Organisation des cultes, laïcité, associations, école à la maison, haine en ligne, polygamie… Pendant deux semaines, les députés ont décortiqué le projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». Un texte complexe, porté par le gouvernement pour lutter contre les « séparatismes », en particulier celui de nature islamiste, considéré comme le « terreau du terrorisme » par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à l’ouverture des débats.
Sur la forme, les débats ont été vifs, apportant leur lot de déclarations à l’emporte-pièce. Mais on a pu noter aussi de beaux échanges d’arguments, comme cette discussion d’une heure et demie sur le sens de la participation des élus aux cérémonies religieuses. Sur le fond, trois gros morceaux ont particulièrement nourri les débats : le renforcement des contrôles sur les associations, sur les cultes et les restrictions concernant l’école à la maison.
Les associations dans le viseur
Avant même la loi de 1905, le projet de loi s’est attaqué à un autre monument du droit républicain : la loi de 1901 sur les associations, d’inspiration très libérale. L’objectif du gouvernement est d’augmenter les possibilités de contrôle afin de mieux lutter contre les dérives de certaines associations ayant des visées séparatistes. Malgré les avis négatifs de la Commission consultative nationale des droits de l’homme et de la défenseure des droits, les députés ont suivi la ligne restrictive proposée par le gouvernement.
L’article 6 en est l’illustration : il impose aux associations qui veulent recevoir des subventions la signature d’un « contrat d’engagement républicain » qui les astreint à « respecter les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, ainsi que la dignité de la personne humaine et l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République ». « Pas un euro d’argent public ne doit être donné aux ennemis de la République », a expliqué la ministre déléguée Marlène Schiappa et les députés La République en marche (LREM) dans l’Hémicycle.
Problème : nombreuses pourraient être les associations sanctionnées par cet engagement en raison de la mention du respect de l’ordre public. « Est-ce qu’une association environnementale qui, pour protester contre le nucléaire, s’enchaînerait aux grilles d’une centrale contreviendrait aux principes républicains ? Est-ce qu’une association de défense du droit au logement occupant des locaux vacants contreviendrait aux lois de la République ? Et une association LGBT qui défendrait la gestation pour autrui ? » s’est ainsi interrogé le député socialiste Boris Vallaud.
Davantage de motifs de dissolution
Le flou persiste toujours sur le contenu exact de ce contrat, qui doit être fixé par décret. Dans un projet présenté par Marlène Schiappa, on apprend qu’il pourrait aussi imposer aux associations de « respecter la liberté de conscience des membres » et de « s’abstenir de prosélytisme abusif ».
Des formulations qui pourraient inciter les fonctionnaires chargés de traiter les dossiers de demande de subvention à rejeter ceux d’associations ouvertement confessionnelles comme les scouts ou des structures sociales tenues par des religieux dans le cadre de patronages.
Toujours dans le volet associatif, l’article 8 étend les possibilités de dissolution des associations sur décision préfectorale. D’abord, il allonge la liste des motifs de dissolution, qui se concentrait auparavant sur les manifestations armées, le racisme et le terrorisme. Désormais, « provoquer à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » pourra suffire pour dissoudre une association.
D’autre part, le projet de loi permet d’invoquer une dissolution sur la base des agissements de quelques membres de l’association, « lorsque leurs dirigeants se sont abstenus de faire cesser de tels agissements, alors même qu’ils en avaient connaissance ». Avant, il fallait imputer ces actes à l’association en tant que telle. Une pente glissante selon le député La France insoumise Alexis Corbière, qui a fustigé une « punition collective pour la faute d’un seul ».
Encadrement strict de l’école à la maison
Dans le volet éducatif, l’article 21 visant à limiter l’école à la maison a sans doute été le plus disputé. Finalement, les restrictions sont moins sévères que celles annoncées initialement par le chef de l’État, mais la philosophie reste la même : on passe d’un régime de simple déclaration à un régime d’autorisation préalable.
L’interdiction devient la norme alors que c’était la liberté qui prévalait avant. L’exécutif veut ainsi lutter contre des écoles islamistes clandestines et toute autre forme de dérive éducative contraire à « l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Face à la mobilisation de nombreux parents qui s’estimaient victimes collatérales de la lutte contre l’islamisme, le gouvernement a assoupli son texte : les parents pourront notamment invoquer une « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » pour justifier leur choix d’une instruction à domicile.
Les cultes au pas de charge
Pour clore ces deux semaines intenses, les députés ont examiné le volet concernant les cultes qui modifie la loi de 1905. Un examen au pas de charge, sans véritable débat de fond, car les groupes manquaient de temps de parole en raison de la procédure accélérée choisie par le gouvernement.
Sur le plan financier, plusieurs mesures renforcent les contrôles de l’administration sur les comptes des cultes. Pour limiter l’influence de pays comme la Turquie, le Maroc ou l’Algérie sur certaines mosquées, le projet de loi prévoit que les financements étrangers des lieux de cultes devront être déclarés lorsqu’ils dépasseront 10 000 €.
Nouveauté par rapport au texte du gouvernement, un amendement du député UDI Jean-Christophe Lagarde impose que tout don de plus de 150 € à une association cultuelle soit effectué par chèque, virement ou carte bancaire.
Comme annoncé, la police des cultes est renforcée. Prévue dans la loi de 1905, cette dernière n’était que très peu mise en pratique. Outre le durcissement des peines contre les « prêcheurs de haine », l’article 44 prévoit la fermeture administrative pour deux mois de lieux de culte « dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence ». Ce qui doit faciliter la procédure, alors qu’auparavant elle s’inscrivait dans le strict cadre de la lutte antiterroriste.
« Pourquoi, quand un prêcheur de haine s’illustre individuellement dans une mosquée, fermez-vous la mosquée et punissez-vous ses 1 400 fidèles ? a fustigé le député communiste Stéphane Peu. Avec une telle décision, vous mettez toute une communauté au ban de la société. On ne s’y prendrait pas autrement pour justifier le séparatisme. »
La protection des fonctionnaires
Un peu moins critiqué, le reste du projet de loi crée de nouveaux délits afin de mieux protéger les fonctionnaires des pressions islamistes. L’article 4 prévoit de punir toute personne menaçant, violentant ou intimidant un élu ou un agent du service public dans le but de se soustraire aux règles des services publics.
L’article 18 crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations personnelles dans un but malveillant. Un article directement inspiré par l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, dont le nom et celui de son établissement avaient été diffusés sur les réseaux sociaux, mais qui pourrait poser problème en termes de liberté de la presse et de liberté d’expression. On peut noter enfin des mesures pour lutter contre la polygamie ou les certificats de virginité.
Après ce marathon législatif, les députés passent le relais à leurs collègues sénateurs, qui se pencheront sur le texte en commission à partir du 17 mars. En cas de désaccord, c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot.