Le CNI et la Charte des imams : un projet ambigu.
Il serait certes d’une grande utilité, et même d’une nécessité absolue, de donner un cadre au statut d’imam. Etre imam n’est pas un métier de tout repos. Les imams multiplient les missions : ils sont tour à tour prédicateurs, conseillers juridiques, psychologiques, ils s’occupent de la protection de l’enfance, et sont souvent mobilisables à toute heure. Sans statut, ils sont soumis à la bonne volonté des fidèles, et ne reçoivent qu’une rémunération dérisoire, ou pas de rémunération du tout, et souffrent d’un manque de reconnaissance.
Mohammed Bajrafil et Noureddine Belhout, directeur de la Faculté des Sciences Islamiques de Paris
Résultats : une cascade de démissions, dont la plus emblématique a sans doute été celle de Mohammad Bajrafil , et une véritable pénurie d’imams au point que les mosquées sont souvent amenées à passer des annonces sur les réseaux sociaux spécialisés pour trouver des imams ponctuels afin d’assurer les offices du vendredi.
Pourtant, le projet rédigé par le gouvernement ne traite pas de ces questions. Son objectif affiché est de contrôler les prêches, l’esprit « républicain » des prédicateurs, et le financement des établissements religieux, à travers un Conseil National des Imams , doté, ainsi qu’il fut décidé lors d’une réunion à l’Elysée le le 18 novembre 2020 d’une « Charte des imams» .
Cela pose trois questions majeures. La première est que le principe de laïcité devrait interdire aux autorités de se mêler du contenu du discours religieux La seconde est que l’endoctrinement tant redouté vers des démarches violents de certains jeunes désorientés ne passent pas par les mosquées et les imams, mais par les réseaux sociaux et internet qui, eux ne sont pas contrôlés.
Enfin, le projet de charte été élaboré en collaboration avec la Grande Mosquée de Paris , avant d’être soumise à la discussion du CFCM. Des structures qui n’ont qu’une représentativité limitée, et sont l’un des rouages de « l’islam consulaire » que le gouvernement affirme vouloir combattre. En revanche, à aucun moment il n’a été fait appel aux principaux intéressés : les imams eux-mêmes. Cette volonté d’imposer ce qui aurait dû être élaboré en commun a naturellement suscité l’opposition de la plupart des imams.
Comment le gouvernement français a-t-il pu imaginer obtenir un consensus sur un texte de cet acabit ? Où chaque principe énoncé présuppose que les mosquées sont les antichambres du terrorisme et les imams des prédicateurs de haine ? Diffusée par Mediapart , la dernière mouture du projet de charte est un festival de poncifs, d’a-priori, de sous-entendus vexatoires à l’égard des musulmans.
On y affirme, par exemple, que le « racisme d’Etat » n’existe pas en France. Les signataires ont l’interdiction d’utiliser, dans leur communication, l’expression « islamophobie d’Etat » ou « racisme d’Etat ». Nous renvoyons à ce sujet à l’excellent ouvrage de Olivier Le Cour Grandmaison et Omar Slaouti : “Racismes de France”, Editions Cahiers Libres – Découvertes.
Ces absurdes injonctions sont ça et là empaquetées de lapalissades, comme « L’ordre politique demeure séparé de l’ordre du religieux. »…« Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde » Depuis près de 40 ans que je suis et lis des prêches du vendredi, je n’ai jamais entendu un imam « importer un conflit d’une autre partie du monde » . Peut-être cela a-t-il été le cas à l’époque de « l’islam des caves », mais celui-ci a disparu… jusqu’à ce que « l’islamphobie d’Etat », comme un pompier pyromane, le fasse réapparaïtre…
Enfin, comme l’aurait dit Pierre Desproges, on a à la fois “les mains sales et la nausée” lorsque, au détour d’une page, on découvre une affirmation qu’on croirait empruntée aux heures sombres de notre histoire : « Nous rejetons fermement les campagnes diffamatoires prétendant que les musulmans de France seraient persécutés. […] L’attitude victimaire ne repousse pas la haine, elle contribue à la nourrir ». Nos frères juifs apprécieront la formule…
Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, a immédiatement réagi à travers une tribune co-signée par une douzaine d’imams, dont Mohamed Bajrafil , le recteur de la mosquée de Villeurbanne Azzedine Gaci, membre du Conseil des mosquées du Rhône, et Omar Dourmane, imam prédicateur à la mosquée de Brunoy (Essonne). On peut y lire notamment : « aux laïcs la gestion administrative du culte, aux religieux la question religieuse, à la société civile la question financière. Et à l’Etat le respect de la lettre et de l’esprit de la loi de 1905 […] Si l’idée d’avoir un conseil des imams est bonne, les voies et moyens suivis ne sont pas les bons. D’abord, parce que ce conseil s’appuie sur le CFCM, alors que tout le monde sait qu’il est une institution fragile. […] les fédérations du CFCM – labellisateur non labellisé –, appelées à former le conseil national des imams, sont dirigées par des laïcs et pas par des religieux, qui font davantage de la politique que de la religion. […] Leur demander de créer un conseil des imams en l’absence des principaux concernés, c’est comme demander à des juges de créer un ordre des avocats. Les présidents de fédérations ne connaissent souvent rien à la théologie ni au droit canon musulman. Ils vont siéger à côté d’imams désignés par eux-mêmes, des imams qui dépendent d’eux. Ils auront donc prééminence sur eux, alors que ces présidents de fédérations dépendent pour la plupart de pays étrangers. »
Selon Mediapart, la volonté des auteurs du texte n’était pas d’obtenir un consensus, mais au contraire de « faire une charte mauvaise pour s’assurer que certaines fédérations ne la signeraient pas […] Le but ? Faire le tri, exclure les fédérations de mosquées qui ne soutiendraient pas les initiatives gouvernementales. » La théorie se tient.
La Grande Mosquée de Paris se retire du projet
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le projet soit dans l’impasse. Il n’est pas surprenant non plus que ses initiateurs ne cherchent ni à analyser les causes de l’échec, ni à trouver les solutions adéquates, et préfèrent se réfugier dans le déni .
Par la bouche de son nouveau responsable de la communication, Mohammed Sifaoui , dont on connaît la bienveillance à l’égard des musulmans, qui signe un article dans le Journal du Dimanche, la Mosquée de Paris est la première à dégainer. Elle rejette la faute sur des islamistes qui, au sein du CFCM, saboteraient en coulisse un projet si parfait. Un article confirmé par un communiqué officiel de la GMP du 28 décembre 2020 par lequel son recteur annonce son retrait unilatéral du projet, précisant notamment que « Malheureusement, la composante islamiste au sein du CFCM, notamment celle liée à des régimes étrangers hostiles à la France, a insidieusement bloqué les négociations en remettant en cause presque systématiquement certains passages importants. »
On peut toutefois penser que ce retrait est autant motivé par le fait qu’il avait compris que la majorité des imams ne signeraient pas la charte, ce qui aurait constitué un véritable camouflet pour le nouveau recteur, que par les rivalités qui l’opposent à ses collègues du CFCM.
Depuis le début de sa mandature à la tête de la Grande Mosquée de Paris, le recteur Hafiz Chams-Eddine cherche à prendre le pas sur les autres candidats à la représentation des musulmans de France. Il joue à fond la carte du gouvernement français et de sa proximité avec Emmanuel Macron en approuvant systématiquement ses positions, même s’il attaqua, dans le passé, le journal Charlie Hebdo. D’autant que du côté de son bailleur de