. Trois des principales associations islamiques de France viennent de démontrer qu’elles n’ont pas leur place sur notre sol. En refusant de reconnaître la plus fondamentale de toutes les libertés garanties par la constitution, elles s’affirment comme des ennemies de la France.
Plus encore : par cette opposition à l’un des droits les plus absolus qui soient, elles se proclament ennemies de toute dignité humaine, où que ce soit. Ne pas les interdire, ne pas les combattre, c’est cautionner le totalitarisme théocratique et son cortège d’horreurs.
De quoi s’agit-il concrètement ? Comme l’explique Mohamed Sifaoui dans son excellent article pour le JDD, lors des travaux visant à élaborer un projet de « charte des valeurs » à soumettre au gouvernement, trois associations ont notamment refusé de valider la condamnation des idéologies hostiles à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Et il semble bien que, comme il y a vingt ans, l’un des points clefs soit la reconnaissance du droit à l’apostasie.
Le droit de changer de croyance
« Musulmans de France » (MF, l’ex-UOIF, très proche des Frères Musulmans), Foi et Pratique (le Tabligh), et le Milli Görüs (mouvement turc à la fois rival et complice des réseaux du néo-sultan islamiste Erdogan), tous trois soutenus sans surprise par L.E.S.Musulmans de Marwan Muhammad, confirment ainsi qu’ils voudraient refuser l’exercice de la liberté de conscience à nos concitoyens musulmans – et ne nous leurrons pas, à toute l’humanité s’ils en avaient le pouvoir.
Contrairement à ce que répètent à l’envie ceux qui édulcorent et trahissent la laïcité, l’enjeu n’est pas seulement le « droit de croire ou de ne pas croire », mais le droit de changer de croyance. Le droit non de pratiquer la religion de ses parents, mais de choisir sa religion – ou de décider de n’en avoir aucune – et le droit de changer d’avis, d’hésiter, de douter, de ne rendre compte à personne de son rapport intime avec le Divin et avec les croyances au sujet du Divin. L’enjeu, c’est que contrairement à ce que prétendent ceux qui assimilent la critique d’une religion à du racisme dans le but évident d’interdire cette critique, la religion demeure un choix, libre et responsable.
MF (et plus généralement les Frères Musulmans), le Tabligh et le Millî Görüs promeuvent des idéologies qui ne sont pas seulement contraire aux principes de la République, aux fondements de la France et aux valeurs de notre civilisation, mais à toute forme de civilisation digne de ce nom, ici ou ailleurs. Ce ne sont que des têtes différentes de cette hydre qu’est l’islam théocratique : tout compromis avec elles est une compromission avec l’abomination totalitaire.
Dans la quasi-totalité du monde islamique, l’apostasie est punie
Bien sûr, le mal est beaucoup plus profond que ces trois mouvements et leurs soutiens. Aussi, si les récentes déclarations de la Grande Mosquée de Paris permettent d’espérer, il convient de garder à l’esprit que ses motivations sont multiples, et de rester extrêmement vigilants.
Dans la quasi-totalité des pays musulmans, l’apostasie est punie par la loi : prison, perte totale ou partielle des droits civiques, confiscation des biens, annulation des mariages, et dans 10 pays au moins le code pénal prévoit même la peine de mort (Afghanistan, Arabie Saoudite, Brunei, Émirats Arabes Unis, Iran, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Qatar, Yémen), sans compter ceux qui parviennent au même résultat en assimilant l’apostasie à un blasphème et punissent de mort le blasphème (on pense notamment au Pakistan).
On remarquera, et c’est fondamental, que l’islam est aujourd’hui la seule religion au monde au nom de laquelle des états criminalisent ainsi l’apostasie. La seule. Et ce refus acharné de reconnaître la dignité humaine n’est pas marginal : au sein du « monde musulman », il est la généralité, la norme.
Ainsi, l’actuel Grand Imam d’Al-Azhar (qui ne représente évidemment pas l’islam dans son ensemble, mais que dont nul ne peut prétendre qu’il n’aurait « rien à voir avec l’islam ») rappelait en 2016 que les quatre grandes écoles juridiques de l’islam sunnite sont unanimes pour prévoir la condamnation à mort des apostats. Et il refusait de se désolidariser de cette unanimité, esquivant depuis les questions à ce sujet en prétendant qu’elles seraient sans intérêt.
Si en France certains courants de l’islam trouvent la force de s’arracher à ce poids terrible et de reconnaître enfin, sans la moindre ambiguïté, le droit à l’apostasie, tant mieux ! Ce sera une chance pour l’islam de devenir une véritable religion, et non un obscurantisme étouffant. Une chance pour l’islam de ne plus servir un dieu-tyran pervers, mais un dieu respectueux de la dignité et de la liberté des êtres. Une chance pour l’islam de comprendre que la foi n’est pas affaire de croyance mais de confiance, et que la confiance – comme le respect ou l’amour – ne se commande pas, et ne peut exister que si elle est libre, librement donnée.
Être lucide sur notre erreur passée, entamer un rapport de force difficile
Aujourd’hui plus que jamais, toutes les religions doivent s’emparer de ce sujet. Si elles ne le font pas, elles se détournent de leur objet véritable : le refus de la liberté de conscience et de pensée, tout comme le refus de la critique éthique et rationnelle, condamne une religion à n’être plus qu’une idolâtrie d’elle-même. Si elles ne le font pas, elles se rendent complices des bourreaux de ceux qui, nés dans une famille d’une autre confession, entendent pourtant l’appel de leurs dieux – et par là, elles trahissent les dieux qu’elles prétendent servir. Je pense bien sûr en premier lieu au Pape François, fier de se présenter comme l’ami d’un Grand Imam qui cautionne la mise à mort des musulmans voulant se tourner vers le Christ : on est bien au-delà du simple paradoxe ou de la naïveté.
Le gouvernement français peut aujourd’hui réparer la grave erreur de jadis, lorsqu’en 1999/2000 on accepta de supprimer de la charte du futur CFCM l’obligation de reconnaître le droit de changer de religion – déjà cette question fondamentale de l’apostasie. Les mises en garde de Leïla Babès et Michel Renard se sont avérées depuis d’une terrible lucidité, et d’une douloureuse exactitude. À l’époque, la complaisance de l’État était une erreur. Majeure et aux funestes conséquences, mais sans doute de bonne foi. La répéter aujourd’hui serait en revanche une faute : stratégique, politique, morale.
Interdire sur notre sol MF, le Tabligh, le Millî Görüs et tous les courants de l’islam qui refuseront de défendre le droit à l’apostasie – ainsi que leurs multiples soutiens et affidés – exigera un véritable rapport de force. Il y aura contre nous des campagnes de dénigrement bien pires que tout ce qui a suivi la mort de Samuel Paty et notre réaffirmation de la liberté d’expression. On nous accusera « d’islamophobie » et de « racisme anti-musulmans », alors que justement l’appartenance religieuse n’est pas un caractère hérité mais un choix, et que nous ne ferons rien d’autre que proclamer que les musulmans, comme tous les citoyens, comme tous les êtres humains, ont droit à la liberté de conscience. Certains pays diffuseront la haine de la France, le risque d’attentats jihadistes sera accru et beaucoup de nos « alliés » resteront spectateurs, paralysés par le soi-disant progressisme, qu’on l’appelle « woke », décolonial, politiquement correct, peu importe. Ce sera difficile, par moments épuisant, assurément dangereux, mais la liberté est à ce prix. Et ne rien faire serait, à moyen et long terme, infiniment plus dangereux encore.
« Il n’y a pas de bonheur sans liberté, il n’y a pas de liberté sans courage » disait Périclès. Face à un totalitarisme aux ambitions mondiales, le choix est simple : se soumettre ou combattre.