« Clandestinité, revendications de leurs actions, etc. : le mode opératoire de l’ultragauche se rapproche du terrorisme, commentait, en février dernier auprès du Point, une source haut placée dans l’appareil de renseignements français. Ce qui manque, c’est le trouble grave. La borne n’a pas été franchie, peut-être même se maintiennent-ils volontairement juste en deçà… Mais on n’en est pas loin. » Est-ce désormais chose faite ? Vendredi 11 décembre, sept personnes, appartenant, selon la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), aux cercles de l’ultragauche, ont été mises en examen pour association de malfaiteurs terroriste. Les autorités les soupçonnent d’avoir préparé un projet d’action violente sur le territoire.
Le Point a eu accès aux auditions des mis en cause, lesquelles révèlent l’existence d’une menace d’un nouveau genre. Jusqu’à présent, le Parquet national antiterroriste (PNAT) concentrait ses moyens sur le terrorisme islamiste et une poignée d’affaires liées aux mouvances d’extrême droite. Jamais, ces dernières années, il n’avait ouvert de procédures liées à l’ultragauche. Et ce, malgré l’insistance des autorités locales, comme le procureur de Grenoble, Éric Vaillant, qui avait réclamé que le PNAT se saisisse de plusieurs dossiers d’incendies criminels commis en Isère et revendiqués par des groupuscules libertaires.
Droit au silence
Les neuf personnes interpellées la semaine dernière sont soupçonnées d’avoir fait partie d’un groupe dont le leader entendait, selon la police, s’en prendre physiquement aux forces de l’ordre. Entendus par la DGSI, ils ont fait valoir leur droit au silence, à l’exception des moins impliqués d’entre eux. Grâce à leurs confidences, il est désormais établi que Florian D., 36 ans, ancien soldat parti dix mois au Rojava (Syrie du Nord) en 2017, aux côtés des maoïstes du Tikko allié du YPG, est le chef du groupe démantelé. Florian D. avait commencé à entraîner ses troupes au maniement des armes et des explosifs peu de temps après son retour de Syrie, en janvier 2018.
Selon ses acolytes, l’homme organisait des séances de fabrication de bombes. Les suspects auditionnés par la police ont également confirmé que l’intention de Florian D. était bien de tuer des policiers et des militaires et que, pour lui, « ceux qui se désolidarisent de ce but sont des lâches ». Voilà des années que, de Blois au Rojava, l’enclave des Kurdes de la Syrie du Nord, Florian D., coiffé d’une coupe en iroquois, tente de mettre en pratique ses idéaux marxo-léninistes. Il est aujourd’hui mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Il a été placé en détention, comme quatre autres de ses camarades.
Écouté et filoché
Deux autres ont été placés sous contrôle judiciaire, et deux autres encore laissés libres sans charge à l’issue de leur garde à vue. Les arrestations ont eu lieu à Plestin-les-Grèves, dans les Côtes-d’Armor, à Toulouse, à Rennes, à Vitry-sur-Seine et en Dordogne. Des perquisitions se sont déroulées à Paulnay, dans l’Indre, à Condé-Sainte-Libiaire, en Seine-et-Marne, et à Rambouillet. Fiché par la DGSI, Florian D. est rentré en France, bardé d’un savoir-faire, en janvier 2018.
Avant son exil en 2017, il s’était fait remarquer entre Blois et Châteauroux pour de menus délits, des rites initiatiques dans la mouvance ultra : dégradations lors de manifestations, violences volontaires, outrages ou port d’arme blanche. Il était écouté et parfois filoché par les grandes oreilles des services depuis son retour. Les renseignements ont, dès lors, acquis la certitude qu’il cherchait à recréer les conditions d’une guérilla, telle qu’il l’a vécue au Proche-Orient.
Des contacts en Colombie
Selon les services de renseignements, une association d’airsoft, créée avec des camarades, servait de paravent à ses activités de plein air : entraînements tactiques et maniement des armes sur un terrain situé à Paulnay, un village de 400 âmes dans l’Indre. Lors de son interpellation, le 8 décembre, les policiers retrouveront son matériel de tireur et des mannequins criblés de balles, certains à la tête. Florian D., sans profession et SDF, s’était allié ces derniers mois à Manuel H., 36 ans, né en Alsace et installé à Toulouse. Visage rougeaud, cheveux roux, il est décrit par les agents comme un « gaucho à l’ancienne », adepte du guevaro-castrisme et du sous-commandant Marcos.
Selon la DGSI, Manuel H. s’est rendu en Colombie, où il a eu des contacts avec l’ELN, un groupe considéré comme terroriste par Bogota et rival des Farc. Chez lui, en perquisition, les policiers ont mis la main sur un fascicule intitulé « Comment créer et entraîner une unité milicienne ». Florian D. avait aussi pour frère d’armes Simon G., 36 ans lui aussi, domicilié à Vitry-sur-Seine. Artificier au parc Euro Disney de Chessy-Marne-la-Vallée, il exerçait jusque-là ses talents lors de la parade de la Reine des neiges. « La sonorisation du camion de Florian D. a permis de matérialiser sa rencontre avec Simon G. à Paulnay, où ils se sont livrés à la confection de matières explosives, discutant de quantité et de mélanges de produits précurseurs », peut-on lire dans un compte rendu de la DGSI auquel Le Point a eu accès.
Prosélytisme
Florian D., en routard de sa propre cause, entendait convaincre d’autres militants. Avec sa compagne, il s’est également rendu en Dordogne, à Parcoul-Chenaud. Il était alors hébergé chez William D., 31 ans, connu de la DGSI, tout comme Bastien A., 31 ans, qui a rejoint le groupe avec sa compagne. Selon les enquêteurs, à Parcoul-Chenaud, Florian D. aurait effectué des tests d’explosifs et plusieurs d’entre eux ont été repérés dans un stand de tir. Avaient-ils un projet imminent d’action violente ? La DGSI, s’appuyant sur de nombreuses captations téléphoniques, en est convaincue.
Le 8 novembre, Manuel H. avait ainsi exprimé à son tour, au téléphone, sa volonté de réunir un maximum de personnes déterminées pour « fermer les portes sur les ennemis ». Florian D., de son côté, prétendait vouloir incendier des véhicules de police, de nuit. Et peut-être davantage, selon les enquêteurs, qui ont retrouvé dans son camion tous les ingrédients nécessaires à la composition du TATP, un explosif artisanal à base d’acétone qu’on trouve dans le commerce. L’enquête n’a pas encore livré tous ses secrets. Près de 100 supports numériques n’ont pas pu être consultés par les enquêteurs en raison de leur cryptage.