En février, Idriss Azami Idrissi, numéro 2 du PJD et président du conseil national, une sorte de Parlement du PJD, a lui aussi signifié sa colère en envoyant à El-Othmani une lettre de démission, démission refusée par le parti.
Un mois plus tôt, c’est le maire de Casablanca, Abdelaziz el-Omari, ancien ministre sous Abdelilah Benkirane, qui avait démissionné du secrétariat général, où il siégeait depuis plusieurs années. Au même moment, le député Abouzaid el-Mokrie gelait son adhésion au parti en signe de protestation contre son chef.
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Le point commun entre les décisions de tous ces responsables ? La normalisation des relations avec Israël, actée par El-Othmani en décembre 2020.
Pour le parti islamiste, qui affichait depuis sa création son soutien à la cause palestinienne, c’est un coup dur. Le chef du PJD a beau expliquer à ses troupes que la décision est dictée par l’intérêt suprême de la nation, la normalisation avec Israël étant accompagnée de la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara occidental, rien n’y fait.
« Nous considérons en effet que l’intérêt de la nation passe avant tout, mais El-Othmani aurait pu laisser d’autres responsables signer cet accord. Et il aurait dû associer le parti au débat avant de participer à la cérémonie », explique à Middle East Eye une source au PJD.
À quelques mois des élections législatives, communales et régionales, qui devraient se tenir en septembre, cette colère s’accompagne de la crainte de subir une débâcle électorale.
En 2016, alors au faîte de son influence, le PJD avait remporté 125 sièges à la Chambre des représentants, soit 18 sièges de plus qu’en 2011, année où la formation politique, alors dirigée par Abelilah Benkirane, avait accédé pour la première fois au pouvoir.
Aux élections communales, le parti avait battu ses adversaires dans les principales villes du royaume (Casablanca, Rabat, Tanger, Agadir, Marrakech, Fès, Meknès, Salé).
« Impardonnable »
Aujourd’hui, le PJD est-il en mesure de réaliser un tel résultat ? Rien n’est moins sûr, répondent plusieurs de ses membres interrogés sur cette question par MEE.
« Au-delà de l’épreuve du pouvoir, qui touche toutes les formations politiques, nous avons renoncé aux principes fondateurs du parti et le refus de la normalisation en est un. Pour l’électorat du PJD, c’est impardonnable », commente un membre du conseil national.
D’ailleurs, même la jeunesse du PJD, très mobilisée pendant les élections, et le Mouvement unicité et réforme (MUR), aile de prédication du parti, ont condamné la normalisation avec Israël en décembre 2020.
Autre coup dur pour El Othmani : Abdelilah Benkirane a gelé son adhésion au parti après l’adoption en Conseil de gouvernement, en mars, d’un projet loilégalisant l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques.
« La lettre de Benkirane a provoqué un séisme au sein du parti. Il reste plus apprécié aujourd’hui que Saâdeddine El-Othmani »
– Un membre du conseil national
Benkirane a accompagné sa lettre au parti d’un ultimatum : si les députés du PJD venaient à voter pour le projet de loi, il transformerait le gel de son adhésion en démission définitive.
« La lettre de Benkirane a provoqué un séisme au sein du parti. Il ne faut pas oublier que c’est grâce à lui que le PJD a gagné les deux dernières élections législatives et qu’il reste plus apprécié aujourd’hui que Saâdeddine El-Othmani », précise notre interlocuteur au conseil national.
Le parti de la lampe a tenu une session extraordinaire du conseil national pour laver son linge sale en famille et essayer de faire revenir l’ancien secrétaire général sur sa décision, sans succès. « Nous avons fait beaucoup de compromis. La loi sur le cannabis est la goutte qui a fait déborder le vase car les instances du parti n’ont jamais eu à en discuter », précise la même source.
Alors pour sauver la face devant ses sympathisants, le PJD décide de jouer double jeu en s’appuyant sur ses élus au Parlement. Après l’adoption du texte par le Conseil de gouvernement, les députés du parti islamiste ont tenté de bloquer le projet de loi au Parlement en attendant les élections.
Peine perdue, le bureau de la Chambre des représentants a fini par le confier à la commission de l’intérieur, qui a déjà commencé son examen. « On doit aller vite. Nous sommes en retard », a tonné le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, devant les élus.
La stratégie de l’opposition
Pendant ce temps, le parti a manifesté son opposition à d’autres lois liées directement aux élections. Adoptées récemment, celles-ci introduisent un changement majeur concernant le calcul du quotient électoral, désormais basé sur les inscrits sur les listes électorales et non sur le nombre de votes valides exprimés.
Aucun parti ne s’est opposé à cet amendement à l’exception du PJD, qui considère qu’il s’agit d’une disposition anticonstitutionnelle. « Nous en avons fait une affaire de principe pour signifier que nos compromis ont des limites », précise à MEE une source proche de Saâdeddine El-Othmani.
« Le principe de la représentation proportionnelle fait le lien entre les résultats de chaque liste et le nombre de sièges correspondant aux voix valides. Cette logique est reconnue par la doctrine et le droit comparés, de sorte qu’on ne peut pas octroyer des sièges à des listes ou partis pour lesquels on n’a pas voté », indiquait le PJD dans un texte adressé à la Cour constitutionnelle, selon un article du site Médias 24.
« L’inverse conduirait, selon le PJD, à deux résultats », poursuit Médias 24 : « La répartition de sièges de manière forfaitaire sur les listes dans la limite des sièges, ce qui viderait de sa substance la compétition électorale, les voix des citoyens et la volonté des électeurs » et « la prise en compte de non-votants, du boycott et des votes blancs dans la répartition des sièges, ce qui conduirait à l’élection de candidats que ces personnes n’ont pas souhaité élire. »
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Un autre combat que le PJD a perdu, la Cour constitutionnelle ayant validé l’amendement sur le quotient électoral.
Désormais, le parti tente même de faire de l’opposition. Ainsi, alors que la wilaya de Rabat interdisait, le 27 avril, un sit-in de soutien avec le peuple palestinien pour des raisons liées à la crise sanitaire, le secrétariat régional du PJD, qui avait annoncé sa participation, publiait un communiqué dénonçant une atteinte « aux droits et aux libertés des citoyens ».
Un parti divisé et en colère contre sa direction, une loi électorale qui fixe les nouvelles règles du jeu… les problèmes se succèdent pour le PJD, qui a bon espoir de se maintenir à la tête des élections.
Quelques jours plus tôt, c’est Saâdeddine El-Othmani lui-même qui se rendait avec le ministre d’État chargé des droits de l’homme, Mostafa Ramid, chez Abderrahmane Benameur, ancien bâtonnier et grande figure du militantisme, qui avait été violenté pendant un sit-in à Rabat. « Un geste de solidarité après la violence qu’il a subie lors d’un sit-in organisé à Rabat à l’occasion de la Journée de la terre [30 mars] en solidarité avec le peuple palestinien », commente le PJD.
Une démarche qui rappelle les sorties médiatiques en 2016 de l’ancien secrétaire général Abdelilah Benkirane, dans lesquelles il dénonçait l’autoritarisme pour essayer de prendre ses distances avec certaines décisions du gouvernement qu’il dirigeait.
« La différence, c’est qu’El-Othmani est inaudible aujourd’hui, à l’intérieur du parti comme auprès des électeurs », conclut notre source au conseil national, qui rappelle que le PJD a déjà, moins d’un mois après la normalisation des relations avec Israël, essuyé une défaite lors des élections partielles dans la ville d’Errachidia en janvier. Pour lui, il s’agit « d’un avant-goût des prochaines élections législatives ».