Un grain de beauté étrange, une croûte qui saigne fréquemment sans jamais cicatriser, une papule lisse et brillante qui grossit lentement… Mal connus de la population et relativement discrets, les symptômes annonciateurs d’un cancer cutané peuvent longtemps passer inaperçus. Pourtant, plus tôt ils sont repérés, plus vite le cancer peut être pris en charge, et meilleur est le pronostic. D’où l’intérêt de savoir reconnaître ces anomalies. À l’heure où l’exposition solaire – premier facteur de risque de cancer cutané – est à son maximum, Le Figaro fait le point sur ces signes qui doivent absolument conduire au cabinet d’un dermatologue.
Avant toute chose, rappelons qu’il existe principalement deux types de cancers de la peau : les mélanomes et les carcinomes cutanés . Près de 80.000 personnes sont diagnostiquées chaque année en France. Les carcinomes cutanés représentent environ 90% des cas de cancers de la peau. Il en existe deux sous-types : les carcinomes basocellulaires – plus fréquents -, et les carcinomes épidermoïdes .
Moins fréquents (10% des cancers de la peau), les mélanomes sont bien plus redoutables du fait de leur forte tendance à donner des métastases. «S’ils ne sont pas traités, ils peuvent toucher les ganglions et les organes », explique Anne Pham-Ledard, professeur de dermatologie et oncologue au CHU de Bordeaux. «Un mélanome est un cancer qui dérive des mélanocytes, les cellules qui fabriquent les pigments de la peau, tandis que les carcinomes proviennent d’une prolifération de kératinocytes. Ce sont les cellules forment la couche superficielle de la peau », détaille l’onco-dermatologue.
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Les carcinomes, plus fréquents et multiformes
Ces deux types de cancer ne se présentent pas de la même façon. Les carcinomes apparaissent le plus souvent après 50 ou 60 ans, quasiment toujours au niveau des parties du corps qui ont été exposées au soleil, en particulier le visage. Le cuir chevelu chez les hommes chauves, le nez, l’angle interne de l’œil, les oreilles et les tempes sont ses endroits de prédilection. Le type de carcinomes le moins fréquent, le carcinome épidermoïde , ressemble à une plaque rouge, parfois noirâtre, épaisse, rugueuse pouvant former une croûte ou donner des saignements. Il peut également ressembler à une verrue ou à une plaie ouverte qui ne guérit pas complètement.
Un carcinome épidermoïde sur le dos d’une main www.skincancer.org
«Le carcinome épidermoïde peut parfois se compliquer de métastases quand les cellules cancéreuses migrent de la peau vers les ganglions à proximité, ou dans d’autres organes plus distants, comme les poumons », indique le Pr Caroline Robert, chef du service de dermatologie à l’Institut Gustave Roussy.
Les carcinomes basocellulaires , beaucoup plus fréquents que les épidermoïdes, peuvent revêtir diverses apparences. Cela peut par exemple ressembler à une petite papule lisse et brillante, de couleur blanche nacrée, rose ou rouge, qui grossit lentement.
Carcinome basocellulaire www.skincancer.org
Ce type de cancer peut également se manifester par une plaque en relief au centre creux, de couleur rosée ou rouge, dont le bord présente des proéminences transparentes et brillantes. Il arrive que de minuscules vaisseaux apparaissent à sa surface avec le temps. Certaines zones de la lésion peuvent être bleuâtres ou brunes.
Carcinome basocellulaire www.skincancer.org
Ce cancer peut aussi ressembler à une plaie ouverte qui ne guérit pas et qui peut saigner, suinter ou faire une croûte. La plaie peut persister pendant des semaines ou sembler guérir puis réapparaître.
Carcinome basocellulaire www.skincancer.org
Enfin, il peut se présenter sous la forme d’une plaque évoquant une zone cicatrisée, de couleur jaune ou blanche. La peau semble brillante et tendue, souvent avec des bords mal définis.
Carcinome basocellulaire www.skincancer.org
Chez certaines personnes, il est fréquent que le carcinome soit pigmenté, de couleur brune.
Carcinome basocellulaire www.skincancer.org
« Il est très rare qu’une personne ne développe qu’un seul carcinome, c’est pourquoi il est très important que les personnes chez qui l’on a diagnostiqué un carcinome surveillent étroitement leur peau et consultent régulièrement un dermatologue. »
Pr Caroline Robert, chef du service de dermatologie à l’Institut Gustave Roussy et enseignante à l’université Paris Saclay.
Il faut toutefois garder en tête que les carcinomes basocellulaires peuvent incarner d’autres formes plus atypiques, d’où la nécessité d’inspecter régulièrement sa peau à la recherche de choses inhabituelles. Sans traitement, ces lésions évoluent soit en relief, soit vers l’intérieur, détruisant les structures sous-jacentes. «Ce sont des cancers qui, en règle générale, ne peuvent pas donner de métastases, mais ils peuvent être très destructeurs localement s’ils ne sont pas pris à temps », souligne le Pr Robert. Par ailleurs, un carcinome n’est jamais seul. «Il est très rare qu’une personne ne développe qu’un seul carcinome, c’est pourquoi il est très important que les personnes chez qui l’on a diagnostiqué un carcinome surveillent étroitement leur peau et consultent régulièrement un dermatologue », ajoute le médecin.
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Le mélanome, un grain de beauté anormal
Quant au mélanome, «cela ressemble à un grain de beauté qui a des caractéristiques suspectes », indique le Pr Pham-Ledard. En règle générale, un grain de beauté classique est plutôt unicolore, rond ou ovale et surtout, il ne grossit pas. «Un grain de beauté suspect, c’est un grain de beauté qui grossit rapidement en taille ou en épaisseur, ou qui est asymétrique, ou encore qui présente plusieurs couleurs », poursuit la spécialiste. Il peut s’agir d’un grain de beauté que l’on a toujours eu, ou bien qui apparaît au cours de la vie.
Il existe un moyen mnémotechnique assez simple pour identifier soi-même un grain de beauté suspect : la règle «ABCDE ».
«A » pour Asymétrie : forme non circulaire avec 2 moitiés qui ne se ressemblent pas.
«B » pour Bords irréguliers.
«C » pour Couleur non homogène.
«D » pour Diamètre en augmentation (en général supérieur à 6 millimètres).
«E » pour Évolution : toute tache pigmentée qui se modifie, (en épaisseur, diamètre, couleur…).
La règle «ABCDE» Institut National du Cancer
«À partir du moment où une personne présente au moins deux critères, il faut consulter un dermatologue. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’il s’agit d’un mélanome », rassure le Pr Pham-Ledard. La dermatologue précise en outre que «le critère «E» est le plus important. Même s’il est symétrique et unicolore, un grain de beauté qui évolue rapidement, ce n’est pas normal.»
Un cancer qui touche aussi les jeunes
Il faut également savoir que le mélanome peut adopter des formes et des zones d’implantation assez atypiques. «Certains ne ressemblent pas à un grain de beauté, ils ne sont pas pigmentés. Cela arrive en particulier au niveau des muqueuses comme la bouche et les muqueuses génitales », explique Anne Pham-Ledard. «Les doigts et les ongles sont aussi des zones où ce cancer peut se développer. Ces formes-là sont souvent diagnostiquées tardivement car elles sont prises à tort pour autre chose ». Sur les ongles, le mélanome apparaît au début comme une bande pigmentée qui s’étend de la base de l’ongle jusqu’à son extrémité et qui s’élargit progressivement.
Autre signal d’alerte : un grain de beauté qui se met à saigner tout seul, sans que l’on ne se soit gratté ou qu’il ait été irrité. En revanche, un grain de beauté en relief qui a toujours été ainsi n’est pas inquiétant. «Il faut s’inquiéter s’il était plat auparavant qu’il a grossi », met en garde le médecin. Précisons que le mélanome se développe plus fréquemment sur les jambes pour les femmes, et sur le tronc pour les hommes. Si ce cancer ne se développe quasiment jamais dans l’enfance, il peut apparaître dès le début de l’âge adulte. «Même si le pic est autour de 55 ans, il n’est pas rare de voir des patients âgés de 20 ans qui ont un mélanome », témoigne le Pr Caroline Robert.
Quels facteurs de risque ?
Nous ne sommes pas tous égaux face au mélanome. «Avoir un antécédent personnel ou familial de mélanome (au premier degré, c’est-à-dire ses parents ou ses frères et sœurs), avoir beaucoup de grains de beauté sur le corps (plus de 40), prendre des coups de soleil à répétition, en particulier dans l’enfance pour le mélanome, avoir des taches de rousseur ou encore être de peau claire avec des yeux clairs sont autant de facteurs de risque », liste le Pr Pham-Ledard. Le fait de s’être exposé aux UV artificiels en cabine de bronzage augmente également le risque d’avoir un mélanome.
« Mon conseil est que si l’on a une plaie, un bouton, un grain de beauté ou n’importe quelle autre lésion qui grossit et qui ne disparaît pas au bout de plusieurs mois, il faut le montrer à un dermatologue, même si c’est totalement indolore. »
Pr Caroline Robert, chef du service de dermatologie à l’Institut Gustave Roussy et enseignante à l’université Paris Saclay.
Que faire pour s’en protéger ?
Les cancers de la peau sont d’origine multifactorielle. Mais l’exposition aux rayons ultraviolets – qu’ils soient d’origine naturelle (le soleil) ou artificielle (les cabines de bronzage) – est sans conteste le plus grand facteur de risque. On estime même qu’entre 65 et 95% des mélanomes cutanés lui sont attribuables. En pratique, les UV sont capables de pénétrer jusque dans le noyau des cellules, où se trouve l’ADN, et de l’endommager. En temps normal, le corps dispose de mécanismes de réparation lui permettant de remédier aux dommages subis. Mais cette capacité naturelle de réparation n’est pas infaillible : en cas d’expositions répétées, la peau ne parvient plus à se défendre contre les dégâts causés. C’est là que des mutations peuvent survenir, entraînant un cancer.
«Certes, le soleil fait du bien, il participe à la fabrication de vitamine D et joue un rôle positif sur notre moral. Mais il ne faut pas chercher à bronzer à tout prix, même s’il s’agit d’un code fortement plébiscité dans la société. Quand on commence à rougir, ce n’est pas bon », rappelle le Pr Pham-Ledard. Face au soleil, la meilleure protection reste vestimentaire, associée à de la crème solaire (écran 50 pour les peaux claires). «Certaines personnes ne mettent de la crème que leurs grains de beauté quand elles sont à la plage, mais cela ne sert à rien », met en garde la dermatologue.
« Avec le mélanome, toute la peau est en danger, pas seulement les grains de beauté. »
Pr Anne Pham-Ledard, dermatologue et oncologue au CHU de Bordeaux.
Les personnes chauves sont particulièrement concernées. «Nous passons notre temps à enlever des carcinomes sur le crâne de messieurs âgés. Il faut absolument se couvrir la tête pour se protéger du soleil quand on n’a plus de cheveux ! », insiste le Pr Robert. Ultime conseil de la dermatologue : «Faisons pour une fois des ”selfies utiles” et photographions notre peau une ou deux fois par an. Si chacun avait une série de photos correctes de son corps à montrer au dermatologue quand ce dernier lui demande si telle ou telle lésion a évolué, cela serait très utile.»