L’idée : renouer, le temps d’un dîner, avec l’ambiance familiale dont ils sont privés depuis plus d’une année en raison, notamment, de la fermeture des frontières algériennes pour cause de COVID-19 .
« Lorsque nous avons lancé cette initiative fin avril, nous étions loin de penser qu’elle allait avoir un tel succès. Nous n’arrivons plus à répondre aux demandes tellement elles sont importantes », témoigne Moussa Sissoko, également doctorant en biologie des maladies infectieuses à Alger.
L’idée de « F’tour en famille » : renouer, le temps d’un dîner, avec l’ambiance familiale dont ils sont privés depuis plus d’une année en raison, notamment, de la fermeture des frontières (AFP)
Lorsqu’elle a eu écho de cette opération, Liza Ruth, étudiante congolaise en master 2 en biologie/immunologie à Alger, a d’abord été réticente. En presque cinq années passées en Algérie, elle n’a pas noué beaucoup de relations avec les Algériens, à l’image de la plupart des étudiants subsahariens.
« J’avais peur des jugements, des regards, d’assister à des comportements ou des remarques racistes, car je ne fréquente pas les Algériens, et à l’extérieur, j’ai déjà été confrontée à des propos ou des gestes racistes », raconte-t-elle à Middle East Eye .
« Mais j’ai trouvé une famille extrêmement gentille et des repas savoureux. Les discussions que nous avons eues m’ont permis d’avoir des clés pour la compréhension de cette société », admet l’étudiante de 24 ans.
Ces préjugés, Moussa Sissoko dit justement vouloir les combattre.
« Cela fait dix ans que je vis en Algérie. J’ai eu la chance d’avoir été adopté par deux familles algériennes, ce qui m’a permis de faire une immersion dans cette société et de connaître sa véritable nature chaleureuse, généreuse et bienveillante », témoigne-t-il à MEE .
« Beaucoup d’étudiants viennent et repartent avec leurs idées reçues et leurs appréhensions. Je souhaiterais que tout étudiant vive une expérience similaire à la mienne. Car en connaissant la société, le séjour des étudiants prendra une autre forme. »
Peut-être qu’en entendant Liza dire qu’elle se sent « un peu plus à l’aise dans cette société après cette expérience », Moussa pourra-t-il se réjouir d’avoir atteint son objectif.
« Comme ses propres enfants »
Mahamat al-Amine, lui, affirme « toujours s’être senti à l’aise en Algérie ». Ce Camerounais de 22 ans, étudiant en sciences politiques et relations internationales, qui maîtrise l’arabe, est arrivé à Alger en novembre 2019, soit quelques mois avant le confinement.
L’an dernier, Mahmat avait passé le Ramadan dans un campus universitaire fortement vidé de ses étudiants. « Les restaurants universitaires étaient fermés. Des associations, des entreprises et des voisins nous apportaient chaque soir des repas », se souvient-il. En répondant à l’invitation d’une famille algérienne, il pensait ne plus avoir de surprise, car il connaissait déjà tous les plats !
« Les plats si nombreux et si variés étaient délicieux. J’ai eu une petite préférence pour l’ham lahlou [viande de mouton accompagnée de fruits secs]. Le père de famille est venu nous chercher. Il nous a traités comme ses propres enfants, et nous a même présenté ses enfants qui sont à l’étranger par Skype. La maman était d’une extrême gentillesse. Sincèrement, je ne pensais pas trouver autant d’hospitalité en Algérie ! »
En Algérie, les étudiants d’Afrique subsaharienne « coincés » dans les universités s’organisent
Le président de Cadenkoso affirme que les demandes de participation à ces repas ont explosé depuis la publication des premières vidéos sur la page Facebook de l’association.
Les familles ne sont pas les seules à inviter : bien d’autres organismes, à l’instar de l’association d’équithérapie al-Amel, dédiée aux traitements thérapeutiques des enfants autistes et trisomiques par l’activité équestre, participent aussi.
Son chargé de communication, Idir Abed, explique à MEE que l’association, qui pratique cette thérapie non conventionnelle depuis 2010, organise tout au long de l’année d’autres activités charitables.
« Nous organisons régulièrement des f’tour depuis le début du Ramadan, dans la forêt de Ben Aknoun, où siège notre association. Nous avons voulu convier ces étudiants subsahariens à rompre le jeûne avec nos adhérents et les familles des enfants que nous accompagnons. C’était également une occasion de passer des moments de convivialité à travers des balades à cheval, des visites de fermes et du siège de notre association, d’explications de nos activités thérapeutiques, tout ça dans le cadre agréable qu’offre le parc. »
« Les étudiants sont ravis. Vous ne pouvez pas imaginer ce que ça représente pour eux, qui n’ont pas vu leurs proches depuis plus d’une année, de se retrouver en famille », souligne le président de l’association des étudiants subsahariens en Algérie, qui seraient plus de 30 000 selon ses statistiques.
« Quand on vit seul, ça coupe l’appétit. On a même noté un recul dans les résultats universitaires, que nous avons expliqué en partie par cette solitude ! »
« Quand on vit seul, ça coupe l’appétit. Et on a même noté un recul dans les résultats universitaires »
– Moussa Sissoko, président de Cadenkoso
Selon lui, cette expérience était une occasion pour les étudiants de constater combien les familles algériennes étaient tolérantes, car aucune n’a exigé que l’invité soit de confession musulmane.
« Ils nous ont tout simplement dit : ‘’Nous invitons nos frères africains !’’ Il y a même des étudiants chrétiens qui, après cette expérience, ont été tentés de faire carême quelques jours ! », poursuit Moussa Sissoko.
L’initiative « F’tour en famille » a, selon les témoignages, permis de multiplier les invitations à dîner, de partager des week-ends, de discuter et de tisser des liens d’amitié.
« Mon amie et moi, qui avons participé à ce f’tour, avons décidé d’acheter des cadeaux à nos familles hôtes en guise de remerciement », confie Liza Ruth.
« Jusqu’à maintenant, en dehors des étudiants, je ne parlais pas aux Algériens. Et quand j’en croisais au foot par exemple, je me limitais à des salutations. Désormais, je m’arrête pour discuter avec eux », ajoute Mahmat al-Alamine.
Un repas et… des stages
Pour quelques étudiants chanceux, ces repas étaient également une occasion de mise en relation avec des professionnels.
« Un étudiant, invité par hasard dans une famille où le père est chef d’entreprise dans son domaine d’études, s’est vu offrir un stage », rapporte Moussa Sissoko.
Idir Abed affirme qu’une étudiante malienne, inspirée par l’expérience thérapeutique par le cheval, « entamera bientôt un stage chez eux dans l’objectif d’ouvrir une association similaire une fois retournée chez elle ».
Après le Ramadan, le président de Cadenkoso projette d’organiser une réception qui réunira les familles et étudiants ayant participé à cette initiative. « Ce sera l’occasion pour les étudiants subsahariens d’inviter à leur tour leurs familles hôtes et de leur présenter la culture et la gastronomie subsaharienne. »
Devant la réussite de cette première expérience, l’association envisage de la reconduire l’année prochaine.
« Des personnes d’autres wilayas [régions] nous contactent pour y participer. Au regard de la réussite de cette première expérience, nous pensons l’étendre à d’autres wilayas l’année prochaine ou même dès les prochains mois pour d’autres rencontres solidaires. »