Un an après le début de la pandémie, les bébés se font rares en Europe, aux États-Unis et en Chine. À l’inverse, on constate dans les régions les plus pauvres d’Afrique et d’Asie les prémices d’un regain de naissances. Parmi les conséquences démographiques du Covid-19, l’intérêt s’est focalisé jusqu’à présent sur la mortalité. Plus de 2,5 millions de décès attribués au nouveau coronavirus ont déjà été recensés dans le monde. Mais l’épidémie a aussi un impact majeur sur la fertilité. Le cas de la France en est un exemple : les naissances y ont chuté de 13 % en janvier par rapport au même mois de 2020, selon l’Insee.
Le phénomène est mondial. Une étude publiée dans la revue spécialisée Demographic Research indique qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Espagne, tout comme en France, l’anxiété face au virus conduit nombre de femmes en âge de procréer à reporter des projets d’enfantement, voire à les abandonner. Aux États-Unis, 34 % des Américaines interrogées par l’Institut Guttmacher veulent moins d’enfants à cause de la pandémie. Quelque 300 000 naissances, au bas mot, manqueront en 2021 dans ce pays, selon la Brookings Institution. La Chine, qui permet depuis 2016 aux couples d’avoir un deuxième enfant, n’a déclaré que 10 millions de naissances en 2020, soit une chute de 15 % par rapport à 2019. Même la Corée du Sud, pourtant exemplaire dans la lutte contre la crise sanitaire, enregistrerait un recul de 14 % en un an.
« Bonne nouvelle pour la planète, la France fait moins d’enfants ! »
Les causes sont multiples. La récession économique, le stress qui diminue la fertilité, l’incertitude sur les conditions de l’accouchement du fait de la saturation des services de santé, le confinement et le couvre-feu qui empêchent les gens de se rencontrer, le report de projets d’union, mais aussi les fermetures d’écoles et la présence inhabituelle des enfants à la maison ont incité de nombreux couples à travers la planète à mettre leurs projets de reproduction en mode pause. L’Histoire se répète. Lors de la grippe espagnole de 1918, l’explosion des décès aux États-Unis avait été suivie avec un décalage d’environ neuf mois par un sévère repli des naissances.
Dans un pays pauvre comme les Philippines, en revanche, le taux de natalité déjà élevé devrait bondir. Le Fonds des Nations unies pour la population et l’Institut démographique de l’Université des Philippines y estiment à quelque 214 000 le surcroît de naissances cette année, ce qui correspondrait à une progression de 12,5 % par rapport à 2020. Dans les pays les plus défavorisés, la pandémie est synonyme de propagation de la grande pauvreté – généralement associée à un plus grand nombre d’enfants – et d’accès réduit aux ressources contraceptives. Les fermetures d’écoles et la flambée des prix alimentaires ont accentué la détresse. Selon la Banque mondiale, l’épidémie et la récession induite ont plongé plusieurs centaines de millions de personnes dans la pauvreté extrême (ressources inférieures à 1,90 $ par jour et par personne). Cette augmentation est sans précédent dans l’histoire contemporaine, qui était marquée jusqu’alors par un recul constant de la grande pauvreté. Les conséquences démographiques sont alarmantes. Dans des pays d’Afrique subsaharienne comme l’Éthiopie, le Kenya ou le Malawi, grossesses de mineures, mariages d’enfants et naissances non désirées sont en forte reprise depuis le début de la pandémie.
Un monde “plus gris, plus vert et moins blanc”
L’effet de ciseau Nord-Sud va exacerber les effets du « choc démographique » que le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, Bruno Tertrais, avait décrit dans un livre (1) publié juste avant la pandémie. En Europe, continent qui abrite la population la plus vieille du monde, le nombre d’actifs devrait diminuer plus vite qu’escompté par rapport aux inactifs. Le financement des retraites et de la dépendance va devenir un casse-tête encore plus compliqué. À l’inverse, les pays pauvres avec des ressources limitées et une infrastructure insuffisante devraient avoir plus de mal à satisfaire les besoins de populations jeunes et en forte croissance. Le fossé entre les deux groupes de pays va accentuer les tensions migratoires, sociales et politiques. Le monde prophétisé par le démographe britannique Paul Morland (2) – « plus gris, plus vert et moins blanc », c’est-à-dire plus vieux, plus soucieux de la gestion de ses ressources et moins dominé par les populations d’origine européenne – arrivera plus rapidement que prévu.
(1) Le Choc démographique, de Bruno Tertrais (Odile Jacob, 2020).
(2) The Human Tide, de Paul Morland (John Murray, 2019, non traduit).