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Publié le 21 mai 2017 par Dominique MOREL
Dans une tribune, le journaliste égyptien Saïd Shuayb appelle à une mobilisation pour « réanimer et promouvoir la critique humaniste » au sein de l’islam.
« Je suis musulman et je déteste les chrétiens. »
Oui, avoir les chrétiens en abomination est un devoir religieux islamique, les mépriser est une nécessité. Ce ne sont pas véritablement des êtres humains. Soit on les pousse à émigrer en dehors des pays musulmans, soit on les tue. Et si on est un musulman noble, on les laisse vivre, mais humiliés, outragés, et on leur fait payer la jiziya, le tribut prévu dans le Coran pour les minorités non musulmanes, pour les rabaisser.
Ceci est clairement une partie importante de la culture religieuse islamique. Il ne faut pas tomber dans le piège de croire que ce qui est arrivé dans la province d’Al-Miniya, à 240 km au sud du Caire [en mai 2016 dans un village, une femme copte de 70 ans avait été agressée et humiliée par des islamistes], et ce qui est arrivé avant et ce qu’arrivera encore dans d’autres lieux est uniquement causé par des salafistes puritains radicaux ou des wahhabites saoudiens.
Le fruit d’une culture raciste et inhumaine
C’est une conséquence logique de la façon dont on m’a éduqué en tant que musulman et de ce qui m’a nourri tout au long de ma vie. A la mosquée, à l’école, dans les programmes religieux, dans les médias officiels et indépendants, on nous a bien appris que, conformément à ce que nous a ordonné Dieu, le Très-Haut, pour aller au paradis,
il faut commencer par détester, outrager, porter préjudice, et tuer si nécessaire.
Le gouverneur d’Al-Miniya, le préfet, le président de la République et les autres responsables des institutions étatiques sont, tous, le fruit de cette culture raciste et inhumaine.
C’est ce que nomme, mon cher ami, le chercheur Magdi Khalil, « l’Etat islamique profond » – en référence au terme « Etat profond », apparu après la révolution de 2011 pour désigner le système et les personnes qui dirigent le pays sans apparaître sur la scène politique.
Ainsi, le gouverneur d’Al-Miniya, qui avait été bouleversé par la découverte d’un œuf de poule sur lequel était inscrit le nom de Dieu, n’a pas été troublé par le feu mis à la maison d’une femme chrétienne, à son expulsion et aux tortures qu’on lui a infligées.
Cette culture islamique traditionnelle n’est pas seulement dirigée contre les chrétiens, mais aussi contre toutes les minorités. On se rappelle ainsi comment, en 2004, des bahaïs ont été expulsés de chez eux et leurs maisons brûlées [le bahaïsme est une religion monothéiste qui proclame l’unité spirituelle de l’humanité].
En effet, cette culture sauvage utilise sa puissance pour faire la guerre à toute personne de religion différente. Il faut ainsi se souvenir, par exemple, du cheikh chiite Hassan Shahatah. En 2013, on lui a arraché ses vêtements et on l’a lynché. Ceux qui se trouvaient avec lui dans le village de Zawiyyat Abu Mossalam, dans le gouvernorat de Guizeh, il y a quelques années, ont été aussi torturés jusqu’à ce que mort s’en suive.
Ecole sanglante
Cette culture terroriste, j’insiste, n’est pas née du wahhabisme saoudien. Il est vrai que le wahhabisme l’a diffusée, mais Muhammad Ben Abd Al-Wahhab, fondateur de cette école sanglante, n’a pas inventé ce radicalisme. Il en va de même pour l’Etat islamique, pour les talibans et bien d’autres encore parmi les organisations terroristes.
Tous se fondent sur :
– Les versets violents du Coran incitant à monter les musulmans contre les « associateurs » (polythéistes) les « Nazaréens » (chrétiens), les juifs et les autres. Et il est demandé au musulman, pour complaire à Dieu, le Très-Haut, et pour entrer au paradis, de devenir terroriste, et de haïr tout ce qui est humain. Ces versets constituent l’échine de l’école sunnite dans toutes ses formes et doctrines. Cette doctrine est enseignée à Al-Azhar, la mosquée et l’institut sunnite officiel, dans les écoles publiques, dans les mosquées, dans les médias et partout ailleurs.
– Les hadiths [parole de Mahomet non retenue dans le Coran, reconnue comme authentique et qui fait force de loi pour les croyants] appelant clairement à tuer et à terroriser l’ennemi, y compris les musulmans non sunnites.
– L’histoire du califat de Quraysh (que je ne considère pas islamique, comme le califat ottoman et d’autres encore) était celle de l’occupation d’autres peuples et des razzias innombrables. Elle ressemble, bien sûr, à celle de tous les empires antérieurs : soumission, dictature, despotisme, discrimination, crimes. Il n’a jamais existé une histoire idéale. Même l’histoire d’« Al-Andalus » était plutôt celle d’une occupation colonialiste.
Le musulman sunnite ordinaire est porteur de tous ces fardeaux inhumains. Les puissances politiques et religieuses tout au long de l’histoire du califat de Quraysh, et des suivants pendant le règne ottoman, ont combattu toute tentative visant à promouvoir l’ijtihad qui renouvellerait l’interprétation du texte religieux. Ils ont, en effet, incité à tuer et à laminer les rénovateurs les plus importants tels que les Mutazilites, Ibn Rushd (Averroès), Mahmoud Muhammad Taha, Nasr Hamid Abu Zayd, Sayyid Al-Qemni, Farag Fuda, Islam Al-Bihayri et d’autres encore.
Des versets qui ne s’appliquent plus à notre temps
Ces personnes illustres entendaient, par exemple, expliquer que les versets qui incitent à la violence étaient liés aux circonstances dans lesquelles ils avaient été révélés.
Le Prophète avait émigré vers Médine et s’était engagé dans un combat politique afin de promouvoir et d’obliger à la da’awa (prosélytisme). Cela signifie que ces versets ne s’appliquent pas à notre temps, mais qu’ils étaient liés à des circonstances historiques. Un autre ijtihad consiste à dire que le fondement, ce sont les versets mecquois, mais que les versets qui ont été révélés à Médine forment une partie secondaire, et que rien ne permet à ce qui est secondaire de l’emporter sur ce qui est fondamental. Or ce qui est fondamental en islam c’est : « Pas de contrainte en religion » et « A vous, votre religion, à moi, la mienne ». Ce qui s’oppose à ces versets fondamentaux a été déterminé par les circonstances historiques et ne s’applique donc pas aujourd’hui.
Dans les autres religions abrahamiques, des interprétations violentes du texte sacré ont dominé à un moment. Puis, tout particulièrement en Occident, les sociétés sont parvenues à promouvoir l’interprétation ou la critique en un sens humaniste.
Nous devons proclamer et reconnaître, en tant que musulmans sunnites, que nous sommes devant une catastrophe considérable qui nous touche autant que les autres. Les musulmans sont pauvres d’esprit, leur tête a été emplie par l’idée selon laquelle on ne peut plaire à Dieu et gagner son paradis, où on déjeune avec le Prophète et gagner les houris, qu’en devenant un bloc de ressentiment et de haine : un terroriste qui se réjouit et éprouve de l’orgueil à déshabiller une femme copte, parce qu’elle est copte, qui sourit quand il met le feu et qu’il la tue, car il se considère comme la main de Dieu contre les ennemis de Dieu. Ainsi, le chemin vers le paradis est rempli du sang des « mécréants ».
Nous devons nous mobiliser pour réanimer et promouvoir la critique humaniste au sein de notre magnifique religion. Cette critique qui interdit catégoriquement de mettre à nu la femme copte de Miniya, d’incendier les maisons de bahaïs, de bannir des athées, et de brûler vifs des otages. Cette critique se réconcilie avec la vie, et ne devient jamais un prétexte pour la détruire. Et tous ceux qui sont contre cela, qu’ils soient du côté des puissances religieuses ou politiques, sont des ennemis de l’humanité.
Saïd Shuayb, journaliste et chercheur égyptien, a notamment été rédacteur en chef d’Al-Yaom Al-Sabea de 2006 à 2010. Aujourd’hui, il habite au Canada et publie notamment des articles sur le terrorisme pour le think tank américain Gateston.