Paris renforce pour la deuxième fois depuis le début de l’année par sa diplomatie de l’armement un concurrent direct d’Ankara en Méditerranée Orientale. En janvier déjà, Florence Parly, la ministre des Armées, avait annoncé la cession de 18 chasseurs de chez Dassault à la Grèce. L’opération avait alors un triple intérêt : vendre à un « client » de l’Union européenne, vendre pour la première fois à un membre de l’Otan et, déjà, gêner aux entournures le sultan d’Ankara.
Ce contrat passé avec Athènes n’était évidemment pas sans lien avec la guerre que s’étaient livrés les deux pays durant l’été précédent avec les explorations gazières contestées de la Turquie dans des eaux disputées par la Grèce et Chypre. À l’époque, l’Égypte et la Grèce avaient également signé un accord délimitant leurs frontières maritimes, suscitant la colère d’Ankara.
ERDOGAN ET LE « PUTSCHISTE » SISSI
Dans les mois qui ont suivi, les relations entre Français et Turcs se sont également détériorées. À la suite du meurtre de Samuel Paty et à la position ferme de l’Élysée sur le droit à caricaturer le fait religieux, Erdogan appelait les musulmans du monde entier à boycotter tout ce qui pouvait être français, invitant au passage Emmanuel Macron à se rendre en hôpital psychiatrique. Depuis lors, l’autocrate turc a mis un peu d’eau dans son vinaigre. Joe Biden est arrivé à la Maison Blanche. L’UE a de nouveau refourgué quelques milliards d’euros à la Turquie pour garder les migrants sur son territoire et la crise du coronavirus a fini de fragiliser le « raïs » dans ses affaires intérieures.
Aussi ce nouveau contrat entre la France et l’Égypte – après celui de février 2015 qui avait abouti à la vente de 24 Rafale – ne devrait pas pousser Recep Tayyip Erdogan à trop de provocations. Le président turc qui en voulait depuis plus de sept ans à Abdel Fattah Al Sissi d’avoir fait tomber le régime des Frères musulmans qu’Ankara soutenait, a cessé d’affubler du nom de « putschiste » son homologue égyptien. Depuis quelques mois, le ton du leader turc s’est même considérablement adouci.
À tel point que début mars, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a entrouvert la porte de la Méditerranée aux Égyptiens : « En fonction de l’évolution de nos relations, nous pourrions négocier au sujet de nos frontières maritimes avec l’Égypte et signer un accord à l’avenir », a-t-il ainsi déclaré lors d’une conférence de presse. On est loin des passes d’armes d’août dernier en Libye lorsque l’Égypte, soutenant l’armée rebelle du général Haftar menaçait d’intervenir contre l’armée du Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU et soutenu par la Turquie.
VÉRITÉS GÊNANTES DE LA FRANCE EN ÉGYPTE
Utiliser le pays des pharaons pour contrecarrer la turbulente Turquie est un pari qui pour l’instant semble fonctionner. Le seul risque que prend Emmanuel Macron en s’acoquinant de nouveau avec le président égyptien est de recevoir les foudres des organisations des droits de l’Homme.
Ces dernières années, Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ou encore Médecins du monde ont tenté de mettre en lumière certaines vérités gênantes pour la France en Égypte, notamment au sujet de la vente de technologies de surveillance utilisées à des fins d’espionnage sur l’Internet égyptien. Ou encore concernant la livraison de blindés made in France – Renault Truck Defense – ceux-là mêmes qui en 2013 avaient été déployés dans les rues du Caire pour réprimer les manifestations hostiles au nouveau régime de Sissi.
L’histoire ne dit pas encore si la série Al Ikhtiyar, dont le générique dit s’appuyer sur des faits réels, mettra en scène cette période pour le moins sombre de l’Égypte contemporaine. Si tel était le cas, à l’heure du ftour, le peuple égyptien aurait droit au génie industriel français sur ses écrans.