DU PHÉNICIEN À L’ARABE.

Ils se nommaient eux-mêmes «Cananéens», furent baptisés par les Grecs «Phéniciens»; alors que certains auteurs n’ont pas hésité à situer leur berceau initial sur les côtes de la mer Rouge… Quoi qu’il en soit, leur langue s’est imposée au Maghreb bien avant la conquête arabe, dans un syncrétisme saisissant…

Le phénicien est une langue morte, parlée à l’origine sur les côtes des actuels Liban et Syrie, dans un pays qu’on désignait alors comme le « pays de Canaan » aussi bien en phénicien et en arabe, qu’en hébreu et en araméen, « Phénicie » en grec et en latin, et « Pūt » en égyptien ancien. Le phénicien est une langue sémitique du sous-groupe cananéen, le phénicien descend l’hébreu. Le phénicien était parlé au Liban, le long des côtes de Syrie, dans la partie nord de l’actuel État d’Israël, ainsi que sur une partie de l’île de Chypre (où il voisinait avec le grec) et, en tant que langue de prestige, dans certaines régions d’Anatolie. Il était aussi parlé dans les régions touchées par la colonisation phénicienne : le long des côtes sud-ouest de la Méditerranée, et notamment l’actuelle Tunisie, le Maroc et l’Algérie, ainsi que Malte, l’Ouest de la Sicile, la Sardaigne, la Corse et les Colonnes d’Hercule.
Le phénicien s’écrivait au moyen de l’alphabet phénicien. Le phénicien ne nous est connu que par quelques inscriptions brèves, par des formules stéréotypées de portée religieuse ou administrative, et de rares gloses d’auteurs grecs ou latins ; les auteurs latins tels Salluste font allusion à des livres composés en langue punique, mais aucun ne nous est parvenu, sauf en traduction (par ex. le traité de Magon le Carthaginois) ou par citation (par ex. dans les comédies de Plaute). Les Cippes de Melqart, découverts à Malte en 1694, comportent une inscription bilingue grec-punique : son examen a permis à l’érudit abbé Barthélemy de déchiffrer et de reconstituer l’alphabet carthaginois. La découverte en 1964 d’un traité commercial entre Étrusques et un groupe de Phéniciens, a encore enrichi notre connaissance de cette langue.

ALPHABET PHENICEEN / CANANEEN et HEBREU

On discrédite de plus en plus le récit selon lequel le gouverneur omeyyade d’origine berbère Tarik ibn Ziyad, ait pu prononcer son fameux discours en arabe devant ses soldats, majoritairement de même origine. On affirme d’ailleurs que cette langue n’a pu faire ses premiers balbutiements au Maghreb qu’à partir de la conquête arabe.

A y regarder de près, les choses sont tout en nuances…

NDLR : l’auteur de cet article méconnait l’hébreu qui est la langue mère du phénicien. Il y a une volonté récurrente de discréditer le récit biblique et l’ignorer pour en faire une création mythologique née il y a 2500 ans. Méconnaissant l’hébreu et sa structure grammaticale l’auteur analyse les mots à l’aveugle. Aussi il nous a paru bon de remettre les vraies racines hébraïques des mots et rappeler que l’hébreu n’est pas une langue morte, au grand regret de certains. L’hébreu est une langue très spéciale, qui fonctionne par un système de racine le plus souvent à base 3 consonnes. Les voyelles ne sont que des signes additifs permettant de vocaliser le mot. Chaque racine renvoie à un concept d’où découlera toute une famille de mots; exemple Ch-L-M  peut donner ch(a)l(o)m paix, que la paix soit sur toi ou bonjour, ch(a)l(e)m complet (qui est une forme de paix) etc., etc. Tous les mots issus de cette racine renverront au concept de base. S’ajoute à cela, pour l’hébreu une dimension mathématique, puisque chaque lettre a une valeur numérique, et les valeurs numériques des mots peuvent renvoyer à des rapprochements. De ce fait un nombre, a une signification, en plus de sa simple valeur mathématique.
Il est un fait que le berbère reste la langue la plus anciennement parlée au Maghreb, ayant probablement existé à l’état homogène selon quelques chercheurs avant d’éclater en plusieurs idiomes; alors que d’autres spécialistes sont plus proches des théories d’Ibn Khaldoun, qui avait élaboré au XIVe siècle une classification des Berbères en trois principales branches, s’étant fondé en cela sur des travaux antérieurs.
Quoi qu’il en soit, à la prééminence logique de cette langue autochtone, se sont ajoutés d’autres apports civilisationnels.
C’est le cas avec les Phéniciens, Peuples de la Mer, maîtres d’Etats-cités dans ce qui correspond approximativement à l’actuel Liban. Vers l’an 1200 av. J.-C., ils marquèrent la scène historique, en édifiant un large réseau de comptoirs maritimes sur la Méditerranée et sur l’Atlantique.  D’origine sémitique, ils sont nommés par d’autres peuples et par eux-mêmes, Cananéens, tandis que leur territoire fut appelé en ce sens, Chna, notamment par l’historien grec Hécatée de Milet.
(Pour information, une étude ADN publiée par National Geographic en 2020 révélait que le patrimoine génétique des Cananéens était encore présent dans les civilisations Juives et arabes.)
Plus tard, s’imposa le nom «phénicien», définissant en idiome grec, le phoĩnix, une couleur rouge éclatante. Il s’agit là, selon les versions, soit d’une référence à la précieuse teinture pourpre dont ils maîtrisaient l’industrie, soit à la couleur rouge de leur peau. A ce stade, il est impossible de ne pas évoquer la théorie selon laquelle les Phéniciens seraient d’abord originaires des abords de la mer Rouge avant d’avoir regagné les côtes du Liban.
Ainsi Hérodote rappelle leur origine placée sur les côtes de ce qui était alors nommée la mer Erythrée. «Il y a donc tout lien de croire, que le nom de Phéniciens, donné par les Grecs à un peuple venu des bords de la mer Rouge, et qui avait peut-être conservé dans sa dénomination quelque trace de cette origine, n’aura été que la traduction d’un ancien nom», écrit André-François Miot dans son Histoire d’Hérodote
Impossible aussi de ne pas penser aux récits arabes relatifs aux Himyarites, rois de Saba, qui formèrent un des derniers royaumes sud-arabiques à la brillante civilisation, ainsi que leur invasion du Maghreb -loin de faire l’unanimité des historiens- effectuée par le légendaire roi yéménite Ifriqos qui aurait laissé son nom à l’Ifriqiya.
Devant leur nom, à la couleur rouge de leurs étendards, selon l’historien Ibn-al-Athir, les Himyarites auraient laissé leur nom à al-Bahr al-Ahmar.
Je ne prendrais pas le raccourci d’une identification sans preuves formelles des Phéniciens aux Arabes. Mais il reste généralement admis que la langue employée par tous est liée par un tronc commun.  Un bref aperçu sur quelques toponymes pourrait à ce titre se révéler éclairant.
Exemple: le nom Anfa (hébreu Anaf  colère quand le nez devient rouge  – la moutarde me monte au nez – Anifoufe = nasillement) donne aussi (actuelle Casablanca, dite dans les textes et portulans médiévaux NiffeAnifeAnafa) serait dérivé d’anf, le nez, et, par là, un promontoire.
Toujours dans cette assimilation entre morphologies humaine et géographique chère aux anciens, la ville de Melilia est nommée Russadirum par Ptolémée dans une appellation dérivée du phénicien, attestée sur des pièces de monnaie. C’est rs ( en hébreu R(o)CH = tête) dr qu’on peut lire avec vocalisation Ras ad-dir, désignant dans sa première tranche, la tête. Par analogie: le cap.
Le radical rs se trouve d’ailleurs dans plusieurs toponymes maghrébins comme Ruspina, ( en hébreu Roch Pinah) l’actuelle Monastir en Tunisie, avec la même signification.
Par ailleurs, parmi les plus anciens comptoirs phéniciens sur l’Atlantique se trouve Lixus (Larache), de son nom phénicien Maqom Shemesh ( qui est de l’hébreu pur «Place du soleil»).
Pour cette raison, la ville est mentionnée dans les sources arabes médiévales sous le nom de Tuchummus, alors que les habitants nomment «la colline qui abrite les ruines», Choummich ( en hébreu chémèche).
Les héritiers directs des Phéniciens sont les Carthaginois depuis que la légendaire reine Didon a fondé vers 814 av. J.-C. sur la côte de l’actuelle Tunisie, la ville de Carthage.
Un nom dont l’étymologie phénicienne est Qart-Hadat («La Ville Nouvelle», une sorte de New York de son époque!)
La prospérité des Carthaginois, liée au commerce maritime, leur a permis de former une brillante civilisation, fruit d’une hybridation certaine entre la culture amazighe africaine et l’apport phénicien oriental, dans un syncrétisme interpellant.
Taddart est en ce sens un nom berbère définissant selon les régions, une maison, une pièce, un hameau, un village (synonyme de douar)… Et dans lequel il faudrait sans doute envisager une origine commune avec l’arabe dar. ( le D et le G peuvent se substituer l’un l’autre en hébreu GaR veut dire habiter)
Dans cet ordre d’idées, la racine punique gdr, ( en hébreu guéder veut dire clôture) désigne le mur ou l’enclos et se retrouve dans le nom de la ville espagnole de Cadix, appelée Gadira par ses fondateurs phéniciens, ainsi que dans les mots arabe jidar (mur) et berbères ajdir et agadir avec des variations de sens.
De même, l’afrag (probablement de la racine sémitique frg, dans le sens de «séparer») désigne en berbère,un enclos, une clôture, une haie ceignant un verger, une bergerie, une cour, une tente ou un campement royal.
Amegdoul, toponyme présent dans l’Atlas, par abréviation Megdoul, est proche du migdol de la toponymie phénicienne, employé dans la Torah, comme il était présent dans la langue ougaritique et en akkadien, indiquant un lieu fortifié.
De là découlerait Mogador, dont le nom actuel, Essaouira, en serait une parfaite traduction, dans le sens de «celle qui est entourée d’un mur», «sour» (et non comme le veut l’étymologie populaire, «celle qui est bien dessinée»).
L’intérêt pour les toponymes n’occulte pas l’évocation de l’importance du punique dans la rédaction des épitaphes tombales, des inscriptions votives, des textes administratifs, des légendes monétaires dans des villes qui battent monnaie comme Tamuda, Lixus ou Rusadir… Avec, parfois, l’existence de textes bilingues punico-libyques.
Cette importance avait donc gagné l’écriture à tel point que même l’alphabet libyco-berbère dont l’origine serait endogène pour certains chercheurs (phénicienne pour d’autres, comme pour l’alphabet grec ou araméen et leurs descendants), porte le nom de Tifinagh. Soit, selon certaines théories, de Tafniqt, «la Phénicienne».
Auprès de la langue libyque (ancêtre du berbère actuel) et de la langue grecque, s’était donc imposé le punique, qui ne tarda pas à prendre une envergure dépassant le cadre commercial, se diffusant dans toutes les régions sous influence punique, auprès du latin jusqu’à l’arrivée des Arabes.
Arnobe et Saint-Augustin avaient bien témoigné du fait que les paysans africains parlaient le punique; tandis que le grammairien Priscien évoquait le punique comme langue vivante.
Ce qui expliquerait d’après quelques auteurs, tel Ernest Renan, la facilité d’adoption de l’arabe familier, avec ce fond linguistique commun.
Rien n’empêche même d’imaginer le développement, dès les époques antiques et le long des siècles, d’une langue composite, propice aux échanges, mêlant berbère, punique, grec, romain, arabe etc., aboutissant à l’ancêtre de la darija.
la Darija (Dialectologie) ensemble des dialectes maghrébins, de substrat berbère, comportant un vocabulaire d’origine phénicienne pour ne pas dire hébraïque ( ce qui révulserait un grand nombre) , arabe, berbère, espagnole, portugaise, française, turque, etc. servant surtout à la communication orale et qui ne sont pas standardisés.

Juifs et Berbères

Les Juifs berbères ou Berbères juifs (en berbère : ⵓⴷⴰⵢⵏ ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ, Udayen imaziɣen ou ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ ⵓⴷⴰⵢⵏ, Imaziɣen udayen), sont les communautés juives du Maghreb qui historiquement parlaient les langues berbères et/ou sont d’origine berbère. Entre 1950 et 1970, la plupart ont émigré en France, aux États-Unis ou en Israël.

Antiquité

Des Juifs se sont installés en Afrique du Nord depuis l’époque romaine, et une communauté juive existait dans la province romaine d’Afrique, qui est la Tunisie moderne. Le terme « Ifriqiya » désignait la région que nous connaissons aujourd’hui en tant que Tunisie.
L’admission du judaïsme comme religion par les Berbères, et son adoption par un certain nombre de tribus, a pu prendre du temps. L’historien français Eugène Albertini date la judaïsation de certaines tribus berbères, et leur expansion de Tripolitaine, aux oasis du Sahara, à la fin du ier siècle. Marcel Simon, pour sa part, situe dans la première guerre judéo-romaine le premier contact entre les Berbères de l’Ouest et le judaïsme. Les historiens pensent, d’après les écrits d’Ibn Khaldoun et d’autres témoignages, que certaines des anciennes tribus berbères judaïques ont adopté plus tard le christianisme et ensuite l’islam, et on ne sait pas si elles font partie des ancêtres juifs berbérophones contemporains.

JForum.fr – Mouna Hachim