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Conclu par Benoît Teste, secrétaire général de la FSU et dirigé et par Paul Devin, président de l’Institut de recherches de la FSU, l’ouvrage rassemble seize contributions sur La laïcité à l’école[1]. S’il est porté par la fédération syndicale unitaire, les auteurs ne sont tous pas adhérents à la FSU et la tonalité des textes diffère parfois sensiblement. Mais les auteurs partagent le souhait d’un « apaisement »[2]. Nous avons pris le parti d’interpréter ce souhait comme l’attente d’un « débat public » utile[3]. Nous tenterons donc une lecture et une discussion exempte de surenchère et de polémique sur des questions qui ne nous laissent pas en paix. Chacun des chapitres a été lu attentivement, mais tous ne sont pas signalés, compte tenu des limites de cette recension[4]. Nous avons écarté une lecture thématique, inévitablement surplombante, pour nous attacher aux textes eux-mêmes dans l’ordre de leur apparition. Une conclusion résumera nos questionnements.
LA LAÏCITÉ DANS UNE ÉCOLE DÉFAILLANTE
Le livre s’ouvre sur l’article de deux universitaires en sciences de l’éducation qui réfutent « une potentielle défaillance de l’école de la République » en matière de laïcité[5]. Dans les réponses apportées à ces « accusations », il n’est pas question des défaillances de la politique ministérielle. Françoise Lantheaume et Charlène Ménard soutiennent que les contestations religieuses par des élèves sont très souvent liées à une situation d’échec scolaire, à des difficultés familiales ainsi qu’à un besoin d’exprimer une fierté d’appartenance. On observera que dans toute réalité sociale, aucun phénomène, qu’il soit politique, idéologique ou économique, ne se manifeste à l’état pur. Y-a-t-il lieu, pour autant, de méconnaître la spécificité, l’ampleur et la gravité aujourd’hui des intimidations religieuses qui entravent le travail des élèves et de leurs professeurs ? Prenant l’exemple de l’autocensure d’enseignants qui évitent de traiter la théorie de l’évolution ou l’extermination des Juifs d’Europe, les autrices invoquent le « temps long » de l’éducation pour dédramatiser cette dramatique défaillance de l’école, au lieu de dénoncer le scandaleux manque de soutien institutionnel apporté aux professeurs quand leur enseignement est contesté. C’est sans doute la raison pour laquelle F. Lantheaume et C. Ménard n’exigent pas que le cadre scolaire soit protégé autant que possible du temps médiatique de l’immédiateté, pour permettre à l’école d’assurer sa mission d’enseignement qui s’exerce sur « le temps long »[6]. Au final, la laïcité scolaire vaudrait seulement comme « moyen » de mixité socio-culturelle à l’école[7].
ENJEUX LAÏQUES ET ENJEUX SOCIAUX
Le second texte tranche avec le précédent[8]. La laïcité est repérée par Jean-Paul Delahaye, inspecteur général honoraire et ancien administrateur de la Ligue de l’enseignement, comme un « principe juridique d’organisation de notre République qui garantit à tous les citoyens et citoyennes la liberté et l’égalité » de sorte qu’on attend de ce principe qu’il « protège le droit de croire ou de ne pas croire des individus ». Cela a pour corollaire « qu’il ne faut rien céder à ceux qui prétendent que les lois de leur dieu sont supérieures aux lois de la république ». Jean-Paul Delahaye ne biaise pas sur le contexte présent marqué par une « pression du religieux sur le politique » d’une telle force qu’elle peut concerner « tous les sujets, toutes les religions et tous les territoires », et qu’elle « doit être combattue sans faiblesse car elle pèse sur l’école publique et ses personnels ». Cependant, l’intérêt majeur de ce texte, selon nous, est qu’il insiste avec la même netteté sur la question sociale :
« Dans les zones en grande détresse sociale, les valeurs de la République apparaissent trop souvent aux habitants davantage comme des incantations que comme des réalités vécues ».
En l’absence d’égalité et de justice sociales, il n’y a « pas de crédibilité pour la république laïque ». Le texte aurait pu préciser que le fonctionnement présent de l’institution scolaire et la politique ministérielle actuelle décrédibilisent complètement la laïcité. Mais il présente selon nous le mérite de montrer que les fondamentaux de la laïcité et les exigences de justice sociale perdent ensemble ou gagnent ensemble.
AVEC JAURÈS ET BUISSON
L’article de Guy Dreux, professeur de sciences économiques et sociales, contient d’utiles rappels sur l’engagement simultanément laïque, rationaliste et social de Jaurès et Buisson[9]. Tous deux considéraient que la loi de liberté et d’équilibre de 1905, ne saurait être confondue avec une « modération des principes ». Ils concevaient cette loi avec l’espérance historique qu’elle ne « manquera pas de se retourner contre l’Église lorsqu’elle prétend exercer une autorité infaillible ». À rebours des lieux communs simplificateurs sur le spiritualisme et la religiosité de Buisson et Jaurès, Guy Dreux insiste sur leur confiance en l’avancée de la démocratie qui imposerait à l’Église catholique d’abandonner ses prétentions à son infaillibilité et à son maintien comme puissance politique. Force est de constater qu’à ce jour l’espérance de nos maîtres a été déçue. Mais G. Dreux prouve l’actualité des engagements de Buisson et Jaurès pour « les droits de l’enfant » et la « la primauté de l’enseignement rationnel », ni scientiste ni dogmatique. Le ressourcement dans ces fondateurs de la laïcité permet de montrer qu’aujourd’hui comme hier, la liberté politique permise par l’égalité des droits, l’instruction émancipatrice assurée par l’école publique et la justice garantie par les droits sociaux s’impliquent réciproquement.
LA LAÏCITÉ À L’ÉCOLE PRIMAIRE
La contribution de Laaldja Mahamdi, directrice d’école, témoigne de la façon dont des élèves de l’école primaire peuvent s’approprier et faire vivre la Charte de la laïcité, lorsque l’école en a la volonté et quelle s’en donne les moyens[10]. Elle relève justement que la Charte de la laïcité à l’École est un bon outil pour transmettre les valeurs portées par le principe de laïcité. On regrette que la célèbre formule de Jules Ferry qui demandait aux instituteurs de ne rien dire qui ne puisse froisser un père de famille, paraisse servir en toute circonstance de boussole infaillible dans la France d’aujourd’hui. Sans doute aurait-il fallu, pour éviter cet usage très contestable de la formule, replacer ces mots dans leur contexte et rappeler qu’ils donnèrent lieu à l’époque à de sérieuses réserves. Ces omissions expliquent peut-être un usage à géométrie variable de la loi lorsque l’école est confrontée à des incompréhensions[11].
TRAITER L’ASSASSINAT DE SAMUEL PATY EN LYCÉE PROFESSIONNEL
La contribution sur La laïcité et la liberté d’expression en lycée professionnel d’Anne-Laure Hartmann, professeure de lettres histoire-géographie et enseignement moral et civique (EMC)[12] rend compte sobrement du courage et de l’intelligence de professeurs qui enseignent avec passion dans un contexte difficile. Elle évoque leur « patience pédagogique ainsi que la fermeté, la clarté et l’intransigeance de (leur) propos face aux réactions des élèves », « en résonance avec l’assassinat de Samuel Paty ». Elle montre comment dans son travail elle fait vivre « la valeur protectrice de la laïcité ». Très sensible à la crainte de ses élèves des quartiers défavorisés d’être rejetés, elle sait aussi qu’il « est extrêmement périlleux » d’évoquer avec ses élèves tous garçons l’égalité homme-femme , de leur apprendre la « nuance entre insulter la foi et insulter les croyants ». Elle porte à notre connaissance des poèmes réécrits par ses élèves suite à la décapitation de Samuel Paty. Elle rend compte d’un jugement « effroyablement simpliste (d’un élève) : ‘Sans les caricatures, finalement, Samuel Paty ne serait pas mort !’ ». Cela conduit cette professeure de terrain à témoigner sobrement de l’immense travail accompli pour conduire ses élèves de milieux sociaux défavorisés à intégrer et partager le principe laïque de « la liberté de croire et de ne pas croire » et à faire comprendre que « la condamnation de l’assassinat (de Samuel Paty) ne peut souffrir aucun ‘oui, mais’ ». Nous savons, hélas, que des personnes haut-placées sont coutumières de ce « oui, mais ».
CROYANCES ET RATIONALITÉ DANS L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES EXPÉRIMENTALES
Valérie Sipahimalani, professeure de sciences de la vie et de la terre (SVT) dans un lycée parisien et militante au Snes, affronte la question majeure de la relation des croyances et des savoirs dans l’enseignement des sciences expérimentales, en rappelant que la Constitution française « protège à la fois la raison et la foi »[13]. Elle observe que des programmes, trop lourds, tendent à intégrer des résultats scientifiques récents, « engageant une réflexion complexe (…) qui demanderaient, pour être correctement exposés, un temps dont les enseignantes et enseignants ne disposent pas ».
Valérie Sipahimalani appelle à poursuivre collectivement une réflexion sur le statut respectif des croyances et des connaissances scientifiques, déplorant au passage une carence cruelle dans la formation des enseignants, sur cette question comme sur d’autres.
Elle précise d’ailleurs qu’il est impossible de reprendre systématiquement en classe le fil et le cadre des découvertes scientifiques. Consciente qu’une démonstration scientifique ne suffit pas, à elle seule, à éradiquer un préjugé homophobe ou raciste, elle fait état de la demande implicitement faite aux élèves de « croire » le cours.
Peut-être aurait-elle pu également insister sur l’incompatibilité des réformes présentes avec ces exigences intellectuelles et pédagogiques.
L’ENJEU DE L’ÉDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE
Le secrétaire général du syndicat FSU des professeurs d’EPS rappelle opportunément que « le sport n’est pas un sanctuaire et n’échappe pas aux luttes idéologiques et politiques », et que l’EPS peut amener les élèves à « vivre concrètement les principes républicains »[14]. On partage son appel au dialogue avec les élèves et leurs familles, en cas d’évitement pour raisons religieuses de tel ou tel enseignement, comme le prévoit d’ailleurs la loi du 15 mars 2004. En revanche, on ne qu’être en complet désaccord avec Benoît Hubert lorsque celui-ci semble se féliciter qu’en cas de difficultés liées à des contestations religieuses, il soit fait appel à des autorités religieuses pour les résoudre[15]. Il n’y a pas lieu, selon nous, de considérer les associations de quartier et a fortiori les autorités religieuses « parties prenantes » de l’école de la République. Il en va de la liberté de l’école publique et de sa mission émancipatrice. Nous ne pouvons, dans le cadre de cette recension, développer les raisons de refuser l’immixtion des religions dans l’école, qui relèvent de la base minimale de la laïcité scolaire depuis ses origines.
CROYANCE ET RATIONALITÉ EN PHILOSOPHIE ET EN EMC
Évelyne Bechtel, inspectrice régionale de philosophie et référente enseignement moral et civique (EMC), soutient une « neutralité active » de la laïcité selon laquelle « tous les cultes sont égaux devant la loi », sans expliquer que cette égalité repose sur l’égalité de chacun, qu’il se reconnaisse ou non dans un culte[16]. Elle s’attache à montrer que « la prise en compte des émotions des élèves » n’exclut nullement un encouragement à exercer son jugement. Il s’agit pour le professeur de philosophie de « transformer la satisfaction de ‘croire savoir’ en ‘plaisir de chercher’ » et d’opposer conceptuellement la « normativité », créatrice et singulière, à la « normalisation » conformiste. Un tel travail d’élucidation critique entre effectivement dans le cadre de l’EMC en classes terminales, aujourd’hui malmené du fait notamment d’un horaire ridicule et d’un programme infaisable.
LE SENS DE LA NEUTRALITÉ LAÏQUE
L’ancien secrétaire général du syndicat des inspecteurs de la FSU propose une mise au point sur la neutralité du fonctionnaire public[17], dans un contexte d’institutionnalisation de la vassalisation des corps d’inspection, après celui des personnels de direction de l’enseignement secondaire. Michel Gonnet rappelle que selon la loi Le Pors de 1983[18], la neutralité est exigée du fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne saurait servir un intérêt particulier[19]. Nous partageons cette interprétation de la neutralité, qui montre que l’essence de la neutralité n’est pas neutre puisqu’elle trouve son principe dans l’intérêt général. À l’école, la neutralité est spécifiquement au service de l’instruction, condition d’émancipation. L’auteur cite opportunément Buisson pour qui on n’est pas laïque parce qu’on est neutre, mais on est neutre parce qu’on est laïque[20]. Le texte se conclut par des remarques suggestives sur « la conformité aux instructions » attendue des fonctionnaires. Nous retiendrons l’idée de la nécessaire liberté pédagogique qui « ne permet pas qu’une doxa, fût-elle sortie de la bouche d’un ministre, se substitue à l’expertise professionnelle des personnels enseignants ». Selon Michel Gonnet, il n’y a pas lieu pour l’agent public de « faire preuve d’activité propagandiste » en reprenant « sans distance ce que dit un ministre »[21]. M. Gonnet relève qu’aujourd’hui, ceux qui critiquent la politique du ministre « font l’objet d’une sanction », tandis que ceux qui enfreignent pareillement la neutralité « pour servir avec un zèle immodéré le pouvoir en place font plutôt l’objet d’une promotion. »
LE PRINCIPE DE LAÏCITÉ AU SERVICE DU CAPITALISME ?
Dans une tout autre perspective, Hervé Le Fiblec, membre du chantier « Histoire » de l’Institut de recherche de la FSU, s’intéresse aux divers usages de la laïcité, « principe fondamental de la République ». Il invente une périodisation d’une laïcité – d’abord libérale et républicaine (1789-1914), puis populaire et révolutionnaire (1914-1991), et finalement patrimoniale et conservatrice –, qui nous paraît simplificatrice, confuse et lacunaire[22]. Il omet, par exemple, l’épisode majeur de la Commune de Paris. De même omet-il, à propos du Front populaire, les trois circulaires Zay protectrices de l’école publique des propagandes politiques et religieuses. Cette prise en compte lui aurait évité de considérer l’Affaire en 1989 des jeunes filles voilées dans un Collège de Creil comme l’événement sonnant le glas d’une laïcité émancipatrice. Le texte omet également de relever la concomitance en 1946 de la constitutionnalisation de la laïcité et d’une forte avancée des droits sociaux. Selon Le Fiblec, si « la laïcité vient de la gauche (et) appartient à son corpus doctrinal », » elle bénéficie aujourd’hui aux « forces du capitalisme »[23].
Nous estimons que la faiblesse présente de la gauche est liée à une double trahison en son sein : un basculement dans le néo-libéralisme et un abandon des fondamentaux de la laïcité.
Il nous semble également que se manifeste aujourd’hui en France et dans le monde une remarquable présence de la revendication laïque dans des combats pour plus de libertés et plus d’égalités.
TOLÉRANCE ET LAÏCITÉ
Le texte sur lequel s’achève notre recension traite de l’importante question de la tolérance dans l’histoire et la théorie de la laïcité[24]. Le politologue Alain Policar s’appuie sur la théorie libérale de Suart Mill (1806-1873) selon laquelle la tolérance consiste à « s’abstenir d’intervenir dans l’action ou l’opinion d’autrui, quoiqu’on ait le pouvoir de le faire, et bien que l’on désapprouve ou qu’on n’apprécie pas l’action ou l’opinion en question ». Policar estime qu’ainsi comprise, la tolérance est « l’une (des) conditions de la laïcité ». Mais il ne précise quelles sont les autres conditions de la laïcité. On regrette surtout que l’article ne s’inquiète pas des dérives possibles de la tolérance, dont le principe de laïcité peut prémunir. En effet, une relation de tolérance ne place-t-elle pas le toléré en situation de dépendance vis-à-vis du tolérant ? Ne peut-on pas mettre en avant le caractère égalitaire et juridique du principe de laïcité qui dispense de s’en remettre au bon vouloir du détenteur d’un pouvoir ? Et que penser de celui qui, au nom de la tolérance, n’intervient pas en cas d’oppression ? Ne commet-il pas une injustice à l’encontre de l’opprimé ? Ces questions tendant à une mise à l’épreuve critique de la tolérance, plutôt qu’à son éviction, s’appliquent pratiquement et concrètement à l’école.
DE L’INCOMPATIBILITÉ DES RÉFORMES BLANQUER AVEC LA LAÏCITÉ À L’ÉCOLE
On retient d’abord de cet ouvrage une riche diversité des expériences de la laïcité à l’école. Pour cette seule raison, l’ouvrage mérite d’être lu. Cette pluralité des approches s’exprime sur fond d’un consensus pour défendre les enseignants accusés de complaisance envers l’islamisme. On s’étonne cependant que, sauf exceptions, ce souci louable ne s’accompagne pas d’une contestation des réformes destructrices de la laïcité à l’école. Pourquoi n’avoir pas pointé avec constance et précision les conditions d’enseignement insupportables dont souffrent les personnels et les élèves, qui résultent d’un manque de moyens mais également d’une violente politique néolibérale où seuls les savoirs susceptibles d’être vendables sur le marché du travail sont pris au sérieux ? Ce questionnement s’applique également à l’assassinat de Samuel Paty, massacré pour avoir enseigné la liberté d’expression : ni les contributions ni même la conclusion qui évoquent la décapitation de cet enseignant ne rappellent qu’il ne fut pas soutenu ni protégé par l’institution scolaire, mais au contraire abandonné face aux menaces et aux calomnies coordonnées, et même accusé à tort d’avoir méconnu la laïcité.
DU DÉNI À LA DÉNÉGATION
Un second questionnement est relatif aux pressions religieuses qui pèsent aujourd’hui sur l’école. Sauf exceptions, les auteurs n’assument pas expressément une opposition ferme à l’actuelle offensive mondiale de l’islamisme, soutenue par des États puissants, et ne reconnaissent pas que la France et son école sont une de ses cibles privilégiées. Assurément, les textes semblent généralement dépasser le déni de cette réalité : nul ne décrète le péril purement imaginaire. En revanche, la dénégation paraît rarement évitée : on déclare savoir que le péril existe, sans toutefois intégrer concrètement et précisément cette réalité dans les descriptions et les analyses [25]. Meilleure que le déni, qui consiste à refouler intégralement une réalité, la dénégation ne rend pas impossible la discussion, même si elle ne la facilite pas. Un affranchissement de la dénégation aurait permis en outre aux textes qui composent l’ouvrage d’affronter expressément la réalité du fanatisme religieux, que le fléau atteigne la religion chrétienne, mais aussi juive et musulmane, ou n’importe quelle autre religion.
DE L’INCONDITIONNALITÉ DU DROIT DE CROIRE OU NE PAS CROIRE
Enfin, notre questionnement principal concerne l’objet même du livre : la laïcité à l’école. Assurément, les auteurs partagent le souci, qui est également le nôtre, de combattre les inégalités sociales et scolaires. En revanche, s’agissant de la laïcité, on note des clivages dans les positions, les priorités et même les objectifs. On regrette que l’ouvrage ne dégage pas un consensus sur le droit pour tout être humain de « croire ou ne pas croire », comme exigence minimale à porter inconditionnellement. Les auteurs auraient même pu tous soutenir expressément que ce droit implique la suprématie des lois voulues par les hommes, toujours réformables, sur les lois religieuses. Y a-t-il inconvenance à regretter également qu’un consensus ne se soit pas manifesté autour de l’idée que ce droit de croire ou ne pas croire est en premier lieu protecteur de libertés pour tout être humain, qu’il subisse la pression d’un État, d’un groupe social ou d’une autre personne ? Ces questions s’appliquent assurément à la laïcité scolaire dont l’ambition spécifique est d’assurer à chacun l’instruction émancipatrice la plus solide possible.
[1] La laïcité à l’école. Pour un apaisement nécessaire, sous la direction de Paul Devin, préface de Nicolas Cadène, Les éditions de l’atelier, 2021.
[2] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/11/12112021Article637722973615908941.aspx
[3] p.263.
[4] En début de chacun des chapitres examinés, nous indiquerons en note le nom de l’auteur, le titre, et les pages concernées.
[5] Françoise Lantheaume et Charlène Ménard, La laïcité dans une école inégalitaire, pp. 29-43.
[6] « D’autres critiques récurrentes de l’école, qui serait démissionnaire, et des enseignantes et enseignants, qui se censureraient sur certains sujets (la Shoah, l’évolution) font abstraction dans leur analyse d’une des dimensions fondamentales de l’apprentissage : le temps long ». (pp. 34-35). On ne peut dans les limites de cette recension revenir sur la complexité du temps de l’éducation, qui ne saurait se réduire au « temps long », en particulier dans l’espace scolaire.
[7] « Dans ce contexte d’enseignement, le principe de liberté l’emporte sur celui d’égalité chez les élèves et leurs familles, et entre en tension avec les valeurs du métier des enseignants qui luttent contre des manifestations ostensibles de richesse et de mépris social. Ils tentent de faire intégrer aux élèves les éléments clés d’une logique civique dans laquelle l’intérêt général ne se confond pas avec l’intérêt particulier. La laïcité est un des moyens de faire cette éducation et d’amener les ‘élèves bien nés’ à se penser comme citoyennes et citoyens d’une société plurielle et à connaître un de ses principes, inclusif, et de liberté. », p. 40. Il n’est pas précisé si les « élèves bien nés » peuvent être des jeunes filles de confession musulmane ou juive, ou s’il s’agit d’éduquer, ou de rééduquer, les seuls jeunes mâles Blancs catholiques.
[8] Jean-Paul Delahaye, Question laïque, question sociale, pp. 45-57.
[9] Guy Dreux, L’espérance laïque : Jaurès, Buisson et la loi de 1905, pp. 59-78.
[10] Laaldja Mahamdi, Laïcité et vie scolaire à l’école primaire, pp. 83-92.
[11] « La réponse donnée à une mère qui demande en réunion de début d’année si le menu de la cantine est halal, ne peut pas être : ‘Non, ici, c’est une école laïque’ »(p. 84), tandis que qu’à propos du port d’insignes religieux pour les accompagnatrices et accompagnateurs de sorties scolaires, « la loi doit être (…) notre unique réponse » (p. 92).
[12] Anne-Laure Hartmann, Enseignement en lycée professionnel : laïcité et liberté d’expression, pp. 93-113.
[13] Valérie Sipahimalani, Enseignement des sciences : croyances et savoirs, pp. 115-124.
[14] Benoît Hubert, l’éducation physique et sportive au cœur des débats, pp. 135-145.
[15] « C’est dans un dialogue construit et argumenté avec l’ensemble des parties prenantes que nombre de problématiques pourraient être résolues. À titre d’exemple, des cas d’élèves refusant l’activité natation pour des motifs religieux avérés ont trouvé des solutions, quand sont réunis autour de la table les enseignantes et enseignants, les familles, les associations de quartier, les autorités religieuses, comme cela a été le cas dans les établissements qui ont eu affaire à une arrivée de jeunes filles en voile intégral. », p. 144.
[16] Évelyne Bechtold, La laïcité à l’école, entre émotions et raison, pp. 159-174.
[17] Michel Gonnet, Laïcité et neutralité du fonctionnaire, pp. 175-188.
[18] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000504704/
[19] « La récurrente question de l’obéissance du fonctionnaire, terme qui a été volontairement écarté de la loi Le Pors, ne peut trouver de réponse satisfaisante que dans une dialectique des droits et des obligations » (pp. 185-186).
[20] «Qu’est-ce à dire, sinon qu’il faut définir le mot ‘neutre » par le mot ‘laïque’ . L’école n’est pas neutre tout court, elle l’est dans la mesure où elle peut l’être en restant laïque d’esprit, laïque de méthode, laïque de doctrine. Il faut qu’il soit bien entendu que ce n’est pas seulement du droit personnel du professeur et de sa liberté civique qu’il s’agit. Il s’agit de son droit et de son devoir de parler haut et ferme au nom de la raison, de ne jamais consentir à baisser pavillon par ordre devant une autorité quelconque », p. 181 .
[21] « Les personnels d’encadrement qui cèderaient à ce penchant verraient leur crédibilité entamée à chaque alternance », p. 184.
[22] Hervé Le Fiblec, La laïcité : un principe à usages multiples, pp. 193-205.
[23] « De facto, la laïcité ne peut plus être un mot d’ordre pour la gauche : elle n’est plus un projet, susceptible de l’unifier, mais au contraire un concept problématique suscitant des clivages nouveaux. », p. 201. « L’usage dominant (du principe de laïcité) correspond à l’état du rapport de forces dans la société… Les débats actuels sur la laïcité sont ainsi circonscrits par une situation largement favorable aux forces du capitalisme qui leur permet d’imposer un usage de la laïcité conforme à leurs intérêts. », pp. 203-204.
[24] Alain Policar, Laïcité et tolérance, pp. 207-218.
[25] La dénégation la plus réussie revient sans doute à cette note de fin de texte: « Faut-il préciser que notre approche ne revient nullement à ignorer, ou à sous-estimer, la volonté de l’islam politique d’investir la vie publique avec l’affaire du voile ? », p. 218, note 16.