À l’occasion des 20 ans du 11 Septembre, Marc Hecker et Élie Tenenbaum sortent un livre sur le djihadisme et le contre-terrorisme au XXIe siècle.
Publié le 4 mai dans Le Point
Voici bientôt vingt ans que la plus spectaculaire et meurtrière opération terroriste de l’histoire s’est produite sur le sol américain, le 11 septembre 2001. Ce n’était pas le coup d’envoi de la guerre « contre les juifs et les croisés » lancée par le groupe djihadiste Al-Qaïda, mais cette opération qui visait les tours du World Trade Center, le Pentagone et sans doute la Maison-Blanche a provoqué un séisme stratégique dont les répliques n’ont plus cessé depuis jusqu’à aujourd’hui.
Du conflit en Afghanistan, dont les forces américaines se retireront avant la fin de l’été, à la subversion djihadiste au Sahel, qui donne bien du fil à retordre aux forces françaises et aux gouvernements de la région, en passant par les attaques terroristes constantes sur une bonne partie de la planète et par la situation au Moyen-Orient, la guerre contre le terrorisme djihadiste international dure depuis vingt ans.
Deux chercheurs de l’Ifri que nos lecteurs connaissent bien, Marc Hecker et Élie Tenenbaum, ont choisi cette étape de la confrontation armée contemporaine la plus longue pour en publier un premier bilan*.
Hyperterrorisme
L’une des excellentes idées de cet ouvrage consiste à avoir bien séparé et organisé les époques de cette guerre sans fin à ce jour pour mieux la lire et la comprendre. La première époque dure cinq ans, de 2001 à 2006. Elle est l’effet de la volonté d’un chef autoproclamé du djihad, Oussama ben Laden (arrêté et tué le 2 mai 2011 par les militaires américains), qui parvient à mettre sur pied cette spectaculaire série d’attentats, dont les plus destructeurs viseront les ambassades américaines à Nairobi (Kenya) et à Dar es-Salaam (Tanzanie), le 7 août 1998, puis, trois ans plus tard, New York et Washington.
Les auteurs notent que ces attaques « peuvent être vues comme le prélude aux atrocités des deux décennies suivantes : exécutions de masse, égorgements d’otages, assassinats de travailleurs humanitaires, endoctrinement d’enfants, etc. ». En 2001, le président américain George Bush réagit très vivement en entreprenant de détruire le sanctuaire de ben Laden et de ses protecteurs talibans en Afghanistan, engageant une « guerre globale » d’un type nouveau. Ce « recours à la force armée de manière relativement discrétionnaire, sans cadre temporel ni géographique, s’est traduit par une confusion au sujet de la notion même de guerre, désormais applicable à n’importe quel type de territoire pour peu que s’y trouvent des individus désignés comme terroristes ».
Contre-insurrection et Printemps arabe
Après l’invasion de l’Irak en 2003, et l’échec du projet de George W. Bush et des néoconservateurs de remodeler le Moyen-Orient, une nouvelle époque s’ouvrira à partir de 2006, celle de la contre-insurrection. En Irak, les attentats se réduisent et les auteurs notent qu’« avec des moyens suffisants et une stratégie réfléchie il est possible de stabiliser des régions vacillantes, mais aussi que, sans projet politique viable, les prouesses militaires demeurent des victoires sans lendemain ».
Pour autant, le djihadisme s’étend au Yémen, au Sahel, jusqu’à ce qu’en 2011 survienne l’inattendu Printemps arabe. S’ouvre alors la troisième ère de la guerre. La sauvage répression des manifestations en Syrie verra se lever une nébuleuse djihadiste, dont Daech émergera en avril 2013 pour entreprendre une conquête territoriale et donner naissance à l’État islamique, qui rencontre initialement de grands succès sur le terrain. Une politique d’exécutions ciblées se met en place au sein de la coalition, dont Hecker et Tenenbaum contestent l’efficacité : « Les éliminations ciblées, par drone ou d’autres moyens, dégradent sans conteste l’organisation de l’adversaire, mais elles peinent à peser positivement sur la trajectoire générale des conflits. Pire, par leur furtivité et leur opacité, elles suscitent parfois l’incompréhension et la colère des sociétés civiles. »
« Cible de choix »
Les quatrième et cinquième périodes de la guerre sont marquées, d’abord de 2014 à 2017, par la contestation du leadership d’Al-Qaïda par l’État islamique (Daech). L’organisation émergente met sur pied un califat autoproclamé et organise des attentats spectaculaires en France et ailleurs, et « provoque le monde entier par sa férocité ». Ces initiatives sanguinaires ont, dans notre pays, « stimulé en retour une véritable inflation législative et un emballement de l’appareil politique face à une menace qui a pris les institutions de court ». La cinquième phase, qui commence en 2016, est toujours en cours aujourd’hui. Très affaiblis par les coups portés par une coalition militaire puissante dirigée par les États-Unis, à laquelle participe la France, les groupes terroristes ont essaimé et prospèrent, en Afrique notamment.
Les auteurs parlent de ce fait d’une « étrange victoire » et se gardent bien de tout optimisme. Ils voient une source d’espoir dans la discorde qui oppose de façon structurelle les groupes djihadistes entre eux. Surtout, ils s’inquiètent du sort que la violence islamiste réservera dans l’avenir à notre pays, qualifié de « cible de choix ». Ni la répression, ni les textes législatifs, ni même les moyens de plus en plus importants accordés aux services de police et aux services spéciaux ne sauraient constituer une panacée : « Il ne faut pas se leurrer. Face à une menace si diffuse, aucun système de renseignements ne saurait être infaillible. »
Marc Hecker et Élie Tenenbaum, La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle, Robert Laffont, 442 pages, 29,90 euros.