Lorsque débute une campagne électorale, il est de coutume d’entendre que les enfants sont la promesse de notre pays. Les études démographiques montrent que les enfants représentent vingt pour cent de la population en France. Cependant aux prémisses de la campagne, quel programme, quel.le candidat.e évoquent, par des mesures précises, une véritable politique globale de l’enfance ? Il y a déjà 160 ans, Victor Hugo écrivait aux membres du Congrès international pour l’avancement des sciences sociales « L’enfant, je le répète, c’est l’avenir. Ce sillon est généreux ; il donne plus que l’épi pour le grain de blé. Déposez-y une étincelle, il vous rendra une gerbe de lumière ». Les enjeux sont plus que jamais tellement immenses qu’ils devraient situer la politique de l’enfance parmi les toutes premières priorités du prochain quinquennat.
Quelques constats s’il en fallait pour s’en convaincre.
L’INSEE et l’Observatoire des inégalités nous apprennent qu’environ 3 millions d’enfants – c’est-à-dire 1 sur 5 – et leur famille vivent sous le seuil de pauvreté en France, avec tous les impacts préjudiciables sur le plan familial et social. Dans la seule Ile-de-France, Unicef-France et d’autres associations de solidarité rapportent que chaque soir 700 enfants dorment à la rue à Paris, 20 000 vivent à l’hôtel avec leur famille dans une situation de précarité extrême, 5000 enfants sont hébergés à l’hôtel en Seine-Saint-Denis, dont la moitié ont moins de 3 ans.
La France est signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Pourtant l’institution du Défenseur des droits a rappelé les gouvernements successifs à leurs obligations, à de nombreuses reprises ces dernières années, lorsque les décisions prises n’en respectaient pas les principes au mépris de l’intérêt supérieur des enfants. Cela concerne le placement d’enfants, parfois de nourrissons, en centres de rétention avec leurs parents, les entorses à la présomption de minorité pour des mineurs étrangers non accompagnés, le refus de rapatrier sans conditions les enfants détenus dans des camps en Syrie ; ou la non-scolarisation d’enfants ne disposant pas de domicile fixe ; ou bien encore la non-prise en compte de la parole des enfants dans les affaires de justice les concernant ; sans parler des délais insoutenables pour accéder à des soins pédopsychiatriques ou dans le champ du handicap ou à une aide appropriée de protection de l’enfance.
Des services publics de plus en plus nombreux font face à une allocation de moyens sous-dimensionnée pour remplir leurs missions à l’égard des enfants. Plusieurs rapports parlementaires ont souligné l’état de déshérence de la santé scolaire, de la pédopsychiatrie, de la protection maternelle et infantile ; la carence touche aussi le champ du handicap et de l’inclusion scolaire, la protection de l’enfance, la justice des mineurs, les modes d’accueil de la petite enfance, l’éducation nationale, et à des degrés variables l’ensemble de la sphère des services publics et du tissu associatif dans le domaine de l’enfance.
Et que dire de l’insuffisance de formation des professionnels pour exercer dans tous les champs de l’enfance, et de l’attractivité en berne des carrières, objets d’une désaffection notable pour les métiers de l’enfance allant jusqu’à la pénurie de professionnels qualifiés ?
Pour couronner le tout, rappelons que les diverses politiques relatives à l’enfance sont principalement exercées par le ministère dédié à chaque secteur concerné, en dépit de l’existence d’un secrétariat d’État intégrant l’enfance dans ses attributions mais qui ne jouit pas d’une position suffisamment influente dans la définition de la politique gouvernementale ; il en résulte une insuffisance voire une absence de coordination de ces politiques en faveur des enfants, et plus généralement un défaut de perspective stratégique propre pour mener une politique globale de l’enfance et prioritaire dans l’action gouvernementale. De surcroît la législation relative à l’enfance est éparpillée dans de nombreux codes (codes civil, action sociale et familles, éducation, santé publique, justice des mineurs, …).
La société civile en faveur de l’enfance ne se résoudra pas au silence assourdissant du débat électoral sur ces réalités : 61 contributions d’organismes œuvrant dans tous les champs de l’enfance ont été réunies. Leurs analyses alertent sur une enfance en « état d’urgence » et débouchent sur des propositions pour y remédier impérativement ! S’en dégagent nos exigences communes pour la cause des enfants. Il est vital d’en faire un axe prioritaire du débat public pour 2022 et au-delà : création d’un grand ministère chef d’orchestre d’une politique publique universelle pour l’enfance, institution d’un code de l’enfance, plan Marshall pour extirper trois millions d’enfants et leur famille de la pauvreté, respect intégral des droits des enfants, revitalisation des services publics pour l’enfance dotés de moyens humains et financiers conséquents, urgence de la prévention en santé environnementale dès la prime enfance, investissement public dans le champ de la culture et des loisirs, soutien au pouvoir d’agir des enfants…
Traçons ces chemins et bien d’autres sur la place publique du débat électoral pour que le prochain quinquennat ouvre enfin la voie à une politique visionnaire, digne du regard et de la cause des enfants.
Natacha Chartier, Laurent Chazelas, Carla Dugault, Françoise Dumont, Martine Maurice, Fabienne Quiriau, Irène Pequerul, Pierre Suesser, Céline Truong sont membres du collectif Construire Ensemble la Politique de l’Enfance, auteur du livre “Enfance, l’état d’urgence” (éditions érès).
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