«Je viens d’une famille non pratiquante », explique Selim*, issu d’une famille d’origine maghrébine. Chez moi les filles ne portent pas le voile, la viande n’est pas halal. Dire que tu ne pratiques pas, ça passe ; dire que tu es athée ça ne passe pas ».
Dans l’islam, l’apostasie est condamnée par le Coran : le verset 217 de la deuxième sourate, promet un châtiment divin à ceux qui quittent la religion. Certains hadiths – paroles attribuées à Mahomet – ne se contentent pas de cette condamnation post-mortem , et vouent à une mort immédiate ceux qui quittent la religion.
En France, selon une étude de l’Institut Montaigne de 2016, ils seraient 15% des enfants de musulmans à se définir comme non-musulmans. Un nombre important d’apostats, et autant de parcours de renoncement.
Des brimades aux menaces
Cette incompréhension peut s’accompagner de reproches incessants. Nabil* a quitté l’islam voilà des années, et dans sa famille d’origine algérienne, pourtant peu pratiquante, ça ne passe pas. «Je ne suis pas le plus à plaindre », se défend-il pourtant. «On ne vous lâche jamais , c’est du harcèlement moral, observe-t-il. On m’a dit que je brûlerai en enfer, par exemple, et ma famille revient régulièrement à la charge pour que je me marie. Ils ont voulu m’emmener en Algérie pour que je trouve une femme », raconte ce quadragénaire homosexuel, qui vit en couple avec un homme.
Alors la distance s’installe. «Je n’ai plus d’amis musulmans, je parle à peine à mes frères et sœur qui sont encore dans la religion, énumère-t-il. Pour mes parents, j’ai dû les menacer de ne plus jamais revenir pour qu’il me laisse tranquille ».
« S’il apprend mon apostasie, je suis son ticket pour le paradis »
Soraya, à propos de son frère
Ce refus de certains musulmans de voir un proche assumer leur apostasie, prend parfois des tours bien plus violents. Soraya* a grandi dans une famille traditionaliste. Sa mère, malade et en proie à des peurs métaphysiques s’abreuve depuis des années d’émissions religieuses saoudiennes. Vers 23 ans, la jeune fille commence à assumer son athéisme. Au bout du téléphone, elle cesse parfois de parler. «Je ne suis pas seule », lâche-t-elle la voix peu sûre.
Si la mère de la jeune femme est au courant de son abandon de l’islam, si sa sœur évite soigneusement la question, la jeune femme reste terrifiée à l’idée que son grand frère ne l’apprenne. Soraya assure avoir vu chez lui le drapeau noir de l’État islamique accroché au mur. «S’il apprend mon apostasie, je suis son ticket pour le paradis, lâche-t-elle. J’habite de l’autre côté de la ville, et j’évite son quartier. La dernière fois que j’étais amené à le voir, j’ai prétexté du covid pour l’éviter ». Dix ans plus tôt, le jeune homme aurait passé à tabac une cousine qui avait couché avec un jeune homme sans être mariés.
Shahzada* a lui aussi subi la violence de son entourage. Ce réfugié afghan, élevé à la rigueur des écoles coraniques pachtounes a progressivement abandonné l’islam après son arrivée en France, à 14 ans. Intrigué par le Coran, qu’il n’avait jamais lu, il se renseigne sur internet, des blogs et des pages Facebook dédiés. À mesure que son rejet de l’Islam s’affermit, sa virulence s’accentue. Un jour, il s’attaque dans un commentaire à la figure du prophète qu’il accuse de «pédophilie », pour avoir pris pour épouse une fille de 9 ans.
Le commentaire est public, un de ses amis le voit, et le partage à toute leur communauté afghane parisienne. Shahzada est mis au ban, et son ami entend bien lui faire payer son blasphème. «Il a crevé mes pneus, tenté de forcer la porte de mon appartement, m’a harcelé des semaines durant au téléphone en me promettant la mort », raconte le jeune homme, qui dit avoir vécu 7 mois de dépression, sortant à peine de chez lui. «Aujourd’hui, je n’ai plus qu’un ami afghan. Je l’ai gardé parce que je me suis excusé, et que je lui ai menti. Je lui ai dit avoir été saoul en écrivant le commentaire ».
Les militants #ExMuslim
Face à l’incompréhension et parfois les menaces des proches, beaucoup de musulmans taisent leur incroyance. D’autres ont choisi d’en faire un combat. Sur les réseaux sociaux, nombre d’anciens croyants, souvent flanqués du hashtag #ExMuslim, revendiquent leur apostasie.
«C’est en lisant les arguments qui démontaient les récits islamiques que j’ai ouvert les yeux. C’est pour ça que c’est important de continuer à porter ces arguments », raconte Sarah qui explique s’être radicalisée et avoir fréquenté les milieux salafistes pendant deux ans. Chez plusieurs des apostats qui se sont confiés aux Figaro , les attentats de 2015 ont été l’étincelle qui a allumé leur militantisme. «Quand j’ai entendu mes amis assurer que Charlie Hebdo l’avait bien cherché, je me suis dit que ce n’était plus possible », explique Mehdi*, qui vivait jusque-là son athéisme sans faire de bruit.
S’ils se défendent d’une haine anti-musulman, nombre de ces apostats militants assument ne pas aimer l’islam et ses principes. Certains estiment être instrumentalisés par l’extrême droite qui relaie volontiers leurs déboires ; d’autres regrettent d’être lâchés par la gauche. «La gauche ne veut pas parler de nous pour ne pas s’aliéner une partie de son électorat », observe Mehdi.
Alors quand on leur demande s’ils se sentent islamophobes, ils rient, puis s’énervent. Chacun des apostats qui se sont confiés au Figaro réfute la légitimité de ce terme, qui associe critique de la religion et critique des personnes qui la pratiquent. «C’est une imposture intellectuelle qui réhabilite le délit de blasphème et cherche à disqualifier les personnes qui portent un discours critique sur l’Islam », avance Ryan. «On n’est pas raciste anti-musulmans, on vient tous de familles musulmanes! », renchérit Mehdi. «Je suis lesbienne et marocaine , s’amuse Soraya, les minorités, c’est moi! ».
*Les prénoms ont été modifiés
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