Jeudi dernier, B., professeur de religion à la Batley Grammar School a été suspendu par sa direction après des plaintes insistantes de parents d’élèves. Son crime ? Il avait montré trois jours plus tôt des caricatures de Mahomet à sa classe de 13-14 ans, visiblement extraites du magazine satirique français Charlie Hebdo. Les circonstances du cours de lundi dernier ne sont pas encore clarifiées. Mais le ton employé dans une pétition mise en ligne aux noms des élèves de l’école montre une orientation pour le moins partisane et agressive : « Le professeur enseignait lors de ce cours le racisme et le blasphème » peut -on lire. L’enseignant avait pourtant prévenu les élèves qu’il allait leur montrer des caricatures de Mahomet. Ce qui ne semble pas être une première dans cet établissement. Des parents d’élèves ont indiqué que des dessins satiriques de Mahomet avaient déjà été montrés par d’autres professeurs. Sans provoquer la même fureur.
Une fureur qui nourrit aujourd’hui de fortes inquiétudes. En effet, quelques mois après le meurtre de Samuel Paty en France, le nom du professeur anglais, âgé de moins de trente ans, a lui aussi été cité sur des réseaux sociaux, accompagné de menaces et d’appels à manifester devant les portes de l’école. Jeudi matin, une vingtaine d’hommes se sont ainsi réunis devant l’établissement pour appeler à son expulsion. Mis au courant, B. s’est alors placé sous la protection de la police : il s’est engouffré « dans une voiture noire » selon sa voisine. Il n’est plus réapparu depuis.
LA DIRECTION DE L’ÉCOLE S’EXCUSE
Pour tenter d’apaiser la tension, le directeur de l’école a rapidement diffusé un message vidéo dans lequel il s’est « excusé sans la moindre équivoque pour avoir utilisé du matériel totalement inapproprié ». Il a indiqué que « l’employé s’est également sincèrement excusé ». L’école a néanmoins décidé d’arrêter « l’apprentissage de ce cours » et annoncé que « l’employé avait été suspendu en attendant une enquête indépendante formelle ». Preuve des craintes de la direction : les noms de tous les professeurs ont été retirés le jour-même du site internet de l’école.
Mais ces mesures et cette déclaration n’ont pas réussi à calmer les esprits. Vendredi matin, les manifestants étaient encore plus nombreux. Si bien que l’école a dû se résigner à fermer ses portes pour la sécurité des élèves et repris les cours par correspondance. Selon la presse britannique, aucun des hommes présents n’était parent d’élève de l’école. Venus des villes alentours, ils s’étaient déplacés à la suite d’appels sur les réseaux sociaux. Certains d’entre eux ont indiqué qu’ils reviendraient tous les jours jusqu’à l’annonce de l’expulsion définitive du professeur.
LE MINISTRE EN CHARGE DES COMMUNAUTÉS RÉAGIT
Cette région du nord du pays, située près de Leeds, dispose d’une forte minorité musulmane : ils représentent 41% de la population de Batley. L’un des manifestants a fait savoir que « nous ne pouvons pas rester silencieux, nous devons nous lever et leur faire savoir au directeur, à l’école et au conseil d’administration que ce n’est pas quelque chose de léger. Il y a une ligne qui ne peut être franchie ».
De quelle ligne parle-t-on ici ? Nul ne le sait. Pour rappel, le crime de blasphème a été définitivement abrogé par la chambre des lords en 2008. Aussi, du côté du gouvernement britannique, Robert Jenrick, ministre en charge des communautés, s’est dit « choqué » par les manifestations devant l’école. « Nous ne devrions pas avoir des enseignants et des membres du personnel des écoles qui se sentent intimidés. Et les informations selon lesquelles un enseignant doit aujourd’hui se cacher sont très inquiétantes. » Le ministre est même allé plus loin estimant qu’« il doit être acceptable qu’un professeur puisse montrer des images du prophète Mahomet. Dans une société libre, nous voulons que les religions soient enseignées aux enfants et que les enfants puissent les questionner ». Une belle définition de la laïcité, un concept pourtant inconnu des sujets de la Reine.
Le ministère de l’éducation a enfin tenu à rappeler que « les écoles sont libres d’inclure une gamme complète de questions, d’idées et de matériels dans leur programme, y compris des sujets difficiles ou controversés (…). Elles doivent trouver un équilibre entre cela et la nécessité de promouvoir le respect et la tolérance entre les personnes de confessions et de croyances différentes, notamment en décidant du matériel à utiliser en classe ».
UNE PÉTITION EN SOUTIEN
En attendant, un professeur anglais vit quelque part dans son pays calfeutré et la peur au ventre. Quant à la direction de l’école, elle se réunira au cours des prochaines heures pour décider de la marche à suivre.
Cette histoire met la Grande-Bretagne devant une situation nouvelle qu’elle ne pensait possible que de l’autre côté de la Manche. Reste à savoir comment la presse anglo-saxone globalement sévère à l’égard de la France quand il s’agit de laïcité et de son rapport à l’Islam va commenter cet « incident ». Plus de 62 000 Britanniques ont d’ores et déjà signé une pétition demandant la réintégration de B. à son poste de professeur à la Batley Grammar School.